La situation de la terminologie au Québec[1]

Jean-Claude Boulanger

1. L’origine

Depuis le début des années 60, avec l’émergence de la Révolution tranquille, la terminologie québécoise bénéficie d’infrastructures politiques qui ont revêtu la forme de lois linguistiques successives. La plus récente de ces lois, la Charte de la langue française, fut sanctionnée par l’Assemblée nationale du Québec en août 1977. Elle a fixé avec précision les cadres législatifs de l’activité terminologique sur le territoire québécois. Elle fait de celle-ci l’un des principaux instruments pour conduire efficacement le processus de la francisation des activités économiques du Québec. La contrainte législative imposée par la Charte ne laisse plus guère de place à l’improvisation lors de la pratique terminologique ou de la recherche théorique. L’aménagement des comportements linguistiques des individus et des entreprises qui s’activent dans le contexte social, politique et culturel du Québec s’allie au projet global d’une société qui vit encore maintenant de profondes mutations. Isolé au nord-est d’une vaste zone de l’Amérique, le Québec abrite le berceau de la francophonie extra-européenne et il désire protéger et enrichir son patrimoine linguistique, contribuant ainsi au précepte de l’unité et de la diversité de la langue française.

L’intervention politique et linguistique de l’État a permis la formation, puis la consolidation de modèles socioterminologiques variés et originaux. Avec en arrière-plan de ma description la volonté dirigiste, au sens le plus noble du terme, ce sont ces modèles théoriques et pratiques que je voudrais évoquer sous l’angle d’une description très générale.

2. Caractéristiques de la terminologie

La mise en route de la francisation de presque tous les secteurs des activités professionnelles s’est appuyée sur ces modèles inédits. La francisation consiste pour l’État québécois à passer d’un ensemble de circonstances de la vie professionnelle où la langue anglaise était le code linguistique dominant à un nouveau mode de vie où le français deviendra la langue d’usage propre à satisfaire les moindres exigences de la communication en milieu de travail.

Cela signifie qu’au Québec la terminologie est institutionnelle, en ce sens qu’elle touche exclusivement l’usage officiel des termes et non pas leur usage individuel. La Charte définit des interventions qui conviennent en priorité aux institutions et non pas aux personnes agissant à titre privé. Ceci implique que dans l’exercice de ses fonctions officielles, l’individu est en situation de communication institutionnelle et non plus individuelle. Il doit alors choisir la norme de communication que l’institution impose d’une manière relative ou absolue. Il est lui-même dépersonnalisé au profit de l’institution qu’il représente. Il ne peut alors être tenu responsable des déficiences constatées dans la communication, la responsabilité en incombant à l’organisme, de même que la décision d’y remédier.

Le modèle terminologique québécois renferme également une autre caractéristique en ce qu’il est interventionniste. On peut donc raisonnablement parler d’interventionnisme terminologique, dont la forme la plus accomplie se retrouve dans les avis de normalisation et de recommandation de la Commission de terminologie de l’Office de la langue française.

Dans les milieux visés par la francisation, il est bien important de saisir cette double articulation de la terminologie qui est à la fois institutionnelle et interventionniste.

3. L’amalgame terminologique

La théorie et la pratique terminologiques québécoises sont fondues au creuset de quelques grands courants de recherche sur le langage et sur diverses autres sciences humaines. Notre conception de la terminologie est donc issue de la convergence de sources extralinguistiques, linguistiques, traditionnelles et sociolinguistiques. Pour l’ensemble de nos partenaires internationaux, cet amalgame représente un modèle fort original. Pour bien cerner et comprendre comment cette vision de la terminologie est née, puis s’est érigée en système, il convient de détailler les différents facteurs précédemment mentionnés. Ces facteurs ne se sont pas développés selon une structure linéaire. Ils résultent d’efforts collectifs et simultanés dans chacun des milieux.

