Images de la norme du français québécois : les perspectives lexicographiques contemporaines

Jean-Claude Boulanger (Université Laval)

De manière comparable à l’anglais des États-Unis par rapport à celui d’Angleterre, le français du Québec, passablement écarté de celui d’Europe, tend depuis 1960 à se normaliser, et donc à se stabiliser, et souvent à réduire cet écart » (REY, 1992 : 1685).

1. L’objet dictionnaire[1]

Depuis le XVIIe siècle, le dictionnaire est un instrument de référence privilégié qui fait autorité en matière de langue. Le pouvoir dont il est investi ou la puissance qui en émane concourent à le faire pénétrer dans une espèce de mythologie dans laquelle le dieu Norme commande le royaume des mots. Or la galaxie dictionnairique est organisée en systèmes beaucoup moins monolithiques, beaucoup plus protéiformes qu’on ne le croit généralement.

Objet didactique et produit d’ordre linguistique avant toute chose —bien qu’il soit aussi un objet technique et industriel—, ce genre de livre sur les mots est aussi une construction d’origine anthropologique et ethnologique ainsi qu’un instrument du savoir senti comme un lieu mémoriel d’accumulation des connaissances d’une nation sur sa langue et, accessoirement, sur le monde. Il traduit et exprime fidèlement la vision du monde que s’est forgé un groupe culturel, tout comme il dérive de ce milieu ambiant. Rattaché à une longue chaine d’influences établissant un continuum, il grave dans les archives de l’histoire les modes de vie et de pensée ainsi que la perception de la langue d’un groupe humain qui occupe un territoire donné, parle et écrit une langue ou une variété de langue à une époque bien déterminée dans le temps. En retour, les membres de cette société cherchent à se reconnaitre et à s’identifier dans le ou les dictionnaires qu’ils utilisent (BOULANGER, 1994a : 2). C’est à partir de là qu’ils peuvent se dire eux-mêmes, dire et interpréter le monde, découper l’expérience humaine. Le dictionnaire général monolingue est donc un livre dont les sources sont éminemment sociales —les hommes et la culture— et qui est porteur d’une constellation de valeurs symboliques communautaires. En prenant appui sur des systèmes de valeurs socio-historiques, chaque dictionnaire réfléchit à sa manière un modèle des usages sociaux d’une langue et des conflits qui les agitent (REY et DELESALLE, 1979 : 20). Il prend alors la figure d’un précieux instrument d’une herméneutique socioculturelle. De Robert ESTIENNE au cours de la première partie du XVIe siècle aux plus récents héritages des entreprises Larousse et Robert, en passant par toutes les éditions du Dictionnaire de l’Académie française, on peut retracer les grandes étapes des transformations successives de la société française, et, dans une moindre mesure, percevoir l’éveil des autres sociétés francophones.

2. La non-singularité du français

La langue française ne se rencontre dans son intégralité chez aucun être humain. Corollairement à cette dimension anthropologique de la langue, on peut affirmer sans l’ombre d’un doute, qu’elle n’existe pas non plus dans sa plénitude sur aucun territoire où elle est connue ou en usage. Et il n’en a jamais été autrement depuis sa naissance officielle il y a presque douze siècles. Dans sa spatialité, le français a toujours été fragmenté, ondoyant et irradiant. Qu’on le prenne en n’importe quel point de son histoire, cet idiome a toujours participé d’usages et de normes multiples. Aussi, peut-on conclure que, depuis les Serments de Strasbourg en 842, il est émaillé de traits régionaux de tous ordres : phonétiques, grammaticaux, lexicaux, etc., que ses frontières ne sont pas étanches, qu’il a évolué et évolue encore diversement dans des terreaux différemment semés, et que ces métamorphoses se réalisent selon des rythmes variables toujours conditionnés par l’histoire et par l’espace où il se déploie. De ces observations, on tirera un principe ou un postulat qui soutient ou démontre que plus une langue s’étend dans l’espace et plus elle s’éloigne de son foyer primaire, plus elle se différencie dans ses structures grammaticales et syntaxiques, plus les divergences phonétiques sont repérables, et plus son lexique s’accommode et se particularise sous l’effet d’influences et de conditionnements extralinguistiques multiformes, sans pour autant créer de rupture avec la source. Avec le temps, la langue finit par s’échapper des filets normatifs originels qui la tenaient captive; elle morcelle la supranorme idéale en une mosaïque d’autres normes qui seront reconnues, interprétées, homologuées ou rejetées suivant les opinions idéologiques de chaque groupe communautaire. Les différentes variétés de français sont issues de ces fragmentations successives. Et là où le français revendique le statut de langue maternelle, on peut distinguer hiérarchiquement un ensemble de normes générales, commodément identifiées par la référence nationale » (REY, 1994 : 312). C’est l’aventure vécue par le français du Québec depuis que le cardinal de Richelieu a fondé l’Académie française en 1635.

