L’aménagement linguistique du Québec ou le prélude à de nouvelles ordonnances

Jean-Claude Boulanger

La philosophie de base qui sous-tend la politique fédérale des langues n’est pas la même que celle qui sous-tend la politique québécoise. (...) si le français et l’anglais sont équipollents, ils ne sont pas pour autant équipotents, tants par l’importance numérique que par l’impact économique (Bédard et Maurais, 1983, p. 444).

1. Ouverture

Dans un projet d’aménagement linguistique et terminologique, la normalisation s’impose comme l’une des dynamiques majeures de l’opération de métamorphose envisagée. Elle peut même être considérée comme l’étape ultime de tout le processus de chambardement et de mutation linguistiques. Elle apparaît aussi comme une action plus politisée que les autres étant donné que toutes les décisions normatives sanctionnent des usages, imposent des comportements et tranchent des litiges de façon souvent péremptoire.

Lorsque l’action normalisatrice prend sa légitimité dans une loi à caractère linguistique, les conséquences se répercutent directement dans la communauté qui sent ses habitudes ébranlées. Comme toute prescription émanant du pouvoir, les termes ou les mots imposés dérangent et provoquent parfois des réactions hostiles de la part de certains utilisateurs qui n’apprécient généralement pas se faire dire comment écrire ou comment parler.

Au Québec, la normalisation terminologique est dotée par l’État d’une autorité juridique qui peut placer les contrevenants dans des situations embarrassantes. Afin de bien saisir la portée de la normalisation québécoise[1], il convient de retracer brièvement le parcours législatif et linguistique qui a concrétisé la création d’une Commission de terminologie au sein de l’Office de la langue française (OLF), commission à laquelle le législateur a greffé une vocation dont le principe doctrinal assure une cohérence interne et externe à tout le processus interventionniste.

2. Origine de la Charte de la langue française

La Charte de la langue française, connue aussi dans le public sous la dénomination Loi 101, fut sanctionnée le 26 août 1977 par l’Assemblée nationale du Québec. Elle succédait à la Loi 22, dite Loi sur la langue officielle, votée en 1974. Alors que l’avant-dernière loi se caractérisait par sa nature incitative, la Charte prenait le relais avec plus de mordant puisqu’elle contient des dispositions coercitives, plus contraignantes au regard du projet d’aménagement linguistique de la société québécoise. La législation prévoit aussi bien l’aménagement du statut de la langue, lorsque l’action porte sur le système même de la langue, que l’aménagement du corpus de la langue, c’est-à-dire « la généralisation d’un des usages d’une langue érigé en modèle pour la communication institutionnalisée » (CORBEIL, 1980, p. 10). La Charte a donné une impulsion sans précédent aux efforts de francisation déjà en cours depuis une génération, tout en demeurant fidèle à la tradition québécoise de respect envers la communauté anglophone, économiquement dominante, et les autres minorités autochtones ou de peuplement plus récent. Pierre angulaire de la politique linguistique laurentienne, la Charte prône un unilinguisme nuancé et un réaménagement du tissu linguistique québécois.

Afin de faciliter l’application de la loi, quatre organismes furent créés :

  1. L’Office de la langue française, qui s’occupe de la francisation ainsi que de la recherche terminologique et terminographique.
  2. Le Conseil de la langue française dont le premier rôle en est un de consultation, puisqu’il doit donner au ministre responsable son avis sur des questions que celui-ci lui soumet au sujet de la situation de la langue française ou de toute autre langue sur le territoire. Le Conseil est d’abord un organisme chargé de l’étude et de la recherche sur la situation linguistique. Il n’intervient qu’indirectement dans l’usage.
  3. La Commission de protection de la langue française qui n’entre en jeu qu’à la suite de plaintes de la part des citoyens qui se sentent lésés dans les droits que leur reconnaît la Charte. Dans la plupart des cas, les problèmes sont réglés par voie de négociation comme le démontrent les statistiques récentes : sur 18 000 dossiers déposés devant la Commission depuis sa fondation, 17 700 furent réglés hors cours (les chiffres ne valent que jusqu’à la fin de 1985).
  4. La Commission de toponymie, qui veille à normaliser tous les noms de lieux existant au Québec, qui s’affaire aussi à nommer les entités qui n’ont pas encore de dénomination mais qui existent en nombre considérable un peu partout sur le territoire.

L’OLF est celui des quatre organismes qui emploie le plus grand nombre de personnes, soit environ 350. Il intervient au premier chef dans les situations terminologiques et il est mandaté pour s’occuper de la normalisation. Les mécanismes d’intervention sont prévus dans la Charte. Celle-ci stipule à l’article 113 a, que l’Office a le devoir de « normaliser et diffuser les termes et expressions qu’il approuve ». Plus loin, à l’article 114 b, la loi donne à l’Office le pouvoir « d’instituer des commissions de terminologie, [d’en] déterminer la composition et le fonctionnement et au besoin, [de] les déléguer auprès des ministères et organismes de l’Administration ».

Dès avril 1978, l’Office a institué la Commission de terminologie de l’Office de la langue française (CTOLF) qui revêt un caractère central en ce qu’elle coiffe tout le réseau des commissions ministérielles de terminologie : Affaires sociales, Transports, Éducation,... Elle revoit les décisions et propositions des commissions sectorielles puis elle les soumet, avec les siennes propres, aux membres de l’Office pour approbation. Jusqu’à récemment, la CTOLF a proposé presque tous les avis officiels de recommandation ou de normalisation pour l’Office. Toutes les décisions arrêtées sont publiées dans la Gazette officielle du Québec, qui devient le relais nécessaire et légal pour implanter les avis d’ordre prescriptif. L’article 118 de la loi rend obligatoire l’utilisation des termes normalisés : dans les textes et documents qui émanent de l’Administration, dans les contrats auxquels l’Administration est partie, dans les ouvrages d’enseignement, de formation ou de recherche publiés en français au Québec et approuvés par le ministère de l’Éducation. L’emploi des termes normalisés n’est imposé que dans l’Administration ou les institutions et les entreprises qui font affaire avec elle. L’obligation n’est donc pas explicitement contraignante pour les entreprises, les industries ou les commerces qui ne sont pas tenus d’accepter les prescriptions officielles. Ils seraient plutôt « incités » par l’exemple et l’autorité morale dont jouit l’OLF. Voilà donc signalés les linéaments législatifs qui encadrent l’activité normalisatrice théorique et pratique de l’OLF

3. Origine de la terminologie québécoise

Avant de pousser plus avant le tracé de l’aménagement terminologique, il semble essentiel d’expliciter la nature de la terminologie au Québec.

Depuis 25 ans maintenant, la terminologie bénéficie d’infrastructures politiques qui ont pris la forme de lois linguistiques successives et de plus en plus orientées vers des préoccupations relatives aux langues de spécialité. L’aménagement des comportements linguistiques des Québécois en tant que groupe social homogène repose sur un arrière-plan législatif qui influence grandement l’exercice individuel de la langue, même si la loi ne fait pas d’allusion directe à la communication à des fins personnelles ou privées.

