Normalisation terminologique et lexicographie générale

Jean-Claude Boulanger (Université Laval)

1. Effets des législations linguistiques sur les DGM

Plusieurs commissions de terminologie furent fondées en France à partir de 1972 et au Québec à partir de 1978. Depuis lors, le paysage s’est modifié en fonction des besoins des différents milieux aménagementaux : dissolution des commissions ayant rempli leur mandat, création d’autres groupes pour affronter des défis nouveaux, rapprochement entre des équipes francophones géographiquement dispersées, etc. Depuis les débuts, les organismes rendent compte régulièrement des décisions entérinées et relatives aux terminologies par le canal d’un organe officiel. En France, c’est le Journal officiel de la République française (JORF) qui diffuse les termes reçus tandis qu’au Québec, la Gazette officielle du Québec (GOQ) accomplit la même tâche. Les résultats des réflexions de tous ces groupes de travail sont aussi périodiquement publiés dans des répertoires se présentant sous des formes variées, en particulier celles de dictionnaires achevés et commercialisés (voir Boulanger 1989a). Parmi ces recueils, il suffira de mentionner le Dictionnaire des termes officiels (DTO) pour la France et le Répertoire des avis linguistiques et terminologiques (RALT) pour le Québec, chacun de ces ouvrages étant soumis à des mises à jour à intervalles réguliers.

Nous nous intéressons ici à une forme de façonnement de la langue par la normalisation et l’implantation qui sort de son contexte étroit des LSP pour atteindre un plus vaste public, à savoir celui des usagers des dictionnaires généraux monolingues (DGM). Autrement dit, il s’agit de mesurer la fortune de l’officialisation dans le domaine des répertoires de mots élaborés par l’entreprise privée et destinés au grand public, étant entendu que les prises de position normatives ont un certain retentissement dans la langue usuelle habituellement décrite dans ces ouvrages. Chronologiquement, le dictionnaire de langue s’avère le dernier refuge des officialismes et c’est dans ce réservoir lexical que le simple citoyen puise ses informations. En fournissant une somme appréciable de renseignements sur les vocables officiels, les répertoires lexicographiques généraux complètent et plébiscitent un aspect du processus d’aménagement linguistique enclenché par les commissions de terminologie. De prime abord, les avis sont réservés à des groupes de spécialistes appelés à manipuler des vocabulaires spécifiques au cours de leurs activités professionnelles. Mais dès l’instant où les lexicographes généralistes veulent en faire état, ces notifications tombent dans le domaine public et deviennent sujettes à la dictionnarisation qui s’apparente ainsi à une forme d’implantation. Le schéma historique et chronologique est aisé à reconstruire. D’une part, les officialismes suivent un cheminement de consignation que l’on peut schématiser ainsi :

Organes parlementaires :

  1. JORF, GOQ → Répertoires gouvernementaux : DTO, RALT → Dictionnaires terminologiques thématiques : éducation, alimentation, informatique... → Dictionnaires généraux monolingues ou DGM : GRLF, PLI, DQA... → Autres supports possibles : dictionnaires de difficultés, fichiers des services des consultations linguistiques (au Québec), banques de terminologie, DOC, Minitel (en France), encyclopédies, manuels scolaires, universitaires, professionnels...

D’autre part, l’implantation touche deux grandes catégories de public :

  1. Organisme décisionnel → Groupes d’experts sectoriels;
  2. DGM → Groupe des usagers ordinaires.

La première forme d’implantation se veut exhaustive, c’est-à-dire qu’il y a transmission aux intéressés de l’ensemble des unités passées au crible par les commissions, alors que la seconde est davantage sélective, les lexicographes effectuant un tri parmi les formes lexicales avalisées.

2. Le statut des officialismes dans les DGM

La description et la standardisation des terminologies renvoient implicitement à l’objet dictionnaire ainsi qu’à la norme et à la grammaire. Ces deux dernières codifient les décisions et établissent des règles d’emploi (voir Rey 1972), tandis que le dictionnaire sert de passerelle d’implantation entre les décideurs et les usagers ordinaires de la langue.