3.1 Le facteur extralinguistique

Dans le domaine extralinguistique, l’originalité de la terminologie puise ses origines au carrefour des changements politiques, sociaux, culturels et éducationnels opérés au Québec durant les années 60. Parmi cette gamme de changements, les politiques linguistiques se sont rapidement imposées comme un élément crucial dans le processus de mutation sociale. Les lois à caractère linguistique qui se sont succédées au Québec au cours des vingt dernières années ont mis en valeur des structures d’intervention sans égal dans notre monde moderne. D’abord timides, ces législations sont devenues de plus en plus coriaces, jusqu’à la volonté ultime d’instaurer une situation linguistique uniforme pour tous les Québécois. La dernière de ces lois se révèle être la plus coercitive : elle stipule clairement que le statut qualitatif et le corpus de la langue française doivent être redressés et améliorés de manière à faire du français la seule langue officielle du territoire. Le jalon politique une fois en place, il a fallu faire surgir de l’imaginaire québécois une stratégie linguistique d’intervention. Cette stratégie comporte des facettes multiformes, mais elle s’incarne principalement dans le processus de l’aménagement terminologique.

3.2 Le facteur linguistique

Dès sa genèse, la terminologie québécoise a nécessité des recherches du côté de la normalisation et de la Iexicographisation. Il fallait rendre officielles les terminologies élaborées et trouver des canaux de diffusion. La publication de lexiques et de vocabulaires normalisés est apparue comme une solution efficace. L’attention des chercheurs québécois s’est donc tournée vers les travaux européens. La stratégie de normalisation a puisé ses sources auprès des travaux autrichiens en matière de terminologie systématique, dont on sait qu’Eugen Wüster fut l’un des chefs de file. Parallèlement, la stratégie lexicographique s’inspirait de l’expérience française. Les travaux autrichiens collant de près à la normalisation nationale et internationale (voir l’ISO) et à la documentation, et les travaux lexicographiques se ralliant à l’aspect lexicologique, la caractéristique dominante des maîtres d’œuvre québécois a été d’effectuer une jonction théorique et pratique réelle entre deux aspects jusque-là quasi indépendants des travaux sur le lexique. Les penseurs québécois possédant pour la plupart une formation universitaire en linguistique, on a vu naître une terminologie qui s’est détachée de ses amarres traditionnelles et qui s’est érigée en discipline autonome, à mi-chemin entre la linguistique et la traduction, mais s’abreuvant toujours à l’une et à l’autre. Cette perception s’est concrétisée dans une méthode de recherche terminologique qui met l’accent sur la notion ou le concept et qui a l’immense avantage d’unir les bienfaits de l’onomasiologie et ceux de la sémasiologie.

3.3 Le facteur de la traduction

L’activité traductionnelle qui existait antérieurement à l’apparition, puis à la systématisation de la terminologie, a également contribué à son développement. La terminologie ayant un caractère surtout bilingue, l’expérience de la traduction a largement profité aux responsables chargés d’élaborer une méthode de travail en terminologie. On est ainsi parvenu à reconnaître à la terminologie une place de choix dans les activités langagières. N’étant plus un simple satellite de la traduction, la terminologie influence à son tour le travail traductionnel tel qu’il se déroule au Québec.

3.4 Le facteur sociolinguistique

Enfin, l’un des pôles d’attraction majeurs dans l’essor de la terminologie en territoire québécois fut très certainement l’émergence d’un projet d’aménagement linguistique inspiré des recherches sociolinguistiques. À cet égard, le Québec constituait un terrain privilégié d’observation, d’analyse et de structuration des modèles d’implantation terminologique. Il fallait construire une méthode d’intervention étatique applicable au contexte de travail socio-économique et capable de provoquer des changements d’attitudes selon un calendrier bien établi. En effet, la situation linguistique devait d’abord être modifiée dans les entreprises. Outre les volets ressortissant aux aspects relatifs à la traduction et au lexique, ce milieu ambiant commandait une perspective nouvelle que la linguistique sociale n’avait fait qu’effleurer. Jusque-là, c’étaient surtout les comportements des individus dans leurs rapports avec la langue générale qui avaient fait l’objet d’expériences. La situation nouvelle exigeait une analyse des comportements exécutée en fonction des relations que l’individu entretenait avec les langues de spécialité. Les sociolinguistes québécois qui se préoccupaient du programme de francisation ont donc dû établir des procédés nouveaux d’analyse, qui se sont incorporés à la recherche terminologique pratique et qui ont fini par en constituer l’un des principes fondamentaux.

4. Les milieux de la terminologie

Les conditions strictes imposées par la Charte de la langue française ont permis de mettre progressivement en place au Québec un réseau d’intervenants en terminologie. Les milieux terminologiques québécois forment aujourd’hui quatre importants sous-ensembles interreliés, qui participent chacun à leur manière à l’aménagement terminologique français du Québec. D’une part, chacun de ces groupes d’intérêts a pour but de s’autogérer en matière de travaux terminologiques. D’autre part, ils concourent tous ensemble à l’enjeu unique de la francisation.