La terminologie a pour fonction de soutenir la francisation qui consiste pour le Québec à passer d’un ensemble de circonstances de la vie professionnelle où la langue anglaise était le code linguistique dominant à un nouveau mode de vie dans lequel la langue française sera capable de satisfaire les moindres exigences de la communication dans tous les milieux de travail et à tous les niveaux hiérarchiques.

Dans les milieux socioprofessionnels visés par la francisation, la terminologie s’est rapidement imposée comme un moyen d’action dynamique. Elle se caractérise par une double facette : l’institutionnalisation et l’interventionnisme. Cette double articulation de la terminologie particularise les efforts québécois en aménagement linguistique afin de contrer l’érosion provoquée par les contacts avec d’autres langues, principalement l’anglais, et de prévenir l’acculturation qui découlerait de la mainmise d’une langue étrangère dans toutes les activités se déployant sur le territoire.

La terminologie est institutionnelle en ce sens qu’elle ne concerne que l’usage officiel des termes et non pas leur usage privé ou individuel. « La Charte définit des interventions qui conviennent en priorité aux institutions et non pas aux personnes agissant à titre privé. Ceci implique que dans l’exercice de ses fonctions officielles, l’individu est en situation de communication institutionnelle et non plus individuelle. Il doit alors choisir la norme de communication que l’institution impose de manière relative ou absolue. Il est lui-même dépersonnalisé au profit de l’institution qu’il représente. Il ne peut alors être tenu responsable des déficiences constatées dans la communication, la responsabilité en incombant à l’organisme, de même que la décision d’y remédier » (BOULANGER, 1984, p. 19-20).

La terminologie est interventionniste en ce sens que les travaux menés par les terminologues des entreprises québécoises ou de l’OLF injectent dans l’usage professionnel des milliers de termes dont une bonne partie reçoit l’aval officiel de la Commission de terminologie sous la forme d’avis de recommandation ou de normalisation. Un aller-retour constant entre d’un côté les demandeurs et les consommateurs de terminologies et d’un autre côté les recenseurs et les créateurs de terminologies, accélère le mouvement d’uniformisation et de francisation.

D’un point de vue plus linguistique, les travaux de terminologie s’appuient sur des principes théoriques et pratiques hérités de la linguistique, de la lexicographie, de la traduction, de la sociolinguistique et de la normalisation internationale, assises sur lesquelles il n’y a pas lieu d’élaborer pour le moment (voir BOULANGER, 1984, p. 20). Qu’il suffise de mentionner que l’apport normalisateur provient des recherches germanophones, surtout autrichiennes, auxquelles il emprunte certains principes et méthodes développés en particulier par l’Organisation internationale de normalisation (ISO). Qu’il suffise de rappeler aussi que l’apport lexicographique dérive de la tradition lexicographique française. Tous ces facteurs, liés à l’effervescence politique, sociale, culturelle et éducationnelle du Québec entre 1960 et 1970, ont créé un creuset dans lequel se sont amalgamés des éléments d’ordre linguistique et des éléments d’ordre extralinguistique qui ont débouché sur la conception puis la mise en œuvre d’un projet de métamorphose linguistique unique au monde. La langue est une institution sociale et un instrument de communication et elle ne peut, en cette double qualité, être laissée à la discrétion de chacun des locuteurs, du moins dans l’état du monde tel que nous le connaissons aujourd’hui. Il est bien connu que l’inertie des sujets parlants est fondée sur deux principes complémentaires : celui de la résistance naturelle aux changements et celui d’un attachement indéfectible à la tradition.

Plus récemment, les énormes développements technologiques sont venus renforcer le besoin massif de terminologies nouvelles en français. Qu’on songe par exemple à l’augmentation des nouvelles technologies, à leur poussée expansionniste, au fractionnement des spécialités (ex. informatique → micro-informatique, intelligence artificielle, infographie), à la diversification professionnelle des utilisateurs d’une même terminologie diffusée dans de multiples secteurs qui ne sont pas toujours apparentés (ex. intelligence artificielle → robotique, éducation, gestion, systèmes d’expertise, etc.). Le Québec, aire francophone enclavée dans le nord-est du continent américain, se devait de réagir et d’intégrer rapidement la nouvelle composante technologique dans son programme d’aménagement terminologique. De ce fait, le rôle de la néologie s’est accru considérablement, élargissant les perspectives en ce qui regarde les raisons d’aménager la langue : du simple processus du passage d’une langue à l’autre, il faut adjoindre la nécessité de rééquilibrer, de refaçonner, d’enrichir le français et de justifier des particularismes lexicaux en face d’une norme centralisatrice, en l’occurrence la France (voir BOULANGER, 1985 a).

4. Place de la normalisation en terminologie

La normalisation, puis la diffusion des termes et expressions approuvés par l’Office (art. 113 a), de même que son pouvoir d’instituer des commissions sectorielles de terminologie, d’en déterminer la composition et le fonctionnement (art. 114 b) ont amené l’organisme à proposer un « énoncé de politique en matière de normalisation terminologique ». Le document définit de manière précise le mandat de normalisation de la Commission de terminologie, la nature et l’origine des terminologies à normaliser, la nature de la normalisation, les mécanismes de fonctionnement, les moyens de diffusion des avis proposés ainsi que le statut de la dite commission (voir AUGER, 1982, p. 6).

Dès l’origine de la CT, les responsables ont distingué deux concepts fondamentaux :

  1. La « normalisation linguistique », qui constitue le concept générique et qui désigne « toute action menée sur la langue et ses constituants, y compris le vocabulaire de la langue générale » (AUGER, 1982, p. 6).
  2. La « normalisation terminologique », qui est nettement orientée du côté des langues de spécialité et qui désigne « l’action par laquelle un organisme officiel entérine un usage terminologique de préférence à un autre et à l’exclusion de tout autre » (AUGER, 1982, p. 6). Le terme normalisation est ici saisi dans le sens d’une intervention externe, de geste normalisateur « dont l’objet est d’agir sur les systèmes terminologiques que sont en fait les terminologies » (AUGER, 1984 a, p. 9). Ce sens s’oppose au processus d’autorégulation interne des terminologies par l’établissement des consensus socioprofessionnels, c’est-à-dire l’uniformisation des usages par les consommateurs eux-mêmes (entreprises, commerces, scientifiques, techniciens, etc.) sans avoir à passer par un filtre officiel.

La question se pose alors de savoir si la CT, ou plutôt l’Office, peut intervenir dans la langue générale. La Charte précise certaines circonstances langagières qui montrent bien que des personnes ou des groupes de personnes travaillant dans le cadre législatif, font un usage officiel de la langue, c’est-à-dire qu’ils n’agissent pas à des fins individuelles. C’est sur cet usage officiel exclusif que la CT se prononce. « Nulle part dans la Charte, il n’est question d’intervenir sur la langue des Québécois agissant comme personne privée ou en situation langagière privée » (Auger, 1982, p. 6).

