La cartographie lexicographique des avis officiels

Jean-Claude Boulanger (Université Laval)

1. Introduction

L’un des aspects récents et peu explorés de la lexicographie française contemporaine concerne les rapports que les dictionnaires généraux monolingues (DGM) entretiennent avec les avis officiels de recommandation et de normalisation issus des travaux des commissions ministérielles de terminologie françaises et québécoises. De prime abord, les avis sont destinés à des groupes de spécialistes appelés à manipuler des vocabulaires spécifiques au cours de leurs activités professionnelles. Dès le moment où les lexicographes généralistes les prennent en charge, le public destinataire des DGM les consulte; à tout le moins, il les a sous les yeux lorsqu’il ouvre un dictionnaire.

Trois concepts doivent être circonscrits pour saisir pleinement le cheminement des unités lexicales cautionnées qui, au sortir des officines d’État, sont récupérées ou non par les dictionnaires de langue. Il s’agit des concepts de « politique linguistique », d’« aménagement linguistique » et d’« avis officiel ».

Une politique linguistique est une décision d’ordre législatif qui concrétise l’intérét de l’État pour le domaine de la langue. Cet intérêt est largement répandu dans le monde contemporain. Une étude récente montre que plus de la moitié des États souverains du monde sont intervenus dans le champ langagier et plus particulièrement dans le secteur de l’affichage (voir Leclerc 1988). L’aménagement linguistique est un processus d’intervention étatique volontaire en vue de planifier et de modeler le changement linguistique dans une société. L’un des objectifs de l’aménagement est de façonner la langue elle-même, soit en la décrivant, soit en l’enrichissant du point de vue lexical. Les manifestations de la standardisation et de la description de la langue trouvent leur accomplissement dans le dictionnaire et la grammaire. L’intervention dans les langues de spécialité (LSP) est dite aménagement terminologique. Enfin l’avis officiel est un document de nature institutionnelle, émanant d’une autorité mandatée pour intervenir dans la langue, et portant à la connaissance du public et des usagers les décisions prises à l’égard d’un terme, d’un groupe de termes, d’un plus vaste ensemble d’unités, un dictionnaire terminologique par exemple, etc. Avant d’être relayés par divers canaux médiatiques et de parvenir au catalogue des mots du dictionnaire, les avis des commissions ministérielles françaises ou québécoises sont d’abord publiés dans les organes parlementaires de chaque État (Journal officiel en France et Gazette officielle du Québec). Outre l’ensemble des décisions, le terme avis officiel désigne chacune des unités qui est l’objet d’une sanction de normalisation ou de recommandation.

L’activité étatique et gouvernementale déployée autour de ces trois différents axes interventionnistes a des répercussions de plus en plus visibles et tangibles dans les DGM. Depuis une quinzaine d’années, en effet, les répertoires lexicaux prennent une importance accrue en tant que courroie de transmission des décisions ministérielles à caractère technolectal. De fait, l’une des missions du dictionnaire consiste à banaliser l’usage des termes entérinés par des autorités. Avec comme conséquence, que le dictionnaire peut contribuer à installer ou à maintenir dans l’usage des formes élues par le groupe socioprofessionnel responsable de l’intervention (ex. logiciel, matériel, listage, didacticiel, sortant). Ceci ne signifie nullement que des formes jugées comme étant répréhensibles ou à remplacer n’ont plus de vigueur ou d’adeptes dans certaines circonstances du discours, y inclus le discours lexicographique lui-même. Voir par exemple la définition de donnée (Annexe 6.1) dans le GRLF qui maintient la forme digitale alors qu’à l’article digital du même dictionnaire il est dit « Rem. On recommande officiellement l’adj. numérique pour remplacer cet anglicisme, qui crée en français des confusions avec 1. digital [...]. »

Le dictionnaire a depuis belle lurette la responsabilité de véhiculer le bon usage et une certaine vision de la norme. Depuis l’origine de la lexicographie française, les rédacteurs de dictionnaires sont sans cesse à l’écoute de ceux qui font la langue, qu’il s’agisse de personnes, de groupes ou d’institutions. Cela fait partie de la nature du dictionnaire, de sa vocation, de son aspect captif. Quant aux commissions ministérielles de terminologie, elles constituent des académies modernes dont les travaux méritent un coup d’oeil circonstancié afin de faire le point sur leur impact dans le public général.