Nous voudrions examiner quatre de ces intervenants collectifs. Deux d’entre eux œuvrent en relation étroite avec les directives contenues dans la Charte : l’Office de la langue française et les entreprises privées et parapubliques. Deux autres coopèrent aux efforts de francisation malgré leur position plus extérieure au regard de la loi. Il s’agit de la Direction générale de la terminologie et de la documentation de Bureau des traductions du gouvernement fédéral et des universités. Chaque groupe a un rôle déterminé à accomplir dans la stratégie globale d’implantation terminologique.

4.1 L’Office de la langue française

Le rôle interventionniste de l’Office de la langue française est clairement défini dans la Charte. Cet organisme s’est imposé comme l’instigateur des travaux terminologiques pour l’ensemble du Québec. Ses réflexions et ses actions, de même que l’évolution de son mandat ont été l’occasion de mettre successivement au point une gamme de méthodes qui couvrent aujourd’hui la plupart des aspects du dossier linguistique du Québec. Progressivement, surtout depuis le début des années 70, les méthodes élaborées sont passées du plus pratique au plus théorique suivant en cela le même cheminement qui a permis le passage du « faire » vers le « faire faire ». La description des méthodes est donc devenue urgente. Initialement inspirateur et agent de la francisation, l’Office transforme son rôle. Il agira dorénavant comme conseiller et animateur pour les questions terminologiques. Après l’achèvement de la francisation, sa mission ultime consistera à être le modérateur de l’activité terminologique au Québec.

De ses expériences multiples, l’Office a tiré quelques grandes lignes de force sous la forme de méthodologies de travail et de recherche qui seront évoquées maintenant.

4.1.1 La terminologie systématique

La publication d’une méthodologie de la recherche terminologique systématique remonte à 1978. Elle procède d’une première tentative datant du commencement de la décennie 70 alors que le premier Office de la langue française publiait un Guide de travail en terminologie. Ce guide était davantage une compilation de connaissances théoriques et pratiques glanées çà et là dans les rares ouvrages traitant de terminologie et de lexicographie. Malgré sa vétusté, cet opuscule demeure un ouvrage de référence pour les néophytes. La méthodologie actuelle décrit toutes les étapes du travail de recherche en terminologie systématique : du début de la recherche, c’est-à-dire le choix du domaine, jusqu’à sa conclusion logique, o’est-à-dire la publication d’un lexique, d’un vocabulaire ou d’un dictionnaire terminologique, chacune des phdses est expticitée et détaillée à partir de considérations d’ordre théorique et pratique. Cette méthodologie générale sert de moule à presque toutes les autres évoquées par la suite.

4.1.2 La terminologie ponctuelle

La recherche terminologique ponctuelle répond à des besoins différents de la précédente mais néanmoins complémentaires. Les demandes sont acheminées à l’Office par téléphone (service S.V.P.) et par courrier; il arrive aussi que des personnes se présentent au bureau. Les questions peuvent être relatives à un seul terme ou encore à une courte série de termes. Il peut s’agir de la recherche d’un équivalent français pour un terme anglais, ou encore du remplacement d’un terme indésirable, ou encore de la création d’un néologisme pour dénommer une réalité nouvelle. Le caractère de ponctualité d’une telle démarche trouve son corollaire nécessaire dans le très court laps de temps imparti pour trouver la solution et préparer la réponse. Le terminologue doit faire connaître instantanément ou différer d’un jour, au plus de quelques jours, sa réponse. La démarche terminologique ponctuelle se distingue donc de la démarche systématique par ses objectifs et ses moyens. Le Service des consultations de la Direction de la terminologie a préparé une méthodologie de la recherche ponctuelle qui définit d’une manière plus appropriée les recherches documentaires et lexicographiques indispensables pour répondre rapidement à une demande ponctuelle. Il a élaboré une fiche de travail qui permet de suivre de bout en bout le cheminement d’une recherche et même de procéder à l’enregistrement de la réponse dans la banque de terminologie sans avoir à passer par un travail de transcodage de la fiche. Le lien continu avec l’usager, l’urgence des décisions et l’aspect le plus souvent oral des démarches caractérisent la recherche terminologique ponctuelle à l’Office. Cette méthodologie est en voie de publication.