Mais ces précisions ne clarifient pas vraiment les rapports que l’Office entretient avec la langue de tous les jours ou avec la communication individualisée. La Charte ne limite aucunement les domaines d’intervention et d’application de la normalisation; cela laisse entendre que le lexique général, tout comme le lexique terminologique, peut être examiné. En réalité, une séparation nette entre les deux demeure parfois au plan théorique. Dans les sphères d’activités ultraspécialisées comme l’actuariat ou l’arpentage spatial, la frontière entre la langue générale et la langue de spécialité demeure perceptible car l’écart est grand entre les deux perspectives. Mais dans des secteurs comme l’habillement ou l’alimentation, l’osmose est toujours possible, voire même naturelle. L’intervention normalisatrice se propage infailliblement chez les utilisateurs professionnels des terminologies puis dans l’ensemble de la population qui consomme les produits industriels ou commerciaux issus de ces activités. Consciemment ou non, tous les Québécois sont alors rejoints par la terminologie qu’ils intègrent dans leur discours quotidien.

En pratique, on peut donc constater que la distinction entre normalisation de termes, qui renvoie au vocabulaire terminologique, et normalisation de mots, qui fait référence au vocabulaire général, n’est guère fonctionnelle.

5. Historique de la normalisation

Au dire de Pierre Auger, la normalisation terminologique s’inscrit comme l’une des six fonctions fondamentales de l’aménagement terminologique global. Ce concept peut être entendu comme étant un processus éclairé et réfléchi grâce auquel sont planifiées, élaborées, diffusées et implantées des terminologies dans le vécu langagier d’un groupe-cible ou d’un ensemble socioprofessionnel sur un territoire donné. Les six fonctions fondamentales sont : la fonction recherche, la fonction normalisation, la fonction diffusion, la fonction implantation, la fonction évaluation et contrôle et la fonction mise à jour (voir AUGER, 1986, p. 48-53). À ces six fonctions, il conviendrait d’en adjoindre une septième qui serait la fonction formation (point de vue pédagogique); de fait, celle-ci est la première en titre, puisque tout projet d’aménagement doit prévoir une formation adéquate des terminologues appelés à œuvrer dans ce contexte.

Si l’on se penche sur le volet de la normalisation terminologique dans le cadre du projet d’aménagement linguistique du Québec, deux étapes peuvent caractériser l’évolution de l’activité de normalisation : la période qui a précédé la mise en application de la Charte et la période qui lui est postérieure.

5.1. Jusqu’en 1977, la normalisation terminologique constituait une étape des travaux de recherche et d’élaboration d’une terminologie spécifique. Elle consistait alors « en la révision par un comité d’experts des termes traités par le terminologue, de façon à s’assurer que les travaux [étaient] complets, qu’ils [étaient] de qualité sur le plan scientifique et sur le plan linguistique, et qu’ils [correspondaient] aux besoins du milieu » (AUGER, ROUSSEAU, BOULANGER et coll., 1978, p. 48).

Cela signifie que pour chaque dictionnaire terminologique mis en chantier, une équipe de spécialistes ou de professionnels collaborait avec les terminologues afin de mettre au point et d’adopter les terminologies traitées. Au besoin, l’équipe mixte, composée d’experts et de langagiers, se rendait en France afin de soumettre les résultats de ses travaux à des collègues européens. Cette première démarche de normalisation s’apparente davantage à un processus d’autorégulation des ensembles de termes par l’établissement d’un consensus socioprofessionnel plutôt qu’à une offensive interventionniste sise au niveau proprement linguistique et étatique. La normalisation des terminologies d’entreprises s’effectuait alors par l’acquisition d’une base d’entente commune au sein de l’équipe rédactionnelle chargée de l’élaboration d’une terminologie industrielle (par ex. les pâtes et papiers, la manutention, les mines). L’entente convenait à toutes les entreprises œuvrant dans le même secteur avec comme objectif primordial la mise au point d’une terminologie uniformisée et fonctionnelle. Somme toute, la méthode préconisée favorisait l’utilisation réelle et immédiate ainsi que l’efficacité de la communication.

5.2. À partir de 1978, la Loi 101 modifie en profondeur les manières d’accomplir la recherche terminologique. La normalisation est immédiatement concentrée au sein d’une commission de terminologie et les décisions ultimes passent par le filtre supérieur de l’Office, c’est-à-dire les membres qui forment l’instance suprême et qui répondent directement au ministre. « L’Office est composé de cinq membres dont un président nommés par le gouvernement pour au plus cinq ans » (art. 101).

La Commission de terminologie de l’OLF est une commission centrale qui supervise les travaux des commissions ministérielles tout en conduisant ses propres recherches. Les deux groupes forment concrètement la structure de base de l’activité normalisatrice québécoise en matière de langues de spécialité. Les comités interentreprises de terminologie (par ex. la bureautique, l’imprimerie, les transports) s’ajoutent parfois aux commissions instituées directement par l’Office. Les résultats de leurs travaux sont déposés à la commission générale qui soumet ses conclusions aux membres de l’Office pour approbation (art. 117).

La mission première des commissions de terminologie est de « faire l’inventaire des mots et expressions techniques employés dans le secteur qui leur est désigné, d’indiquer les lacunes qu’elles y trouvent et de dresser la liste des mots et expressions techniques qu’elles préconisent » (art. 116).

L’envergure des travaux à réaliser, la multiplicité des demandes ainsi que l’éventail de sujets à traiter ont amené la CTOLF à se doter de mécanismes rigoureux, tant en ce qui regarde la méthodologie de recherche que la recevabilité des dossiers. La subjectivité toujours possible des normalisateurs est ainsi neutralisée et les résultats sont mieux garantis. En outre, l’appareil mis au point favorise les retombées linguistiques directes, indirectes ou différées sur la population québécoise. L’impact est perceptible à plusieurs niveaux et des changements de comportement langagier s’instaurent à court, à moyen ou à plus long terme (ex. les féminisations : auteure, ingénieure, députée, déléguée, une ministre, etc., ne font plus frémir personne). La Commission est consciente de certaines difficultés en ce qui regarde le chambardement trop rapide. C’est ce qui explique notamment sa prudence à l’égard de certains dossiers. Néanmoins, quelques vieilles habitudes linguistiques ne se modifient pas facilement : ex. finissant (Q) → sortant (F); hamburger (emprunt) → hambourgeois (fr.); les propositions officielles sortant et hambourgeois n’ont pas convaincu tout le monde, d’autant que leur collision avec la langue générale est très marquée.

6. La Commission de terminologie : composition et fonctionnement

Il convient maintenant de préciser comment est structurée la CT et quelles sont ses modalités de fonctionnement.

6.1. Composition de la CT

La Commission de terminologie est composée de sept membres :

Un secrétariat coordonne le fonctionnement de la commission, gère les dossiers et entretient les rapports avec le législateur (Gazette officielle du Québec).

6.2. Fonctionnement de la CT

Le fonctionnement de la CT peut être examiné suivant quatre points de vue :

  1. Le cheminement administratif et méthodologique des dossiers.
  2. Les degrés de normalisation.
  3. Les situations terminologiques.
  4. Les catégories de dossiers étudiés.