La normalisation organisée, institutionnalisée, planifiée remonte à un peu plus d’une quinzaine d’années. La mise en activité des mécanismes français et québécois d’interventions ministérielles date respectivement de 1972 pour la France et de 1978 pour le Québec. Les premiers décrets de normalisation figurent au Journal officiel français du 18 janvier 1973 tandis que les premiers avis de l’Office de la langue française sont diffusés par la Gazette officielle du Québec le 26 mai 1979.

À partir de 1975, les officialismes sont introduits dans les dictionnaires de langue. Depuis leur nombre augmente régulièrement. L’exemple des répertoires pionniers (Lexis et Petit Robert) gagne maintenant toutes les entreprises lexicographiques et toutes les catégories de dictionnaires de langue : les dictionnaires pour les enfants (Dictionnaire CEC jeunesse), les dictionnaires pour les collégiens (Micro-Robert) et les grands dictionnaires (GRLF). Les formes lexicales estampillées, sanctionnées viennent manifestement perturber la macrostructure et plus visiblement encore la microstructure des DGM. Elles offrent aux lexicographes un nouveau réservoir dans lequel ils peuvent puiser des entrées nouvelles tout comme elles requièrent un traitement adéquat dans l’article, au même titre que l’étymologie, le réseau analogique, les citations, quand il y a lieu.

2. Les discours dictionnairiques

Les attitudes des lexicographes envers les avis officiels se répercutent dans deux genres de discours dans les dictionnaires : le discours prélexicographique et le discours lexicographique.

2.1 Le discours prélexicographique ou commercial est celui qui se trouve en ouverture des dictionnaires. Il s’agit des préfaces, introductions, présentations, etc. En principe, c’est le lieu où le lexicographe définit ou explique la position de son équipe de rédaction à l’égard des différents types de mots qu’il traite (régionalismes, néologismes, emprunts, notamment les anglicismes, avis officiels, etc.) et les critères de choix qui président à la sélection. Un examen attentif de ces discours dans sept dictionnaires courants, tous parus depuis la fin des années 70, dessine un portrait assez juste de la situation. Des sept ouvrages suivants : GRLF, PR, LEXIS, PLI89, DHLF, DFH et DFP, seuls les quatre premiers se prononcent sur les termes recommandés. J’illustre par les textes du PLI89 et du PR (1986) l’opinion de deux équipes de lexicographes français.

Dans le PLI89, il est stipulé : « Les recommandations de l’Académie française ont été mentionnées chaque fois que l’état d’avancement des travaux du Dictionnaire nous l’a permis. [...] Les recommandations officielles en matière de terminologie ont été mentionnées chaque fois qu’elles existaient » (p. 6). Cette dernière remarque peut s’interpréter de deux manières : les termes recommandés ont tous leur place dans la nomenclature tout en étant affublés de la marque d’officialisation; . les termes recommandés ont leur place dans la nomenclature avec ou sans indice d’officialisation. Dans les faits, aucune des explications ne prévaut, car sur 36 termes du corpus, 31 seulement sont retenus dont S sont marqués (voir le tableau 1).

Dans le PR, il est précisé que : « Le Petit Robert signale les « recommandations officielles » françaises (recomm. offic.), soit sous l’emprunt, soit, lorsqu’elles semblent effectivement en usage, à l’ordre alphabétique. Bulldozer malgré l’existence d’un remplaçant officiel bouteur, demeure dans l’usage; matériel et logiciel concurrencent heureusement hardware et software, que la description ne peut, par ailleurs, négliger. Les termes approuvés par arrêtés ministériels — à partir des arrêtés du 12 janvier 1973 — ont été mentionnés dans le dictionnaire dans la mesure où ils remplaçaient un anglicisme figurant à la nomenclature, et quand leur emploi était effectif, ou probable dans les années à venir. La publication exhaustive et commentée des termes officiellement approuvés relèverait d’une autre perspective, ouvertement normative, que nous n’avons jamais adoptée » (1986, p. XVIII-XIX).