C’est dire que l’unité du français, et plus encore son unité normative, est une utopie, un concept théorique et idéal certes commode, mais parfaitement illusoire, que l’on ne peut concevoir aujourd’hui que comme une abstraction d’école qui permet de soutenir un édifice qui ne fut jamais stable et monolithique, justement parce qu’il prenait des figures diversement colorées selon les territoires où l’idiome s’épanouissait. À proprement parler, le français n’existe pas dans la réalité linguistique. On se sert de cette bannière pour désigner un type de langue qui s’oppose par exemple à l’espagnol et à l’anglais. Dans la réalité vivante du langage, seuls des français apparaissent et sont pertinents. Le français est un système de sous-systèmes qui, eux, sont actualisés dans des usages variables. La norme elle-même, qu’un impérialisme linguistique injustifié appelle “le français” tout court, ne constitue que l’un des nombreux français » (MULLER, 1985 : 50). La norme unique donnée comme table de vérité par rapport aux usages est rapidement invalidée par la moindre observation historique détaillée et lucide. La norme exclusive convoquée pour soutenir et assurer le fonctionnement langagier exemplaire des sociétés ne peut être qu’une chimère. Sur le plan dictionnairique, elle est davantage un programme théorique qu’une réalité tangible. Toujours imparfaite, toujours à négocier, en toutes circonstances elle est à modifier, à nuancer eu égard à des conditions évolutives des pratiques discursives et des interpellations multiples mises en jeu par la communication (REY, 1994 : 312). Cette image unitaire trouve son écho primitif dans les grammaires et les dictionnaires en usage au Québec —dont plusieurs viennent d’Europe— et qui transmettent exclusivement la norme de la partie éduquée de l’Île-de-France. Rêver à l’unification et à l’uniformisation du français, c’est croire qu’un « instant un » a existé, qu’un moment où tout était clair, net et immuable est repérable sur l’échelle du temps, et que ce point de repère sert de référence unique. Or le français était une langue éclatée dès qu’il s’est émancipé du latin. Nulle part il n’était complet ou stable. Il aura fallu un long cheminement pour en arriver au constat de la coexistence de normes distinctes lorsqu’une langue est parlée par des communautés linguistiques différentes culturellement éloignées les unes des autres » (CORBEIL, 1987 : 12). La pluralité des normes comme modèles de convenance est la principale assise de la francophonie et elle n’empêche pas les locuteurs de parler et d’écrire la même langue, même si des accents se sont distingués, des mots particularisés. Il est patent que si le français du Québec a encore quelque chose à voir avec le français île-de-francien d’hier et d’aujourd’hui, ce n’est certes plus du gallofrançais pur depuis belle lurette. La variation était déjà le lot des marins de Jacques Cartier avant qu’ils s’embarquent pour l’Ouest, qu’ils longent la côte du Labrador et qu’ils débarquent à Gaspé, en 1534. Plus tard, au XVIIe siècle, dès les premiers contacts sérieux avec les civilisations amérindiennes, la langue française a commencé à s’enrichir d’emprunts que les explorateurs ont ramenés en Europe. Ces amérindianismes, dont un grand nombre est encore d’un emploi quotidien en français québécois, donnent une spécificité à la variété de la langue de Molière qui s’épanouit en Amérique. La neuvième édition du Dictionnaire de l’Académie française (DAF) consigne des unités de cette catégorie (ex. : carcajou, caribou). De ce point de vue et quoique prudente, l’Académie a toujours été sensible à la mouvance lexicale francophone. Celle-ci trouve des échos de plus en plus pertinents dans les œuvres de la Compagnie qui accueille des vocables tantôt conservés et tantôt inventés dans divers pays du vaste espace francophone, considérant qu’ils étaient de nature à enrichir la langue commune » (DRUON, 1992b : VI). Néanmoins, la perspective descriptive demeure différentielle et la manière de vivre avec ces mots, de les manier, diffère profondément sur les deux continents.