6.2.1. L’aspect administratif du cheminement des dossiers terminologiques acceptés pour étude prend l’allure suivante :

  1. Nature de l’avis demandé : les demandes terminologiques sont traitées en priorité et elles doivent être conformes aux domaines d’intervention reliées à la Charte et touchant la langue officielle.
  2. Origine de la demande : la personne ou l’organisme demandeur doit démontrer le caractère d’urgence de la nécessité d’intervention et son intérêt pour la question.
  3. Exposé détaillé du problème selon la méthodologie de recherche élaborée par la CT.
  4. Données terminologiques et terminographiques nécessaires à l’étude de la demande.
  5. Consultation des spécialistes du domaine touché par la demande, tant au niveau national qu’international, mais surtout francophone.
  6. Propositions de solutions par le rédacteur responsable du dossier.
  7. Étude en commission et acceptation ou choix des propositions, en présence du terminologue-rédacteur. Si un ou des aspects du dossier demeurent obscurs ou paraissent incomplets, celui-ci est retourné au point de départ pour une poursuite des consultations.
  8. Entérinement des décisions par les membres de l’Office de la langue française.
  9. Parution des avis de recommandation et de normalisation dans la Gazette officielle du Québec.
  10. Suivi et mise à jour.

6.2.2. Selon la complexité du dossier analysé, le public visé, les implications subséquentes et le caractère de permanence des éléments terminologiques entérinés, les décisions peuvent survenir sous la forme d’avis de normalisation ou de recommandation. Le premier type d’avis rend obligatoire l’emploi des termes tandis que le second type préconise un usage et sert d’étape transitoire vers une décision de normalisation ultérieure, si nécessaire. « La normalisation et la recommandation constituent les deux formules officielles de la normalisation au Québec » (RONDEAU, 1983, p. 425). Ainsi, la décision rendue publique le 28 juillet 1979 recommande « l’utilisation des formes féminines dans tous les cas possibles » (RALT, 1982, p. 16). La décision rendue publique le 19 juin 1982 normalise certains termes géographiques hydronymiques, par exemple branche, bras, chute, courant, courbe, méandre, rapide, remous, coude (voir RALT, 1982, p. 73).

Pour l’aider à choisir entre la normalisation immédiate, la recommandation ou la non-intervention, le normalisateur considère un certain nombre de facteurs parmi lesquels il importe de signaler :

Sur la base des facteurs précédemment énumérés, le normalisateur décidera d’intervenir par la voie de la normalisation ou par celle de la recommandation.

L’Office de la langue française normalisera dans le but de :

Les avis de recommandation visent à :

La recommandation constitue une étape vers la normalisation et elle doit être perçue en ce sens. Il faut enfin remarquer « que les actes de normalisation ou de recommandation portent non seulement sur les termes, mais également sur la définition qui les accompagne » (RONDEAU, 1983, p. 429).

6.2.3. Les situations terminologiques examinées sont fortement influencées par des facteurs géographiques, historiques, sociopolitiques, socioprofessionnels et socioéconomiques. Pierre Auger a identifié cinq catégories de terminologies qui guident les recherches de la commission (cf. AUGER, 1984 b, p. 334 et suiv.).

  1. Les terminologies qui représentent des sciences, des techniques ou des terminologies peu différenciées dans le monde francophone et qui sont par le fait même internationalisables, ou mieux interfrancophonisables. C’est le cas des terminologies industrielles, comme la mécanique, la machine-outil, l’électronique, l’informatique.
  2. Les terminologies traditionnelles régionales qui entrent en conflit avec les terminologies françaises européennes, anciennes ou nouvelles. C’est le cas des terminologies de la foresterie, de l’agriculture, du flottage du bois.
  3. Les terminologies spécialisées issues en grande partie de la langue générale, comme c’est le cas des terminologies reliées au commerce au détail des biens d’alimentation, à la fabrication des biens de consommation les plus courants (vêtements, automobiles, appareils électroménagers, etc.).
  4. Les terminologies représentant un phénomène massif d’emprunt et implantées en même temps que les réalités qu’elles désignent. C’est le cas notamment des terminologies de la restauration rapide, de celle d’une certaine forme de culture musicale (le disco, le rock); etc.
  5. Les terminologies en voie de formation ou de stabilisation qui appartiennent à des domaines technologiques de pointe. Ces terminologies peuvent se développer au Québec (ex. l’hydro-électricité, la motoneige, les machines à papier) ou avoir un caractère nettement panfrancophone (l’infographie, l’intelligence artificielle, la vidéo).

6.2.4. Les façons d’amorcer le processus de normalisation varient en fonction du genre des demandes. Les dossiers sont classables en six groupes distincts.

  1. L’étude de termes isolés, c’est-à-dire que la commission est appelée à se prononcer sur un terme (ex. maintenance, dépanneur, autobus scolaire) ou sur un petit ensemble d’unités ayant entre elles des liens notionnels (ex. Domaine de la comptabilité [vérification] : vérification, vérification interne, vérification légale, vérificateur, vérifier : RALT, 1982, p. 27). Les recherches terminologiques de ce type sont qualifiées de ponctuelles.
  2. L’étude de dossiers d’envergure plus théorique qui oblige la commission à se pencher sur des questions plus globales, comme la féminisation des titres de métiers et de professions, les règles d’écriture des noms de peuples amérindiens, les règles d’écriture des majuscules, les préfixes inter- et intra-. La CT détermine alors des principes généraux auxquels les usagers se reportent lorsqu’un cas se présente.
  3. L’étude de la terminologie complète d’un secteur des connaissances humaines. En général, les études sont menées par les commissions ministérielles de terminologie, puis soumises à la grande commission. Les recherches sont parfois réalisées en plusieurs parties, chacune étant relayée à l’Office au fur et à mesure de son achèvement. C’est le cas notamment de la terminologie de l’éducation, de la géographie, des affaires sociales. Il s’agit ici de recherches dites systématiques.
  4. L’étude de terminologies complètes et déjà publiées sur lesquelles la commission est appelée à donner son assentiment. Les dossiers sont dits terminographiques puisqu’il s’agit de dictionnaires terminologiques produits par des terminologues de l’Office (ex. Le Vocabulaire de l’habillement publié en 1980 et recommandé en 1981, le Dictionnaire de l’eau publié en 1981 et recommandé la même année), ou par des organismes externes, avec ou sans la collaboration des terminologues de l’Office (ex. Le Vocabulaire du matériel papetier, publié en 1983 par les Presses de l’Université du Québec et recommandé la même année).
  5. Des normes préparées ailleurs (AFNOR en France, Bureau de normalisation du Québec [BNQ]) peuvent recevoir la sanction de l’Office. La sanction est implicite dans le cas des normes de l’AFNOR puisque cet organisme jouit déjà d’un pouvoir de normalisation linguistique reconnu par la francophonie et par les autorités normalisatrices internationales comme l’Organisation internationale de normalisation (ISO) ou la Commission électrotechnique internationale (CEI). Dans le cas du BNQ, la CT se réserve le pouvoir d’avaliser les normes (texte et terminologie qui s’y trouve) qui lui sont soumises, comme ce fut le cas, entre autres, pour le système international de mesure (SI) (voir La PALME, 1984).
  6. La mise au point d’énoncés de politique que la commission prépare ou fait préparer et dont l’objectif est de statuer théoriquement sur un aspect ou sur un autre du programme d’aménagement linguistique et terminologique de l’Etat québécois. Ces dossiers ont un caractère plus linguistique que terminologique en ce sens qu’ils jettent déjà des ponts en direction de la langue générale, puisqu’ils s’intègrent dans le processus global de l’aménagement québécois. Les questions abordées à ce jour ont été celles de l’emprunt, des québécismes, de la qualité de la langue et de la néologie (créativité lexicale). Je reviendrai plus loin sur les deux énoncés déjà publiés.