Quant au seul dictionnaire québécois qui aurait pu se prononcer sur le sujet, le DFP, il demeure muet. Sur un total de 21 pages imprimées formant quatre textes différents, il n’est nulle part question des décisions officielles de l’Office de la langue française, ni de ses trois énoncés de politique linguistique portant respectivement sur l’emprunt de formes linguistiques étrangères, sur les québécismes et sur les titres et fonctions au féminin. Pourtant, à l’intérieur des articles du DFP, il est fréquemment question des avis linguistiques et terminologiques de l’OLF (ex. 1 : crédit, sens 7 : « Unité de valeur dans l’enseignement universitaire et collégial. [...] REM. : L’OLF recommande d’employer plutôt unité; ex. 2 : académique, sens 3 : Année académique : temps qui s’écoule entre le début et la fin des classes, des cours. REM. L’OLF recommande de remplacer ce terme par année scolaire ou année universitaire, selon le cas). [Pour un examen plus poussé des discours introductifs, on se reportera à Boulanger 1988c.]

2.2 Le discours lexicographique n’a pas la souplesse du discours d’introduction. Il est plus rigide, plus codé puisqu’il constitue une armature sur laquelle se greffe l’information à transmettre. La grille de synthèse s’est développée et fixée au fil des siècles permettant une présentation des données suivant un ordonnancement bien précis des rubriques. L’ajout d’une information nouvelle, comme celle qui concerne les recommandations ministérielles, peut donc perturber la physionomie séculaire de l’article.

Il est utile de s’arrêter sur quelques brefs constats pour illustrer ce phénomène. Ils procèdent du plus général au plus particulier, sans être exhaustifs.

  1. Tous les dictionnaires de langue récents incorporent un nombre plus ou moins élevé d’avis ou ils marquent du sceau d’officialisation des unités déjà traitées dans les articles.
  2. Aucun répertoire ne catalogue ou n’identifie l’ensemble des unités scrutées par les commissions de terminologie, peu importe l’arrêté en cause.
  3. Un discours codé, c’est-à-dire une terminologie particulière s’est créée pour rendre lexicographiquement compte de l’interventionnisme étatique dans les lexiques spécialisés. À titre d’exemple, voici une série de verbes relevés dans les articles de quelques dictionnaires : recommander, remplacer, préconiser, conseiller, proposer. Ces termes prennent une coloration sémantique axée sur la terminologie lexicographique déjà disponible, comme c’est le cas des unités normaliser, franciser, traduire, également repérées dans les microstructures. Cette terminologie est produite par les lexicographes afin de pouvoir discourir sur le phénomène d’officialisation des termes. La plupart du temps, elle renvoie explicitement à l’autorité normative tout en dégageant le rédacteur de la responsabilité de l’intervention.
  4. Le discours reflétant l’officialisation d’une unité lexicale niche à peu près dans n’importe quelle rubrique microstructurale. Contrairement aux autres rubriques au contenu et à la place fixée à l’avance dans chaque article, l’indicatif de l’officialisation d’un terme apparaît au petit bonheur pour le moment. Aucun dictionnaire n’a établi ou proposé de politique cohérente à ce sujet. De fait, la notation des officialismes introduit une nouvelle marque prescriptive dans la tradition lexicographique française. Même s’il n’est pas récursif dans chaque article, pour des raisons évidentes, l’indice en question est néanmoins très présent et il joue un rôle suffisamment déterminant pour qu’on songe à lui attribuer une dénomination qui le personnalise et qui confirme sa place et son utilité au sein du vocabulaire lexicographique. Sur le modèle des autres dénominations, je suggère d’appeler officialisation ou label ce nouvel élément du discours lexicographique codé. La rubrique ou la marque d’officialisation ou de label rejoint ainsi des congénères comme la datation, la définition, la citation.