Ce qui nous retiendra, ce sont les mécanismes mis en jeu lors du passage du milieu des savoirs spécialisés vers le noyau commun de la langue et les attitudes des lexicographes devant l’obligation d’enregistrer l’officialisation dans les DGM. L’interaction ou l’interface entre le dictionnaire et les positions à caractère officiel, c’est-à-dire une ou des normes d’origine socioprofessionnelle dégagée des travaux des commissions de terminologie, n’est vieille que d’une quinzaine d’années (voir Boulanger 1989a). Mais cela est largement suffisant pour en tirer quelques leçons, notamment au regard de la démarche méthodologique de la lexicographie. À ce chapitre, celle-ci se doit d’innover et de reconfigurer la microstructure des articles afin de répondre aux exigences de la normalisation institutionnelle. Car il est clair que le rapprochement des intérêts linguistiques étatiques et des préoccupations des lexicographes a entraîné deux conséquences significatives : 1. En dépit du fait que son action est prioritairement centrée sur les LSP, l’intervention consciente de l’État ne demeure pas sans écho dans l’emploi de la langue générale; 2. Cette intervention a des répercussions non négligeables dans la production et dans la physionomie des DGM contemporains, notamment au regard du traitement du lexique spécialisé dans cette catégorie de dictionnaires (voir Boulanger 1993).

Dans le cadre précis de l’activité terminologique aménagementale, la mission du DGM consiste à banaliser l’usage des termes objets de l’attention des autorités mandatées en matière de LSP. Le dictionnaire joue le rôle d’un instrument stratégique et d’un outil didactique de première grandeur pour diffuser, et même pour installer ou implanter dans l’usage une proportion tangible des unités lexicales proposées par les instances dirigistes.

Cet intérêt de la lexicographie privée envers les travaux linguistiques menés au sein des « académies » gouvernementales n’est pas un mouvement subi. Il s’inscrit historiquement dans la ligne directrice des dictionnaires qui ont depuis plusieurs siècles l’obligation de transmettre la norme et le bon usage, fussent-ils d’origine terminologique et institutionnelle. Depuis toujours, une partie des vocabulaires professionnels s’est frayée un chemin vers la zone linguistique réservée à l’usage courant. Les dictionnaires en sont les meilleurs témoins (voir Boulanger 1989a et 1993). De tout temps, le « dictionnaire » a relayé les décisions normatives des autorités, religieuses d’abord, politiques, culturelles, scientifiques, techniques, etc., ensuite. Le compagnonnage dictionnairique avec le pouvoir étatique est inévitable, voire souhaitable. Cette solidarité ou cette complicité est incontournable —mais pas à n’importe quelles conditions— en raison même des objectifs communs aux deux types d’institutions : décrire la langue et énoncer des avis sur les unités lexicales mises en rapport avec une ou des normes.

De fait, le DGM contemporain véhicule au moins deux catégories de norme : une norme générale objective et collective et une norme socioprofessionnelle qui relève du sous-système des technolectes et qui vient s’imbriquer dans la première pour fédérer l’ensemble linguistique appelé la langue. Dans un cas comme dans l’autre, le lexicographe balise à sa façon les unités lexicales standardisées des points de vue général et technolectal. Les termes, puisque c’est d’eux qu’il s’agit ici en priorité, nous retiendrons dans la suite du texte.

Constatons tout d’abord qu’au cours des deux dernières décennies, une métalangue relative aux officialismes s’est dégagée dans la lexicographie française (voir Boulanger 1989a et 1989b) et faisons là-dessus quelques observations :

1) Cette métalangue se présente comme un véritable discours codé, facilement reconnaissable mais dont la coloration peut varier légèrement d’un dictionnaire à l’autre. Tantôt elle revêt l’aspect d’un appareil diacritique (le recours aux italiques, aux caractères gras (DAF), à l’abréviation REM. (DQA, GRLF), etc.), tantôt elle utilise différentes façons d’abréger le syntagme recommandation officielle (PR, PLI), tantôt elle use d’appellations nominatives comme l’Office de la langue française, l’O.L.F., l’Administration (plusieurs dictionnaires), tantôt elle utilise une panoplie de termes appartenant déjà au registre linguistique de la prescription (ex. : synonyme conseillé, équivalent français, terme/mot préconisé ou recommandé, anglicisme déconseillé ou proscrit). Enfin, elle crée une terminologie microstructurelle d’appoint, explicite et innovatrice formant de véritables champs lexicaux et sémantiques (ex. : les verbes : conseiller, déconseiller, franciser, normaliser, préconiser, préférer, proposer, proscrire, recommander, remplacer, traduire; les substantifs : francisation, normalisation, recommandation, traduction). La plupart des termes de ce métalangage sont par ailleurs surqualifiés grâce à l’adjonction de mots comme officiel/officiellement : synonyme officiel de, mot/terme officiellement recommandé, etc.