La CT a fonctionné sur ces principes multiformes entre le début de 1978 et 1984. Depuis le mois de février 1985, certaines modalités ont subi quelques modifications afin de répondre aux enquêtes évaluatives menées auprès des linguistes, des terminologues gouvernementaux ou d’entreprises ainsi qu’auprès du public[2]. Pour ne mentionner qu’un seul de ces changements, je signale que le parallélisme recommandation/normalisation est maintenant métamorphosé en une hiérarchisation qui exige de procéder invariablement de la première vers la seconde. Cela signifie que toutes les décisions prennent désormais l’allure de recommandations, dont la période d’essai est fixée à 12 mois. Après un délai suffisant pour mesurer l’implantation, certaines recommandations pourront être transformées en normes définitives, ce qui assurera une plus grande fiabilité aux décisions. L’atténuation de l’interventionnisme normalisateur, jusque là sans stade intermédiaire obligatoire, permet plus de flexibilité lorsqu’il s’agit de retirer un terme qui ne fonctionne manifestement pas dans la communication socioprofessionnelle. En outre, tous les cas qui pourraient avoir un lien avec la langue générale seront limités à la seule formule de la recommandation. Les utilisateurs ont désormais leur mot à dire dans le processus décisionnel. La latitude dont se pourvoit la commission ne diminue en rien les objectifs qu’elle se donne de participer à la francisation intégrale du Québec. Elle n’oblitère pas non plus son rôle socioterminologique de guide pour toute personne ou tout groupe qui entreprend des travaux terminologiques. La CT actualise de nouvelles procédures propres à plaire à tous les intervenants externes avec lesquels elle a partie liée; « cet environnement est dynamique, complexe, hétérogène et constitué par définition d’une série de forces plus ou moins contrôlables auprès desquelles l’intervention doit être planifiée » (BÉDARD et MAURAIS, 1983, p. 448).

Ainsi donc, la démarche normalisatrice, qui marque l’apogée dans le contexte de l’intervention linguistique étatique, doit être caractérisée par « un degré élevé de spécialisation, de formalisme et de standardisation des procédures et par la recherche de l’univocité et du consensus » (BÉDARD et MAURAIS, 1983, p. 443). La réussite de la métamorphose linguistique d’une société ne repose sur aucun autre critère que celui de l’excellence de l’action, complétée par une pédagogie de diffusion systématique et d’une très grande qualité. Ceci afin d’atteindre le maximum d’intégration et d’économie linguistiques en ce qui regarde le projet d’une société renouvelée.

7. Ordonnances et édits

En œuvrant dans le domaine de la terminologie, le Québec a mis en lumière deux phénomènes majeurs et préoccupants pour la société : l’emprunt et les régionalismes, plus particulièrement les québécismes. Les milliers de dossiers traités par la Commission de terminologie ont confirmé que ces deux pôles d’attraction linguistique devaient être examinés avec beaucoup de soin et de prudence. Avec la productivité néologique croissante et nécessaire, l’emprunt et les québécismes constituent des priorités. Étant donné leur importance, ils ont été envisagés d’un point de vue global et théorique. Les résultats concrets se présentent sous la forme de deux énoncés de politique dont il convient de parler maintenant à la lumière d’une perspective d’ensemble de la situation linguistique du Québec.

D’une part, les interventions de l’Office dans les secteurs spécialisés de la langue ne peuvent être étanches. Elles débordent largement sur des préoccupations qui ont pour objet la description, à plus ou moins long terme, d’une norme généralisée du français écrit et parlé sur le territoire. L’aboutissement ultime de tels travaux prendrait la forme d’un dictionnaire d’usage du français québécois, dictionnaire complet et non pas différentiel; il va de soi que l’ouvrage devra éviter la créolisation du français québécois et l’alignement inconditionnel sur le français central. Plus les travaux de l’Office progressent et se diversifient, plus on se rend compte que le concept de « norme terminologique » est imbriqué dans celui de « norme lexicale », concept lui-même intégré dans celui de « norme linguistique ». Il ressort de l’analyse que « la normalisation terminologique est une rude tâche et qu’elle ne peut être conduite isolément d’une idéologie globale vis-à-vis du concept de langue d’usage » (Auger, 1984 b, p. 338-339).

D’autre part, la situation sociolinguistique du Québec doit s’allier aux nécessités de l’uniformisation la plus complète possible des terminologies produites en français afin de conserver la clarté et la précision des communications institutionnelles et socioprofessionnelles entre tous les partenaires francophones. C’est dire que la vocation internationale du français est un élément intrinsèque des terminologies. Cette vocation doit être fermement entérinée par le Québec et, de fait, elle l’est. La contribution régionale québécoise vise donc à enrichir le français universel et non pas à rétrécir la marge de manœuvre de notre variété de français sur le marché de la francophonie.

La dualité des fonctions des régionalismes doit trouver son point de fusion dans la nécessité de créer simultanément pour soi et pour les autres. Si l’un des deux pôles manque, le danger existe de glisser vers la créolisation d’une part, ou d’encourager l’impérialisme linguistique interne d’autre part, ce qui n’est pas à l’avantage de la francophonie en ce moment (voir BOULANGER, 1985 b). Toutefois, les problèmes ne sont pas réglés pour autant. En effet, la perspective de la multiplication et de la dispersion des lieux d’émergence des terminologies au sein d’une même langue, tant au plan national qu’au plan international, peut compromettre l’autorégulation des terminologies françaises qui ne recevaient naguère leurs lettres de noblesse que de Paris. Les risques de perturbation sont dus aujourd’hui à l’apparition d’un phénomène récent en langue française, « celui de la coexistence de plusieurs sources d’autorité terminologique, qui est une forme particulière d’un phénomène plus global, celui de la coexistence de plusieurs modèles linguistiques, de plusieurs normes, tout aussi légitimes les unes que les autres » (CORBEIL, 1985, p. 6). Ainsi, qu’arrive-t-il dans la communauté francophone lorsque le Québec normalise un terme comme bande publique (angl. citizen’s band) et que la France choisit canal banalisé (ce qui permet de conserver le sigle CB, qui donne le dérivé cibiste), surtout lorsque c’est l’aire régionale qui officialise un terme avant Paris?