3. L’autogestion de la norme

Au Québec, depuis une génération, l’ouverture culturelle et politique ainsi que la recherche d’une personnalité nationalitaire —plan social— et identitaire —plan individuel— a (re)donné la parole aux gens, arrière-plan qui a préparé une meilleure saisie de la langue d’abord, de la norme, ensuite, et posé les balises pour mener à l’identification puis à la légitimation d’un standard québécois. Fait observable parmi de nombreux autres, collectivement, les Québécois ont pris en main et assumé la gestion de leurs ressources linguistiques, lexicales en particulier, y inclus la part commune héritée du rameau européen du français et le patrimoine que quatre siècles et demi d’histoire ont permis de façonner, d’accumuler et d’accroitre. Il est désormais évident que la définition des référents doit s’élaborer et s’évaluer de l’intérieur, attendu que c’est la perception que l’on a de soi qui guide les réflexions, construit la réalité et dessine un profil du monde original et intégrateur. La référence initiale doit se faire à travers un usage linguistique national, organisé, valorisé et validé en conséquence. L’usage québécois forme l’un des principaux nœuds de la langue française; il institue un ensemble de règles de conduite cohérentes, un code qui débouche sur la reconnaissance implicite d’une norme lexicale nord-américaine généralisée, en attendant qu’elle soit davantage explicitée dans les dictionnaires et accréditée dans des grammaires. La norme du français du Québec peut alors être comprise comme la constitution et l’action du français laurentien qui réfère à une pratique dominante qui s’impose à d’autres pratiques langagières à l’intérieur de la communauté et qui en règle la réalisation (BAGGIONI, 1976 : 56-57).

La norme décrite dans la majorité des dictionnaires de langue est de nature objective en ce sens qu’elle rend compte des emplois qui émanent de la société, qui sont observés puis consignés par les lexicographes (BOULANGER, 1994a). Cette vertu lexicographique est encore réaffirmée dans le Nouveau Petit Robert (NPR) quand les principaux rédacteurs écrivent noir sur blanc que leur dictionnaire reste fidèle à son rôle d’observateur objectif, rôle qui répond à la demande des usagers du français. Il arrive qu’il donne son avis sur une forme ou un emploi, mais c’est alors par des remarques explicites qui ne peuvent être confondues avec l’objet de la description » (REY-DEBOVE et REY, 1993 : IX). La norme dont il est ici question est communément désignée par l’appellation « norme sociale », et c’est elle que la grande majorité des travaux de lexicographie québécoise prend en compte depuis dix ans dans les dictionnaires généraux. L’attraction du prescriptif à tout prix et le désir inconscient de la norme unique placent bien des dictionnaires en porte-à-faux, particulièrement lorsqu’ils sont élaborés hors du cercle d’influence européen. Ces recueils sont souvent coincés dans le piège tendu par Charybde et Scylla, puisqu’ils demeurent à la jonction de la norme prescriptive et de la norme objective, c’est-à-dire qu’ils sont situés aux confins du code normatif que certaines autorités ou prétendues autorités souhaitent implanter —aspect interventionniste et prescriptif, souvent exacerbé par un purisme intransigeant —et du portrait fidèle peint par la description nuancée, mais néanmoins réelle de l’usage social —aspect socio-observationnel et prioritairement descriptif fondé sur la vie du langage (BOULANGER, 1988 et 1994a).