4.1.3 La terminologie néologique

La néologie constitue l’un des fondements essentiels de toute recherche terminologique factuelle ou thématique. Aucune science ou technique récentes, aucune discipline nouvelle ne peuvent établir leur terminologie sans se heurter à un moment ou à un autre au besoin néologique. Les travaux de néologie peuvent se dérouler selon trois axes distincts : la néologie ponctuelle, qui offre une solution instantanée à un problème terminologique nouveau et individuel; la néologie systématique, qui comble les lacunes lexicales dans un domaine d’activité pour lequel un terminologue élabore un vocabulaire ou un lexique; la néologie sélective ou demi-systématique, qui ne recense que (es unités terminologiques néologiques pour un secteur d’activité donné.

Les deux premières catégories rattachent respectivement leur méthode à celles de la terminologie ponctuelle ou systématique. La dernière bénéficie d’une méthode particulière, distincte des deux autres sous plusieurs aspects. Leur caractère commun réside dans la mise au point d’un filtre linguistique et lexicographique dont l’objectif est de permettre à coup sûr l’identification du statut néologique ou lexicalisé des termes retenus lors du travail de dépouillement, ou proposés pour dénommer une nouvelle réalité ou pour remplacer un terme indésirable. La description détaillée de cette méthode est en voie d’achèvement et elle devrait être publiée cette année.

4.1.4 La normalisation

La stratégie d’aménagement terminologique prévoit à priori le recours au processus de la normalisation. En principe, c’est le point d’aboutissement des travaux terminologiques. L’élaboration d’un dictionnaire terminologique se termine presque toujours par la normalisation de son contenu. L’acte de normalisation marque donc la reconnaissance de sa qualité intrinsèque et son acceptation par les milieux socioprofessionnels auxquels il s’adressait. Selon la procédure terminologique courante, la normalisation d’un lexique ou d’un vocabulaire relevait de la responsabilité du terminologue et du comité formé à l’occasion de ce que l’on appelait un chantier terminologique. Cette première manière de normaliser est celle qui est décrite dans la méthodologie de la recherche systématique.

En 1978, la normalisation a pris une autre ampleur. Sous l’impulsion de la Commission de terminologie de l’Office de la langue française et des diverses commissions ministérielles de terminologie, une démarche méthodologique nouvelle a été développée. La recherche fondamentale demeure toutefois similaire à celles décrites précédemment. La préparation des dossiers de normalisation est confiée à des terminologues de l’Office ou de l’extérieur de l’organisme qui appliquent les principes et les méthodes habituels aux étapes prévues.

Le cheminement d’un dossier est le suivant :

  1. Nature de l’avis demandé;
  2. Origine de la demande (personne ou organisme);
  3. Exposé détaillé du problème;
  4. Données terminologiques nécessaires à l’étude de la demande;
  5. Consultation des spécialistes du domaine touché par la demande;
  6. Propositions du rédacteur du dossier;
  7. Étude en commission et acceptation des propositions;
  8. Entérinement par les membres de l’Office de la langue française;
  9. Parution des avis de recommandation et de normalisation dans la Gazette officielle du Québec.

Selon la complexité du dossier analysé et scs implications, les décisions peuvent survenir sous la forme d’avis de normalisation ou de recommandation.

La Commission de terminologie étudie des demandes qui revêtent diverses formes :

  1. Les dossiers de termes isolés, c’est-à-dire qu’elle se prononce sur un terme ou un petit groupe de termes.
  2. Les dossiers d’envergure plus théorique, c’est-à-dire qu’elle se prononce sur des questions plus globales, comme la féminisation des titres, les règles d’écriture, etc.
  3. Les dossiers lexicographiques, c’est-à-dire qu’elle se prononce sur des dictionnaires terminologiques produits par des terminologues de l’Office ou d’organismes externes.
  4. Les énoncés de politique, c’est-à-dire qu’elle prépare ou fait préparer des politiques linguistiques qui ont pour but de statuer théoriquement sur un aspect ou un autre du programme d’aménagement linguistique et terminologique de l’Office (emprunt, régionalismes, qualité de la langue, néologie, etc.).