2) Cette métalangue illustre très clairement que les lexicographes ne prétendent aucunement se substituer aux autorités institutionnelles désignées. Celles-ci demeurent nommément présentes à travers les désignations englobantes comme l’Administration, identitaires comme l’Office de la langue française ou plus vagues, plus diffuses comme le qualificatif officiel, l’adverbe officiellement, le pronom indéfini on. Le discours métalinguistique repose sur des éléments distanciateurs entre le dictionnariste et I’« officialisateur ». En apparence, le premier garde son autonomie vis-à-vis des mots de l’État, la métalangue renvoyant la responsabilité décisionnelle entre les mains de l’autre. Autrement dit, le commentaire dans les articles est, le plus souvent, distancé, ou, préférablement, distancié (ex. : PLI : sponsoriser : « Recomm. off. commanditer ou parrainer. »; DQA : C.B. : « REM. L’O.L.F. propose l’abréviation B.P. pour remplacer ce mot. »). Le lexicographe ne prend pas vraiment position, il se tient littéralement à distance et il ne jette pas l’anathème sur les unités scrutées. Jamais il n’emploie de formules associées à l’exclusion, du genre : « Il faut absolument éviter tel ou tel mot », « Tel mot doit être écarté, rejeté, etc. ». Au contraire, il se retranche derrière des formules neutres comme : « L’Administration préconise... », « L’O.L.F. propose... » ou plus anonymes comme : « On recommande... ». Comme on le voit, le lexicographe cite l’institution qui gère les commissions de terminologie; il évite de faire siennes les décisions cautionnées par les groupes de travail ministériels. Bien entendu, le discours des dictionnaires de difficultés ou celui des dictionnaires à vocation purement normative peut refléter une prise de position plus tranchée, plus dirigiste et plus subjective de la part de l’auteur. À titre d’exemple, le Dictionnaire de l’Académie française (DAF) recourt à une formule du type : « X doit être préféré à (l’anglais) Y », énoncé qui est placé à la suite des mots ou des sens visés dans les articles. Voir baladeur (sens 4) : « Doit être préféré à Walkman. », II. digital : « Le terme Numérique doit être préféré. ».

3) Cette métalangue manifeste clairement que le lexicographe n’a guère le choix et que pour des raisons tant scientifiques que concurrentielles et commerciales, il doit rendre compte des avis terminologiques, aussi bien ceux qui touchent les mots lexicalisés et déjà consignés dans les dictionnaires avant l’intervention (ex. : fast food, jumbo-jet, listing) que ceux qui sont néologiques, à savoir des mots de remplacement créés par les normalisateurs, (ex. : baladeur, publipostage, voyagiste). Les dictionnaires enregistrent les avis officiels et ils « ne peuvent refuser cette manifestation évolutive et prescriptive, alors même qu’ils se veulent descriptifs » (Rey 1983 : 546). Ces choix forcés entraînent la recherche de solutions servant à concilier les jugements proprement régulateurs avec les objectifs d’un instrument descriptif qui se veut d’abord le témoin de l’usage. En vertu de ce rôle d’observation, certaines propositions néologiques n’ont pas encore obtenu le statut d’entrée dans un DGM (ex. : barbotine, chalandage); cependant, elles peuvent être mentionnées sous la forme évaluée (ex. : barbotine est noté sous sloche dans le DQA) ou, au mieux, elles peuvent constituer une entrée dont la définition est réduite aux mots de la métalangue (ex. : PLI : sonal : « n. m. (pl. sonals). Recomm. off. pour jingle. »; stylique : « n. f. Recomm. off. pour design. »), quand il ne s’agit pas d’un simple renvoi au mot source (ex. : PR : baladeur : « 3° N. m. V. Walkman. »). Le dictionnariste attend patiemment le verdict social qui se traduira par la lexicalisation du mot ou par son éviction. Tout mot accrédité socialement devient candidat à l’intronisation dictionnairique. Il jouira alors d’une reconnaissance macro- et microstructurelle pleine et entière, au même titre que les autres mots du répertoire. En outre, les termes soumis au verdict des commissions changent de statut en passant dans les DGM : ils perdent leur saveur onomasiologique pour pénétrer dans le vocabulaire général. Leur caractère thématique est atténué afin qu’ils puissent joindre le corps de la langue courante. Ce sont des termes employés dans l’usage ordinaire et non plus dans le contexte exclusif des ordres spécialisés du savoir. Ils sont donc traités sémasiologiquement. Le premier indice de ce transfert ou de cette réimplantation est observable dans les nuances apportées aux définitions. En immigrant dans le DGM, la définition terminologique subit des transformations plus ou moins profondes. Elle est banalisée ou vulgarisée, au sens linguistique et positif des deux termes (voir Boulanger 1989b : 45-46). Voici deux exemples :