3. Le traitement microstructural

Rien ne distinguant réellement les officialismes retenus en entrée des autres formes-vedettes, c’est le contenu de l’article qu’il convient de scruter pour recueillir les indications idoines. Afin d’illustrer le processus, j’ai constitué un minicorpus de termes extraits de l’Arrêté du 22 décembre 1981 relatif à l’enrichissement du vocabulaire de l’informatique (voir DNO, 1984, p. 401-406). Cet arrêté répertorie 54 entrées : 34 formes simples (dont 1 est accompagnée d’une variante (visu ou visuel) et 1 autre d’un synonyme (tirage ou fac-sim)), 1 entrée à trois volets morphologiques (bi-, tri-, multiprocesseur) et 19 syntagmes terminologiques. J’ai choisi d’examiner les 36 termes simples qui demeurent après l’addition des co-entrées et l’élimination de la forme gigogne. Le tableau qui suit (tableau 1) montre la distribution et le traitement des termes dans trois dictionnaires publiés par des éditeurs différents : le GRLF, le DFP et le PL189. Le terme a été marqué d’un [+] lorsque la forme et le sens de l’entrée renvoyaient à l’informatique; le signe [-] indique donc que le dictionnaire ne consigne pas le sens informatique de l’entrée.

Des 36 termes examinés, le GRLF en retient 33, le PLI 31 et le DFP 25, ce qui illustre bien l’importance du vocabulaire de l’informatique dans les DGM. Cette terminologie se banalise de plus en plus; elle rejoint l’ensemble des usagers, ce que les dictionnaires ne peuvent ignorer (voir Boulanger, 1988b). Parmi les unités traitées, 23 sont reconnues par les trois dictionnaires. Seul le terme fac-sim est laissé de côté par l’ensemble des répertoires. Parmi les 36 entrées, le GRLF en officialise 12, dont 2 indirectement puisqu’il signale l’équivalent anglais sans faire allusion à la recommandation française ou à la solution de remplacement comme dans les autres cas (voir Annexe 6.2). Pour le lecteur non averti, il est quasi impossible de déchiffrer le message derrière la référence cachée. Le PLI marque 4 termes tandis que le DFP en étiquette 3. Logiciel, matériel et numérique sont les seuls à faire l’unanimité du point de vue du label.

Tableau 1 : Statut des avis
Dictionnaires

GRLF

DFP

PLI

Termes Entrée Officialisation Localisation Entrée Officialisation Localisation Entrée Officialisation Localisation
autonome + - RA-AI - -
bureautique + - + - + -
compatibilité + - - -
disquette + - + - + -
donnée + - RA-AI + - + -
fac-sim - - -
incrément + - + - + -
infographie + - - + -
information - + - + -
informatique + - + - + -
instruction + - + - + -
interactif + - - + -
interface + + RI + - + -
listage + + CD + - + + DM
lister + - + - + -
logiciel + + RI + + RI + + RI
matériel + + RI + + RI + + RI
mémoire + - + - + -
microprocesseur + - + - + -
multiprogram

mation

+ - + - + -
multitraitement + + RI - + -
numérique + + CD + + RI + + RA
photostyle + + CD - + -
portabilité + - - -
processeur + - - + -
progiciel + - + - + -
robotique + - + - + -
serveur + + DR + - + -
téléinformatique + - + - + -
télématique + - + - + -
télétraitement + - + - + -
terminal + - + - + -
tirage + + CD - -
visu - - + -
visuel + + CD + - + -
visualiser + - + - + -
36 33 12 25 3 31 4
Légende : Abréviations :

Les rubriques utilisées pour véhiculer le message officiel sont la définition, l’officialisation et le réseau analogique. Dans le minicorpus, on compte 19 indications de ce genre, réparties comme suit (voir le tableau 2) :

Tableau 2 : Distribution des indications officielles
RUBRIQUE PROCÉDÉS EXEMPLES
DÉFINITION - déf. métalinguistique [1] LISTAGE (PLI)
- déf. référencée [1] SERVEUR (GRLF)
- déf. commentée [5] LISTAGE, NUMERIQUE, PHOTOSTYLE, TIRAGE, VISUEL, (GRLF)
LABEL

marqueurs

• REM [3] INTERFACE, LOGICIEL, MATERIEL (GRLF)
• parenthèses [4] LOGICIEL, MATÉRIEL, NUMÉRIQUE (DFP); MATÉRIEL (PLI)
• ∅ [2] LOGICIEL (PLI); MATÉRIEL (GRLF)
ANALOGIE identification de la forme étrangère [3] AUTONOME, DONNÉE (GRLF); NUMÉRIQUE (PLI)

Le corpus restreint n’a permis de repérer l’information officielle que dans les trois rubriques mentionnées. D’autres recherches menées par ailleurs montrent que l’indicatif ministériel peut apparaître dans la parenthèse étymologique (ex. remue-méninges (GRLF), en entrée-renvoi, dans l’exemple, etc. (voir Boulanger 1988c)). La définition et le label demeurent pour le moment les rubriques privilégiées.