7.1. Les ordonnances

7.1.1 Le 5 septembre 1980, l’Office de la langue française adoptait un document intitulé Énoncé d’une politique relative à l’emprunt de formes linguistiques étrangères, dont le principe général stipule que « la communauté linguistique francophone du Québec, tout en maintenant sa faculté de dénommer en français des réalités qui lui sont internes ou externes, doit tenir compte des exigences de la communication entre les membres de la francophonie » (OLF, 1980, p. 6).

Les objectifs de l’énoncé sont de :

  1. Répondre au besoin d’une prise de positon officielle et précise de l’Office dans l’accomplissement de son mandat de normalisation.
  2. Répondre aux multiples besoins exprimés de toutes parts au Québec quant à l’élaboration de lignes directrices régissant l’emploi de la langue officielle en général et, en particulier, le recours légitime à l’emprunt.
  3. Poser un jalon indispensable vers l’établissement, à plus long terme, d’une politique globale de l’emploi de la langue française au Québec, y compris une norme du français parlé et écrit.
  4. Confirmer le rôle prépondérant que doit jouer le Québec, au sein de la francophonie, dans la recherche de moyens d’exprimer en français des réalités nouvelles, dont bon nombre sont d’origine nord-américaine.

L’énoncé de politique renferme une typologie des critères qui font qu’un terme étranger sera entériné, qu’il sera rejeté, ou encore qu’il ne fera l’objet d’aucune intervention. La catégorisation des critères montre comment le normalisateur a considéré la situation exceptionnelle du Québec au regard de l’emprunt. Les aspects sociolinguistiques, culturels, politiques, historiques et démographiques ont manifestement joué des rôles prépondérants dans les choix préconisés par l’organisme interventionnaire.

7.1.2. Le document intitulé Énoncé d’une politique linguistique relative aux québécismes fut adopté par l’OLF le 21 juin 1985. Le texte s’insère dans le prolongement des travaux menés sur le français québécois par les divers organismes gouvernementaux qui ont reçu un mandat linguistique et qui se sont succédés depuis 1961. Malgré les orientations terminologiques des travaux étatiques, la question de la qualité de la langue générale et celle de la promotion d’une norme linguistique ont toujours préoccupé les organismes mandatés par les législations linguistiques. À mesure que les travaux de terminologie augmentent en nombre et en étendue, le choix d’un modèle linguistique de référence devient de plus en plus impératif. Il ne peut plus être écarté, les incidences provoquant des retombées à tous les niveaux d’usage du français au Québec.

L’énoncé s’inscrit comme une étape cruciale de la description d’un modèle linguistique du lexique québécois officiel. « Cela signifie que l’énoncé s’intéresse en priorité au volet terminologique de la langue française au Québec, qu’il donne son avis sur la communication institutionnelle ou officielle dans le cadre délimité par la Charte de la langue française et dans le registre soutenu de la langue française au Québec » (OLF, 1985, p. 4). Les circonstances de discours scientifiques et techniques demeurent donc privilégiées. Nonobstant, la frontière entre la langue générale et la langue spécialisée est souvent ténue, parfois même inexistante, et le document est le premier texte officiel à le reconnaître explicitement lorsqu’il définit les objectifs linguistiques généraux. La politique entend « définir des principes permettant de poursuivre la réflexion sur le lexique québécois contemporain, de participer à sa description et, partant, d’apporter une contribution à la définition de la norme langagière québécoise » (OLF, 1985, p. 11). Par ailleurs, l’Office ne souhaite pas intervenir dans l’usage privé de la langue. En outre, le document n’embrasse que l’aspect lexical de la langue, délaissant pour l’instant les autres composantes, comme la phonétique, la syntaxe, la grammaire, etc.

Le principe général de l’énoncé stipule que « le statut de certains termes en usage au Québec doit être déterminé d’une manière officielle, afin de répondre aux besoins identifiés au Québec et dans divers milieux étrangers, notamment chez les lexicographes. Les critères de reconnaissance des québécismes tiennent compte du système de la langue française et de la nécessité de maintenir l’intercommunication avec la francophonie » (OLF, 1985, p. 9).

Des objectifs généraux (politiques, sociaux, culturels, économiques), linguistiques, lexicographiques et terminologiques sont définis et une typologie des québécismes est fournie. Cette dernière est complétée par une classification des unités lexicales qui se fonde sur les langues qui ont contribué à la formation du lexique québécois.

Quatre grands regroupements peuvent être évoqués :

  1. Les langues autochtones (langues amérindiennes et inuktitut).
  2. La langue anglaise en usage chez les anglophones depuis la Conquête de 1760.
  3. Les langues modernes (espagnol, allemand, italien, grec, etc.), mais principalement l’anglais nord-américain contemporain.
  4. La langue française telle qu’elle s’est développée au Québec depuis l’arrivée des colons français au Nouveau Monde, particulièrement depuis le XVIIe siècle.

Ayant identifié, puis défini toutes les catégories de régionalismes québécois, le document décrit les critères qui font qu’un québécisme sera entériné, qu’il sera rejeté, ou encore qu’il ne sera pas traité, c’est-à-dire qu’il ne fera l’objet d’aucune intervention.

De manière à circonscrire l’énorme tâche interventionniste, une distinction basée sur un critère temporel a été établie entre les québécismes anciens et les québécismes récents, les premiers appartiennent à la période antérieure à 1960, date qui marque un tournant dans l’histoire politique, sociale, culturelle et linguistique du Québec (Révolution tranquille). Les seconds sont ceux qui ont été créés après I960; ils appartiennent à l’histoire moderne du Québec. L’année-frontière 1960 n’a de valeur justificative qu’aux fins de l’énoncé de politique.

8. Finale

L’énoncé de politique qui porte sur les québécismes résume toute la démarche interventionniste et institutionnelle de l’Office de la langue française en matière de langue et de normalisation au cours des vingt-cinq dernières années. À la longue, il aura des « effets sur l’ensemble des structures linguistiques disponibles pour tous » (PAQUETTE, 1981, p. 20); autrement dit, il se manifestera dans l’usage général sans que des dispositions spécifiques soient légalement définies. À l’évidence, le texte démontre toute la latitude que peuvent avoir les Québécois devant leur langue, que ce soit en matière de terminologie ou d’usage courant ou que ce soit dans des circonstances de communication individuelle ou de communication institutionnelle. Le document reconnaît comme principe fondamental que le français est la langue d’usage de la majorité des Québécois et qu’elle permet à tous les francophones de s’identifier en tant que collectivité et comme groupe linguistique solidaire dans le monde.

« Toutefois, l’énoncé, qui ne préconise nullement un alignement inconditionnel sur une forme unique de français imposé de l’extérieur, n’entend pas non plus encourager la formation d’une langue québécoise détachée de ses sources européennes. Il veut promouvoir les valeurs linguistiques véhiculées par les différentes ethnies qui composent la mosaïque francophone, justifiant ainsi l’observation et le développement du précepte de l’unité et de la diversité de la langue française dans le monde. Pour le Québec, les québécismes s’avèrent nécessaires à la conduite du processus de francisation, tout en favorisant l’enrichissement de la langue française par des apports originaux. Corollairement, l’affirmation de l’autonomie normative du Québec y est manifeste, de même que l’attention qu’il porte à l’intercommunication francophone. Cette prise de position théorique et pratique envers les québécismes pose l’adéquation entre l’aspiration à une communauté d’intérêts et la prise en charge de la gestion de ses intérêts spécifiques » (OLF, 1985, p. 37).