RALT DQA
ravin ravin
« Entaille profonde et étroite sur un versant, creusée par les eaux de ruissellement. » « Petite vallée étroite très profonde, à versants raides, creusée par les eaux de ruissellement. »
lac lac
« Nappe d’eau douce entourée de terre, généralement pourvue d’un exutoire, ou élargissement d’un cours d’eau entraînant le dépôt de sédiments. » « Grande nappe naturelle d’eau douce à l’intérieur des terres. »

4) Cette métalangue prudente montre que le lexicographe est prêt à convoquer les officialismes dans sa chasse-gardée, mais pas à n’importe quelles conditions. Il ne retient des dictionnaires d’autorités normatives qu’un certain nombre de termes, se gardant bien par ailleurs de tout marquer. Il conserve toujours la haute main sur la sélection (pour les critères, voir Boulanger 1989a : 52-53) et sur le traitement réservé à cette portion de la nomenclature, destinée en priorité à une clientèle cible très différente de celle des dictionnaires terminologiques ou officiels. Le tamisage est sévère et les consommateurs ne se voient livrer que ce qui paraît viable par rapport à l’usage, fût-ce un usage planifié et contrôlé. L’obéissance aveugle aux sources d’avis officiels n’est pas encore inscrite dans le code d’éthique de la lexicographie et elle n’a pas besoin de l’être. S’ils signalent les termes d’absolution, les lexicographes ne peuvent par ailleurs négliger les termes à remplacer. Ainsi, malgré logiciel, matériel, baladeur; bouteur, certains dictionnaires conservent les articles incriminés software, hardware, Walkman, bulldozer (PLI, PR). « La publication exhaustive et commentée des termes officiellement approuvés relèverait d’une autre perspective, ouvertement normative, que nous n’avons jamais adoptée » (Rey 1990 : XIX). « La fonction du dictionnaire [de langue] n’est pas de prendre parti entre ces synonymes, entre les deux usages concurrents, mais de constater qu’aujourd’hui deux usages s’opposent » (Lexis : VIII). C’est l’option également retenue dans le DQA. Les formes jugées par les commissions de terminologie comme étant répréhensibles ou à remplacer peuvent continuer à avoir de la vigueur ou des adeptes dans certaines circonstances de discours, y inclus dans le discours lexicographique lui-même. Qu’on en juge : GRLF : donnée : « Représentation conventionnelle d’une information (fait, notion, ordre d’exécution) sous une forme (analogique ou digitale) permettant d’en faire le traitement automatique. ». Cette définition maintient le mot digital alors qu’à l’article digital du même dictionnaire, il est précisé : « REM. On recommande officiellement l’adj. numérique pour remplacer cet anglicisme, qui crée en français des confusions avec 1. digital [...]. »

3. Conclusion

Visiblement, les interventions normatives gouvernementales ne laissent pas les lexicographes indifférents. Ceux-ci jouent un rôle dans leur implantation dans l’espace dictionnairique. Ils ont dû aménager de nouvelles zones d’accueil dans leur microstructure afin de tenir compte des données officielles émanant des travaux ministériels. Cet accommodement au service de l’implantation terminologique est maintenant un acquis depuis près de vingt ans. La norme professionnelle rejoint et complémente la norme sociale objective déjà propagée par le DGM. Celui-ci est sans doute l’outil le plus influent pour infléchir dans le sens le plus évolutif la norme et le destin d’une langue ou de ses variétés. Les dictionnaires usuels deviennent ainsi des instruments d’appoint dans toute stratégie d’aménagement linguistique et terminologique mise de l’avant de par une volonté politique. On connaît fort bien l’effet normalisateur du DGM : aux yeux du consulteur, la portée prescriptive l’emporte sur la simple description des usages. Il est indéniable que l’intégration des avis dans les dictionnaires courants a des conséquences décisives sur le statut et sur la carrière des termes métamorphosés en simples mots par le miracle de la consignation dictionnairique. Les responsabilités des lexicographes sont claires : leur devoir est de « relayer les décisions officielles d’aménagement des langues, quitte à noter l’échec (le succès correspond à la situation normale d’observation de l’usage) » (Rey 1988 : 288). [Voir à ce sujet les articles brainstorming, hardware, listing, tuner, etc., dans le GRLF.] Néanmoins, le lexicographe n’est que le porte-parole désigné par les institutions officielles. « On ne doit donc pas attendre de lui qu’il prenne à son compte les recommandations concernant les usages officiels : il en fait cependant mention, lorsqu’il juge la chose utile pour les lecteurs visés par son dictionnaire, puisque ces avis sont des manifestations de l’évolution de la langue » (Poirier 1992 : 4).