La répartition proposée prouve que le traitement n’est pas systématique, tant s’en faut. En fait, des trois termes communs à tous les répertoires, deux ont le même traitement partout (logiciel et matériel ont une rubrique indépendante (RI)) et un a trois traitements différents (numérique : commentaire dans la définition (CD), rubrique indépendante (RI) et renvoi analogique (RA)).

J’ai examiné aussi dans quelles mesures la définition officielle avait des chances de poursuivre sa carrière dans le dictionnaire de langue. Elles sont bien minces comme l’illustre les constatations suivantes faites à partir du GRLF (voir l’Annexe 6.1 où toutes les définitions des termes officialisés sont données) :

Le traitement microstructural des arrêtés de terminologie en est encore à sa phase exploratoire. Seule l’écume de la surface a été remuée. Il faut encore se pencher sur les secrets des profondeurs. Notamment sur les critères de sélection des avis par les lexicographes. La plupart des méthodologies de la recherche lexicographique étant antérieures à 1975, il n’est guère étonnant qu’elles ne fassent aucune allusion au sujet (voir Boulanger 1988a et 1988c).

Une rapide analyse fournit quelques critères de surface :

Les critères doivent être considérés dans leur ensemble car il est rare que chacun fonctionne indépendamment d’un ou de plusieurs autres. Ainsi tutoriel qui correspond à un emprunt sous la forme du calque (anglais tutorial) et qui identifie un concept relativement récent et dont le degré de technicité est élevé.

4. Conclusion

L’intervention étatique dans le domaine de la langue ramène à la mémoire le concept de « norme ». Or les rapports entre la norme et le dictionnaire sont loin d’être clairs et de faire l’unanimité (cf. Rey 1972 et 1983). Malgré leur volonté de se cantonner dans les limites de la description, de l’observation, les dictionnaires français d’aujourd’hui, comme ceux d’hier d’ailleurs, endossent volontairement ou non, la responsabilité d’une prescription partielle du lexique synchronique français. Les dictionnaires offrent à l’utilisateur un répertoire de mots choisis, acceptés d’emblée et fixés, l’absence d’un mot est vue comme le signe d’une condamnation implicite par le lexicographe.

Le dictionnairiste est perçu comme un médiateur entre la société et les gens ordinaires. À travers son anonymat, il devient le garant de la norme et de la connaissance lexicale, ce qui entraîne que ce qu’il entérine en tant que responsable d’un dictionnaire est le fait linguistique décrit, à l’exclusion des autres. Le DGM réglemente et régente tout à la fois puisqu’il impose au public une image concertée du lexique.

Le lexicographe, on l’a vu devient en outre un intermédiaire entre le pouvoir étatique et les utilisateurs de répertoires en consignant les décisions officielles qu’il filtre plus ou moins. Il marque les avis grâce à une série d’intervention et d’étiquettes, introduisant ainsi un renforcement de la norme par le simple fait qu’il identifie l’autorité interventionniste. Simultanément, il crée une distance entre lui et les instances décisionnelles. L’attribution d’un label officiel a pour effet de distinguer la norme sociale ordinaire, qui est rattachée à la description, de la nouvelle norme institutionnelle qui est rattachée à la prescription d’origine législative. Le consommateur n’a plus qu’à se soumettre à l’usage ministériel ou à le rejeter. La consignation fréquente de l’emprunt ou de la forme à remplacer laisse le choix au locuteur. Si, désormais, les lexicographes rendent compte des avis, ils ne songent nullement à se substituer aux autorités désignées. C’est ce qui explique qu’ils « labellisent » le plus souvent les officialismes et qu’ils se permettent à l’occasion des commentaires microstructuraux personnels ou des critiques à l’égard des suggestions. Ainsi dans le GRLF, à l’entrée bouteur. « REM. Ce mot n’est pas attesté à notre connaissance dans l’usage spontanée ». L’intrusion du je (ici notre) dans le discours lexicographique est plutôt exceptionnel au sein des microstructures contemporaines. Il est même à remarquer d’une manière toute particulière. De fait, si ce n’était de son étiquette officielle, bouteur serait toujours dans l’antichambre ou le purgatoire des fichiers en attendant une problématique naturalisation lexicographique. Il est manifeste que le commentaire du lexicographe signifie que la consignation de bouteur est contraire à l’usage puisque ce n’est pas un terme observé et dont la vitalité est démontrée. Si l’on se fie aux différents traitements qu’il reçoit dans plusieurs DGM consultés, bouteur serait une tentative de francisation infructueuse, une forme artificielle, un mot-éprouvette.