Tel que le stipule la Charte de la langue française, la Commission de terminologie coiffe donc désormais toutes les recherches qui conduisent à des décisions de normalisation ou de recommandation. Ainsi l’uniformisation et l’harmonisation de la normalisation sont assurées.

4.1.5 Les régionalismes

Le français utilisé au Québec a créé au fil des siècles un grand nombre de particularités lexicales, phonétiques et, dans une moindre mesure, des particularités grammaticales et syntaxiques. Des raisons d’ordre historique font qu’il faut tenir compte de ces différences d’avec le français européen, langue source. Idéologiquement, le processus de l’aménagement linguistique et terminologique postule la reconnaissance des régionalismes linguistiques propres au Québec, tout spécialement dans le domaine lexical. Ainsi, certains archaïsmes, dialectalismes, amérindianismes, néologismes et termi-nologismes sont-ils protégés et entérinés par l’Office. L’importance uantitative des québécismes a poussé l’organisme à s’occuper de ce ossier d’une manière toute spéciale. Une méthode de reconnaissance et d’acceptation des régionalismes a donc vue le jour. Elle prend appui sur les démarches terminologiques précitées, de même que sur les grandes conceptions actuelles de la lexicographie, qui valorisent de plus en plus la description totale ou partielle des patrimoines linguistiques régionaux des communautés francophones. Pour l’instant, cette méthode d’identification des québécismes découle d’un énoncé de politique sur les régionalismes lexicaux. Ce texte sert de filtre pour accepter ou rejeter les régionalismes. Il prévoit aussi des circonstances de non-intervention. La publication de l’énoncé est prévue pour le printemps.

4.1.6 La banque de terminologie

Les résultats nés des recherches terminologiques multiformes évoqués dans les cinq premiers points trouvent leur aboutissement dans la consignation dans la Banque de terminologie du Québec. L’enregistrement dans le grand réservoir de termes qu’est une ban-ue obéit à un certain nombre de règles strictes et bien définies afin ’assurer l’uniformité des données recueillies et rediffusées par la suite en direct ou en différé. Je ne fais que souligner cet aspect important du travail terminologique puisque non seulement il ne peut plus être ignoré, mais qu’il forme la voie de l’avenir. Par l’intermédiaire de terminaux disposés en plus de quarante points cruciaux du Québec, la banque de terminologie est maintenant en liens directs et constants avec la plupart des grandes entreprises québécoises.

4.2 Les entreprises privées et parapubliques

Le second sous-ensemble qui gravite dans l’orbite de l’Office de la langue française est celui formé des grands représentants des secteurs de l’activité socio-économique, soit les entreprises du secteur privé et celles du secteur parapublic. Ensemble, elles constituent la pierre angulaire du processus de la francisation. Elles sont à la fois le point de départ et le point d’arrivée des travaux terminologiques. Les objectifs fixés par la Charte de la langue française les ont donc incitées à avoir un rôle participatif et à se doter de méthodes de travail dont la plupart s’inspirent largement de celles de l’Office. À tout instant, ces entreprises travaillent en étroite collaboration avec les terminologues-conseils de l’Office. Leurs services de terminologie sont fort bien structurés et pourvus de tous les instruments modernes nécessaires à l’accomplissement du mandat de francisation. Grâce aux terminaux installés chez elles, l’accès aux principales banques de données terminologiques est instantané. Conscientes de leurs responsabilités dans le milieu québécois, les entreprises privées d’envergure, telles Bell Canada, Québec Cartier, les entreprises parapubliques, telles Hydro-Québec, Téléglobe Canada, Radio-Canada, la Société d’énergie de la Baie James, viennent alléger le fardeau de l’Office en matière terminologique en produisant elles-mêmes leurs dictionnaires terminologiques.