Dans les DGM, l’aménagement de commentaires relatifs à des unités terminologiques isolées ou à des constellations idoines introduit un nouveau discours normatif, une information de nature fonctionnelle ou une information simplement utilitaire pour le locuteur. La prescription n’est pas aussi exclusive que dans les répertoires terminologiques où des considérations d’autres ordres entrent en jeu, par exemple des impondérables législatifs, économiques, politiques... La métalangue microstructurelle sert en outre à distancer le lexicographe par rapport aux circuits interventionnistes ou dirigistes dont celui des officialismes est la dernière manifestation en date. La plupart du temps, ce discours renvoie implicitement à l’autorité normative tout en dégageant le rédacteur de la responsabilité de la règle édictée ou de l’interdiction d’emploi. On constate une fois de plus que les dictionnaires se sont toujours accommodés d’un nouvel ordre de vie quand celui-ci s’est manifesté. Il n’en va pas différemment avec la normalisation et l’implantation terminologiques dans leurs rapports au social ordinaire. Ces relations nouvelles entre la langue générale et les LSP sont adéquatement tissées dans les microstructures des dictionnaires culturels contemporains.

En fin de parcours, il convient de présenter les faits suivants au regard du sort lexicographique des officialismes :

  1. Tous les DGM récents intègrent en nombre plus ou moins élevé les avis officiels relatifs à des propositions lexicales inédites.
  2. Tous les DGM marquent du sceau de l’officialisation des unités déjà présentes dans les articles et installées dans l’usage depuis belle lurette. Certains commentent, leur changement de statut, d’autres ne le font pas. D’un dictionnaire à l’autre, qu’ils soient publiés par des éditeurs différents ou par le même éditeur, les mêmes mots ne sont pas tous marqués également, tant s’en faut.
  3. Aucun dictionnaire ne catalogue ou n’identifie l’ensemble des unités scrutées par les commissions de terminologie, peu importe la décision en cause ou la qualité linguistique du mot jugé.
  4. Une métalangue lexicographique s’est naturellement créée pour discourir sur cette nouvelle zone du vocabulaire issue de l’interventionnisme étatique dans les lexiques d’experts. Chaque entreprise dictionnairique aménage à sa façon ce discours codé et l’appareil diacritique qui l’accompagne.
  5. Le discours métalinguistique reflétant l’officialisation n’est limité à aucune rubrique du dictionnaire. Il loge dans n’importe quelle rubrique microstructurelle : la zone morphologique de l’entrée (ex. : le suffixe féminin -eure), la catégorisation lexico-grammaticale (ex. : n. pour les noms épicènes), la parenthèse étymologique, la définition, le réseau analogique, l’exemple, etc. Mais le plus souvent, il fait l’objet d’une nouvelle rubrique indépendante des rubriques classiques (voir Boulanger 1989a : 42-46).
  6. Dans les dictionnaires les plus récents, on constate un début d’effacement de la métalangue d’officialisation qui balisait certaines unités lexicales néologiques à l’origine. Celles-ci s’étant diffusées très largement dans l’usage, elles ont donc atteint un haut degré de lexicalisation que doit reconnaître le lexicographe, de sorte qu’il ne paraît plus nécessaire de rappeler qu’elles émanent des travaux des instances normatives. Ainsi, dans le DQA, baladeur et logiciel ne sont plus marqués comme étant des propositions ministérielles tandis que sous 2. matériel, les rédacteurs conservent le lien avec l’emprunt hardware : « REM. On a employé l’anglic.hardware. ». Le caractère moins courant et la basse fréquence d’emploi du mot matériel dans la langue courante expliquent la réticence des lexicographes à vouloir le « démarquer ». Quant à Walkman, l’observation porte sur son seul statut de marque déposée. Enfin, les mots software et hardware ne font pas l’objet d’articles dans ce dictionnaire axé sur l’usage standard québécois.

Bibliographie

Linguistique

Dictionnaires

Référence bibliographique

BOULANGER, Jean-Claude (1994). « Normalisation terminologique et lexicographie générale », dans Les actes du colloque sur la problématique de l’aménagement linguistique (enjeux théoriques et pratiques) : colloque tenu les 5, 6 et 7 mai 1993 à l’Université du Québec à Chicoutimi, Montréal, Office de la langue française, coll. « Langues et sociétés », p. 429-438. [article]