Les lexicographes accueillent les officialismes mais pas à n’importe quel prix. Ils n’assurent pas le gîte et le couvert à tous. Comme le souligne l’un d’eux, ils enregistrent « les condamnations et recommandations officielles en matière de termes techniques jugés indésirables : l’intrusion de la norme prend ici figure officielle ministérielle —et les dictionnaires ne peuvent refuser cette manifestation évaluative et prescriptive, alors même qu’ils se veulent descriptifs » (Rey, 1983, p. 546). Malgré cela, le lexicographe conserve toujours la prérogative de sélectionner les unités qu’il veut retenir. La subjectivité est en concordance avec l’idéologie qu’il prône lui-même et avec celle qui est façonnée par l’institution dictionnairique qui l’emploie. Celle-ci a des objectifs de rentabilité économique qui ne sont pas toujours en synergie avec l’efficacité didactique et scientifique des DGM. Au sens le plus noble, la fabrication de dictionnaires est l’un des plus importants maillons des industries de la langue et cela depuis des décennies, longtemps avant que l’on reconnaisse l’existence de ce concept sous la forte poussée expansionniste des outils informatiques et que l’on fonde la "linguismatique".

5. Bibliographie

5.1 Linguistique

5.2 Dictionnaires

6. Annexe

6.1 Définitions
autonome : GRLF Qui n’est pas connecté à un calculateur central, qui est indépendant des autres éléments du système.
donnée : ARRÊTÉ Se dit d’un matériel lorsqu’il fonctionne indépendamment de tout autre [...].
GRLF Représentation conventionnelle d’une information (fait, notion, ordre d’exécution) sous une forme (analogique ou digitale) permettant d’en faire le traitement automatique.
ARRÊTÉ Représentation d’une information sous une forme conventionnelle destinée k faciliter son traitement [...].
interface : GRLF Jonction entre deux éléments d’un système informatique (connexion physique ou connexion de programmation).
ARRÊTÉ Jonction entre deux matériels ou logiciels leur permettant d’échanger des informations par l’adoption de règles communes, physiques ou logiques.
listage : GRLF Document qui reproduit une liste (souvent produit par l’imprimante d’un ordinateur; [...]).
logiciel : PLI Recomm. off. pour listing.
ARRÊTÉ Document en continu produit par une imprimante d’ordinateur.
GRLF Ensemble des programmes, procédés et règles, éventuellement de ta documentation, relatifs au fonctionnement d’un ensemble de traitement de l’information.
DFP Ensemble des règles et des programmes relatifs au fonctionnement d’un ordinateur, par oddos. à matériel*.
PLI Ensemble de programmes, procédés et règles, et éventuellement de la documentation, relatifs au fonctionnement d’un ensemble de traitement de l’information.
ARRÊTÉ Ensemble des programmes, procédés et règles, et éventuellement de la documentation, relatifs au fonctionnement d’un ensemble de traitement de données [...].
matériel : GRLF Ensemble des éléments employés pour le traitement automatique de l’information.
DFP Ensemble des éléments physiques employés pour le traitement de l’information. par oddos. à logiciel.
PLI Ensemble des éléments physiques d’un système informatique.
ARRÊTÉ Ensemble des éléments physiques employés pour le traitement des données [...].
multitraitement : GRLF Traitement simultané de plusieurs programmes (par un ordinateur).
ARRÊTÉ Mode de fonctionnement d’un ordinateur selon lequel plusieurs processeurs ayant accès à des mémoires communes peuvent opérer en parallèle sur des programmes différents.