Le document de l’OLF canalise davantage des modèles d’action linguistique et terminologique dégagés au cours des vingt-cinq dernières années, mais particulièrement depuis 1970. Les répercussions de l’effervescence linguistique provoquée par le processus d’aménagement de la langue au Québec sont loin d’être négligeables pour la langue française dans son ensemble. Ce n’est pas le moindre mérite de ce texte que de contribuer de manière tangible et concrète à une reformulation des définitions des concepts fondamentaux que sont ceux de « langue française », de « régionalisme lexical » et de « québécisme ». Tous les débats linguistiques autour du français braquent leurs projecteurs sur ce nouveau triangle linguistique.

Malgré tous les résultats positifs de l’action étatique québécoise, il ne faut pas oublier que quand il est question de langue, rien n’est acquis à jamais. La francisation n’est pas terminée. C’est un processus permanent qui nécessite une vigilance de tous les instants. La langue ne vit pas en autarcie. Elle est un phénomène interactif dont l’évolution subit constamment des pressions croisées de nombreux facteurs géographiques, économiques, culturels, démographiques, politiques et même ... linguistiques.

Bibliographie

Annexe

Les organismes cités dans la liste qui suit sont classés par continent ou sous l’étiquette organismes internationaux lorsqu’ils ont une telle vocation. Bien entendu un tel tableau possède un caractère informatif qui ne prétend à aucune exhaustivité. Il recense quelques organismes et institutions qui s’occupent de la terminologie en langue française à un titre ou à un autre, et avec lesquels l’OLF entretient des rapports. Je laisse de côté les ministères, tant fédéraux que provinciaux qui ont des activités de normalisation. En ce qui concerne le Québec, certaines informations à ce sujet apparaissent déjà dans le texte ci-dessus. Le lecteur qui voudrait en savoir davantage est prié de se reporter au bulletin Terminogramme qui a publié de nombreux articles sur la normalisation et les institutions qui se livrent à cette activité. Pour le domaine international, on consultera avec profit l’article bien documenté d’Adrian Manu dans Terminogramme, numéro 26-27, décembre 1984, p. 3 à 6. L’auteur décrit la plupart des organismes internationaux de normalisation, secteur que je ne fais qu’effleurer au paragraphe 4.

Amérique

Québec

Comité consultatif pour la normalisation et la qualité du français à l’Université Laval. Ce comité est constitué de professeurs et d’administrateurs de l’université. Il publie un bulletin appelé Terminologie. Les numéros parus entre 1968 et 1982 ont été réunis en un volume en 1982 sous le titre Les maux des mots.

Comité de terminologie française de l’Ordre des comptables agréés au Québec. Ce comité poursuit une tâche d’uniformisation de la terminologie de la comptabilité, non seulement au Québec, mais dans l’ensemble de la francophonie.

Université de Montréal. Madame Madeleine Sauvé, grammairienne de l’université. Jusqu’à récemment, l’université publiait périodiquement les remarques linguistiques de madame Sauvé dans un bulletin appelé Observations grammaticales et terminologiques.

Comité linguistique de Radio-Canada. Ce comité publie un bulletin appelé C’est-à- dire et des fichés terminologiques connues sous l’appellation Fichier de Radio- Canada.

La Compagnie IBM Canada. Cette société est fréquemment consultée pour la terminologie de l’informatique et de la bureautique. Elle publie le bulletin Termino.

Les Entreprises Bell Canada. Cette société est fréquemment associée aux travaux de terminologie reliés aux domaines des télécommunications et de la télématique. Les résultats de ses recherches sont publiés dans Télélog.

Bureau de normalisation du Québec. Cet organisme a la responsabilité de normaliser les objets et les procédés. Mais comme la normalisation terminologique s’inscrit dans le droit sillage de la préparation de normes techniques et scientifiques, le BNQ collabore avec l’OLF en cette matière (cf. infra.).

Trésor de la langue française au Québec. Le TLFQ déploie ses activités à l’Université Laval. Il est fréquemment consulté pour des problèmes reliés aux québécismes et à la norme générale du français au Québec.

Canada

Direction générale de la documentation et de la terminologie, Bureau des traductions, Secrétariat d’État, Ottawa. Comme certains dossiers sont sous la juridiction fédérale, l’uniformisation terminologique doit se faire en concertation entre les deux paliers de gouvernement. Le DGTD devient alors l’interlocutrice de l’OLF. Le Bureau des traductions publie un périodique appelé L’Actualité terminologique.

Association canadienne de normalisation. La CSA est le correspondant canadien de l’ISO (voir le paragraphe 4.9).

Europe

France

Commissariat général de la langue française. Le commissariat est l’interlocuteur gouvernemental officiel de l’OLF en France. Il remplace, depuis 1984, l’ancien Haut Comité de la langue française. Il publie une revue appelée Qui vive international, qui succède à Médias et langage.

Franterm. Cette association est rattachée au Commissariat général de la langue française. Elle conduit la recherche terminologique gouvernementale en France. C’est par son intermédiaire que la liaison est faite avec toutes les commissions ministérielles françaises de terminologie. Franterm est le partenaire français du Réseau de néologie scientifique et technique.

Comité d’étude des termes techniques français. Le CETTF est un organisme sans but lucratif qui se penche sur des problèmes de terminologie en France. Il s’attache prioritairement au phénomène des emprunts anglo-américains. Jusqu’à récemment, il publiait les résultats de ses travaux dans La Revue du traducteur.

Association française de normalisation. L’AFNOR est le correspondant français de l’ISO (voir le paragraphe 4.9).

Trésor de la langue française, Institut national de la langue française (Nancy). Le TLF est fréquemment consulté pour des problèmes de régionalismes.

Belgique

Maison de la francité (Bruxelles). Ce centre s’intéresse surtout au problème des emprunts, notamment, les anglicismes. Il a effectué des enquêtes linguistiques sur l’infiltration des termes et des mots étrangers en Belgique, plus particulièrement ’ dans l’agglomération bruxelloise. Il publie une revue appelée Questions de français vivant.

Institut supérieur des traducteurs et interprètes (Bruxelles). L’ISTI a participé au réseau de néologie scientifique et technique pendant quelques années. Il publie une revue appelée Equivalences.

Centre de terminologie de Bruxelles. Le CTB se livre à des recherches terminologiques dont les résultats sont publiés dans une série appelée Cahiers de terminologie. En outre, le CTB publie la revue Le langage et l’homme.

Afrique

Maroc

Institut d’études et de recherches pour l’arabisation. L’IERA est lié à l’Université Mohammed V de Rabat. Il s’occupe surtout de la formation des terminologues et il effectue des recherches dans le domaine des banques de terminologie, entre autres sur les lexèmes arabes.