4.3 La Direction générale de la terminologie et de la documentation

La Direction générale de la terminologie et de la documentation est un organisme qui est rattaché au Bureau des traductions du gouvernement fédéral du Canada. Sa vocation première n’est évidemment pas la francisation intégrale du Québec, mais bien plutôt l’instauration du bilinguisme dans les ministères et institutions fédéraux au Canada. Il n’en demeure pas moins que l’activité terminologique déployée par la DGTD a des répercussions qui sont loin d’être négligeables sur le processus de changement linguistique au Québec. Nombre de dossiers sont en effet soumis aux deux paliers de gouvernement afin qu’une décision commune soit prise. De sorte que les travaux de terminologie doivent être coordonnés afin que les deux instances gouvernementales fassent les choix appropriés, comme cela s’est fait pour la terminologie des produits laitiers, par exemple. Dans le cas de nombreux dossiers, l’influence réciproque des méthodes de terminologie se fait donc largement sentir. Une foule de terminologues fédéraux sont en activité au Québec; la plupart travaillent en terminologie française. Les contacts avec leurs homologues provinciaux sont monnaie courante et la concertation de plus en plus fréquente. L’état actuel des rapports entre l’Office et la DGTD permet de croire que d’ici peu les deux banques de terminologie les plus puissantes du monde occidental seront interconnectées. Les résultats des recherches terminologiques de ces deux géants de la terminologie en Amérique du Nord seront donc plus accessibles pour tout le monde et plus harmonisés. Un partage des tâches pourrait ainsi être envisagé. C’est une perspective d’avenir très souhaitable.

4.4 Les universités

L’université est un lieu de formation où les étudiants acquièrent les connaissances minimales fondamentales dans une discipline ou une autre. Les besoins du Québec en terminologues ont fait qu’en moins de dix ans presque toutes les universités québécoises ont revu ou mis sur pied des programmes d’études en terminologie, de sorte qu’aujourd’hui l’enseignement de la terminologie théorique et pratique est un fait accompli dans sept universités au Québec (Laval, Montréal, Sherbrooke, Concordia, McGill, Université du Québec à Trois-Rivières et Université du Québec à Montréal). Ce réseau d’enseignement universitaire disposé à travers le Québec permet de répondre à la demande en terminologues nouveaux ou encore de parfaire la formation en terminologie des traducteurs en exercice. L’enseignement est dispensé aux premier, deuxième et troisième cycles des études à Laval et Montréal. Ailleurs, seul le premier cycle existe. L’impact théorique et pratique de cet enseignement peut être mesuré positivement dans les différents milieux de travail évoqués jusqu’ici. L’universitarisation de la terminologie est un bienfait pour cette discipline et une reconnaissance de son statut autonome parmi les autres disciplines des sciences humaines et des sciences du langage. Elle contribue à encadrer la formation des futurs terminologues et à assurer une uniformisation de plus en plus sûre des travaux terminologiques réalisés au Québec.

Au cours de chaque trimestre, environ 500 étudiants universitaires québécois reçoivent sous une forme ou une autre un ou plusieurs cours de terminologie dont certains sont obligatoires et d’autres optionnels dans les programmes d’études. Ainsi, au trimestre d’automne 1982, j’ai donné un cours d’initiation à la terminologie auquel assistaient quelque 225 étudiants.

5. Conclusion

Il est malaisé de conclure un pareil tour d’horizon sur la situation de la terminologie au pays du Québec. Je n’ai fait qu’effleurer une bonne part de notre vécu quotidien en terminologie et tisser le réseau multiforme et complexe du fonctionnement de la terminologie chez nous. J’ai préféré entremêler des linéaments divers plutôt que d’explorer en profondeur un champ particulier au détriment des autres qui sont tout aussi importants. J’ai retracé l’histoire récente, la situation actuelle et les développements prévisibles de la terminologie afin de donner le goût à d’autres de suivre le même chemin, à tout le moins de s’en inspirer. Je ne crois pas qu’il faille encenser la terminologie au point de croire que c’est le seul facteur indispensable pour procéder au changement linguistique d’un pays. Si l’on sait y faire, elle est un moyen d’action et d’intervention souverain. Elle est un auxiliaire précieux, une motivation de première grandeur, une voie fondamentale et un support logistique indéniable. Mais isolée des autres composantes de l’intervention linguistique que sont l’appui et la foi des responsables et des intervenants dans le dossier linguistique, elle ne saurait être très efficace. La terminologie existe, mais elle n’a de valeur véritable que lorsque les Hommes qui la pratiquent y croient fermement.

Note

[1] Texte d’une communication présentée en espagnol lors du Premier séminaire de terminologie tenu du 11 au 15 avril 1983 à l’Université Simon Bolivar de Caracas (Venezuela).

Référence bibliographique

BOULANGER, Jean-Claude (1984). « La situation de la terminologie au Québec, Lebende Sprachen, vol. 29, no 1, p. 19-22. [article]