numérique : GRLF Se dit de la représentation de données d’information ou de grandeurs physiques au moyen de caractères, chiffres, systèmes, dispositifs ou procédés employant un mode de représentation discrète.
DFP Qui utilise des nombres, des grandeurs discrètes (opposé à analogique).
PLI a. Se dit de la reprétentation d’informations ou de grandeurs physiques au moyen de caractères, tels que des chiffres, ou au moyen de signaux à valeurs discrètes.
b. Se dit des systèmes, dispositifs ou procédés employant ce mode de représentation discrète. par opp. à analogique.
ARRÊTÉ Se dit, par opposition à analogique, de la représentation de données ou de grandeurs physiques au moyen de caractères — des chiffres généralement — et aussi des systèmes, dispositifs ou procédés employant ce mode de représentation discrète [...].
photostyle : GRLF Dispositif permettant d’introduire dans la mémoire d’un ordinateur une information (coordonnées ponctuelles) sur un écran de visualisation [...].
ARRÊTÉ Dispositif d’entrée que l’opérateur pointe directement *ur l’écran d’une visu
serveur : GRLF « Organisme exploitant un système informatique permettant à un demandeur la consultation et l’utilisation directes d’une ou plusieurs banques de données » (Journ. off., 17 janv. 1982).
ARRÊTÉ Organisme exploitant un système informatique permettant à un demandeur la consultation et l’utilisation directes d’une ou plusieurs banques de données.
tirage : GRLF Document graphique résultant du transfert sur un support permanent d’une image [...].
ARRÊTÉ Document graphique résultant du transfert sur un support permanent d’une image présentée sur une visu [...].
visuel : GRLF Dispositif d’affichage, d’inscription sur un écran ou une console à tube cathodique. — Par ext. L’écran, la console [...].
ARRÊTÉ Appareil permettant la présentation visuelle et non permanente d’informations [...].
6.2 Officialisation : énoncés et marqueurs
autonome : GRLF syn. : non connecté (angl. off-line). [RA-AI]
GRLF (pour traduire l’angl. data). [RA-AI]
interface : GRLF REM. Dans ce sens, le mot est admis (Journ. off., 12 janv. 1974) ainsi que jonction. [RI]
listage : GRLF recomm. off. pour franciser l’anglic. listing, n.m. [...]. [CD]
PLI Recomm. off. pour listing. [DM]
logiciel : GRLF REM. L’administration recommande ce terme pour traduire l’anglais software*. [RI]
DFP (Mot recommandé pour remplacer software.) [RI]
PLI Recomm. off. pour software. [RI]
matériel : GRLF Recomm. off. pour hardware [...]. [RI]
DFP (Équivalent français recommandé pour remplacer hardware.) [RI]
PLI (Recomm. off. pour hardware.) [RI]
multitraitement : GRLF REM. Équivalent proposé pour remplacer l’anglicisme multiprocessing. [RI]
numérique : GRLF (recomm. off. pour remplacer digital*) [CD]
DFP (Terme officiellement recommandé pour remplacer digital.) [RI]
PLI Syn. (anglic. déconseillé) : digital. [...] Syn. : digital. [RA]
photostyle : GRLF (créé pour rendre l’anglais light pen : recomm. off.) [CD]
serveur : GRLF « Organisme exploitant un système informatique permettant à un demandeur la consultation et l’utilisation directes d’une ou plusieurs banques de données » (Journ. off., 17 janv. 1982). [DR]
tirage : GRLF (recomm. off. pour l’angl. hard copy). [CD]
visuel : GRLF (trad. offic. de l’angl. displav). [CD]

Référence bibliographique

BOULANGER, Jean-Claude (1989). « La cartographie lexicographique des avis officiels », dans Actes du Colloque La description des langues naturelles en vue d’applications linguistiques, Université Laval, Québec, 7-9 décembre 1988, coll. « K », no 10, Québec, Centre international de recherche sur le bilinguisme, Université Laval, p. 39-52. [article]