Tunisie

Institut Bourguiba des langues vivantes (Tunis). L’IBLV a mis en route un projet d’élaboration et de normalisation du vocabulaire de la terminologie en arabe.

Rwanda

L’OLF collabore avec plusieurs ministères rwandais auxquels les responsables ont confié un mandat d’aménagement linguistique. L’un de ces interlocuteurs est le ministère de l’Éducation nationale et plus particulièrement le Bureau pédagogique. En outre, l’OLF a des relations suivies avec l’Université nationale du Rwanda. La collaboration entre l’OLF et le Rwanda vise la formation de terminologues, l’élaboration de principes théoriques et pratiques en matière de terminologie et de normalisation ainsi que tous les aspects relatifs à l’aménagement linguistique.

Organismes internationaux

Conseil international de recherche et d’étude en linguistique fondamentale et appliquée. Mieux connu sous son sigle Cirelfa, cet organisme s’occupe de recherche en aménagement linguistique et terminologique dans le contexte de la francophonie. Il a son secrétariat à Montréal et relève de l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT). Le Cirelfa organise des stages auxquels participent les linguistes de l’OLF.

Association des universités partiellement ou entièrement de langue française. L’Aupelf a son siège à Paris et des secrétariats à Montréal et Dakar. L’OLF a collaboré avec l’Aupelf à l’occasion de stages d’enseignement de la terminologie et du projet de description des normes régionales en langue française. L’un des projets auquel s’est associé l’OLF est celui de l’Inventaire des particularités lexicales du français en Afrique noire (IFA).

Centre international d’information terminologique (Infoterm) dont le siège est à Vienne. Infoterm centralise les informations mondiales en matière de terminologie, de normalisation et de documentation. Il publie plusieurs bulletins : Biblioterm, Infoterm Newsletter, TermNet News.

Conseil international de la langue française dont le siège est à Paris. Le CILF s’intéresse aux problèmes des régionalismes et des terminologies. Il publie une revue appelée La Banque des mots.

Communauté économique européenne. La CEE a des bureaux de terminologie à Bruxelles et à Luxembourg. La collaboration entre l’OLF et la CEE est intense, notamment dans le domaine des banques de terminologie. L’organisme communautaire publie plusieurs bulletins parmi lesquels il faut retenir le Bulletin de terminologie.

Organisation des Nations unies à New York. La collaboration s’est établie surtout par l’échange de stagiaires et la formation de terminologues.

Institut de linguistique international. L’ILI organise des sessions de cours d’été à l’intention des enseignants et chercheurs des pays du Maghreb. L’OLF y délègue régulièrement des représentants pour donner des cours de terminologie et participer à la formation des terminologues arabes.

Organisation internationale d’unification des néologismes terminologiques. Cet organisme situé à Varsovie répertorie des néologismes internationaux, c’est-à-dire des termes dont la forme est similaire dans plusieurs langues. L’OLF contribue aux recherches en proposant des québécismes qui répondent aux critères du comité varsovien.

Organisation internationale de normalisation. L’OLF participe activement à de nombreux comités techniques de l’ISO. Ces comités sont responsables de la mise au point des principes et méthodes de la terminologie. Entre autres, la contribution de l’OLF fut très importante en ce qui regarde le Vocabulaire systématique de la terminologie.

Notes

[1] Dans cet exposé, il sera question de la normalisation terminologique québécoise et de manière plus précise encore, de la normalisation telle qu’elle se conçoit et se pratique à l’Office de la langue française. Il va de soi que l’OLF n’a pas l’apanage exclusif de la normalisation de la langue française au Canada. De nombreux autres organismes gouvernementaux ou institutionnels, de même que des entreprises nationales ou internationales qui ont leur siège social ou une succursale au Québec, s’intéressent activement à la normalisation. Par ailleurs, l’OLF entretient des rapports étroits avec des pays étrangers et des organismes internationaux qui œuvrent dans le secteur de la normalisation. Le lecteur trouvera une brève description de quelques-uns de ces organismes dans BOULANGER 1983. En annexe au présent texte, je dresse une liste des organismes et des institutions qui s’occupent de normalisation à un titre ou à un autre et avec lesquels l’OLF collabore.

[2] À ce sujet, voir dans Delage 1984, le compte rendu d’une journée d’échanges entre les membres de la CTOLF et les représentants des commissions ministérielles québécoises de terminologie.

Référence bibliographique

BOULANGER, Jean-Claude (1986). « L’aménagement linguistique du Québec ou le prélude à de nouvelles ordonnances », Zeitschrift der Gesellschaft für Kanada-Studien, vol. 6, no 2, p. 17-38. [article]

Zusammenfassung (allemand)

Der vorliegende Aufsatz behandelt ein Thema von größter Wichtigkeit für staatliche Sprachplanung; Normierung. Ihr interventionistischer Charakter wird in positiver und dynamischer Sicht untersucht und als Faktor gesehen, der die Entwicklung einer Sprache und das Auftreten neuer Sprachgewohnheiten begünstigt. Der Autor verwirft den Gedanken, daß Normierung „Purismus“ inpliziere. Normierungsmaßnahmen sind effektiver, wenn sie von staatlicher Seite unterstützt werden, so z. B. durch Sprachgesetzgehung. Der „Französierungs“-Prozeß, der in den letzten 25 Jahren in Québec durchgeführt wurde, bildet den Hintergrund für die Untersuchung der sprachlichen und terminologischen Normierung. Die Entwicklung dieser normativen Tätigkeit in Kanada wird am Beispiel der Arbeit der Terminologiekommission des Office de la langue française aufgezeigt.

Zunächst bringt der Aufsatz die Gründe in Erinnerung, die das OLF zu seiner zentralistischen, interventionistischen Haltung in der Terminologiekommission veranlaßten. Daraufhin werden wesentliche Faktoren untersucht: der Ursprung der Terminologiearbeit in Québec und der Stellenwert der Normierung, der Aufbau und die Arbeitsweise der Terminologiekommission des OLF sowie wichtige linguistische Themen wie sprachliche Entlehnungen (Lehnwörter) und Varietäten (Regionalismen).

Abstract (anglais)

This paper deals with a subject of utmost importance in state linguistic planning: standardization. Its interventionist character is examined from a positive and dynamic perspective and as a factor favouring the evolution of a language and the emergence of new linguistic habits. The author rejects the idea that “standardization” implies “purism”. The standardizing intervention is more effective when it is supported by government agencies, for instance, by means of linguistic legislations. The background against which linguistic and terminological standardization is examined is the “francization” process which has been carried out in Québec for the last twenty-five years. The works of the Commission de terminologie de l’Office de la langue française are used to illustrate the development of standardization in Canada.

First, the paper recalls the historical reasons which led the OLF to adopt a centralized interventionist attitude in the Commission de terminologie - Significant elements are then studied; the origin of terminology in Québec and the place standardization occupies, the nature and functioning of the CTOLF, and linguistic matters of concern such as linguistic borrowing (loan-words) and variation (regionalisms).