La norme —concept polémique s’il en est— joue un rôle de premier plan dans l’écologie linguistique de toute société qui a su structurer ses institutions politiques, éducationnelles et culturelles. Elle n’est pas autre chose qu’une manière d’appréhender un système linguistique donné ou une partie de celui-ci et de s’en servir. Ce que les lexicographes décrivent comme étant leur langue ou leur variété de langue est le standard de la collectivité dans laquelle ils vivent et travaillent. Autrement dit, la norme s’édifie à partir de l’usage propre reconnu à un corps social et par ce même corps dans le cadre d’une communauté plus ou moins étendue. Il existe une norme là où les individus fédérant la collectivité cible s’accordent tacitement entre eux pour admettre une façon spécifique de parler et d’écrire une langue ou l’une de ses variétés comme étant la leur. En clair, il y a norme lorsque le groupe reconnait et sent que sa variété a suffisamment acquis de force, de prestige et d’autonomie pour accéder à la légitimation. Et cette entreprise de légitimation ne saurait venir que de l’intérieur et résulter d’un effort volontaire et collectif. À l’heure actuelle, il semble que le français du Québec se singularise de cette manière sur l’échiquier francophonien. Cette prise de conscience est récente. En France, elle est enracinée dans le XVIIe siècle, diverses institutions dictionnairiques ayant joué un rôle primordial dans ce cheminement, notamment l’Académie française par l’entremise de ses dictionnaires. Cette institution a toujours réalisé ses recherches en s’appuyant sur le principe de l’usage légitimé.

Un tel point d’ancrage et de comparaison est fondamental pour amorcer les débats ou les discussions sur les perspectives lexicographiques québécoises. Il est donc indiscutable qu’il existe une norme québécoise, en vertu de laquelle un Québécois, même non cultivé, saura très vite reconnaître comme hétérophone un francophone dont le parler représente la norme d’un autre secteur de la francophonie » (VALIN, 1983 : 790). La norme consiste ici à privilégier, sur la base d’arguments très divers : historiques, esthétiques, logiques, sociologiques, géographiques, politiques, etc., un usage défini de la langue française, choisi parmi d’autres tout aussi attestés, à l’ériger en modèle, c’est-à-dire à le limiter et à l’encadrer par une série de contraintes socioculturelles. La norme se présente simultanément comme un ensemble de choix conventionnels, à savoir contestables, et un instrument qui vise à instaurer une cohésion linguistique dans la société : elle doit être assurée comme telle, dans cette contradiction de la contrainte et de la liberté caractéristique de toute expérience du langage » (GENOUVRIER, 1972 : 50). Au plan théorique, cela revient à dire que le français d’Amérique peut être décrit lexicographiquement comme s’il n’existait pas d’autres français. La réappropriation ou le refaçonnement de la norme ne peut pas se réaliser d’une autre manière.

Une autre condition parait essentielle : c’est celle qui consiste à considérer que les Québécois se réclament d’une langue qui s’appelle bien le français et qu’ils ne le parlent ni mieux ni plus mal que les locuteurs des autres communautés de même allégeance linguistique, y compris les Français. Que l’on cesse de croire que les locuteurs du Québec passent leur temps à dégrader la langue, à l’abâtardir, à lui infliger les pires tortures et autres détournements anglicisants, à entretenir un vocabulaire et une prononciation archaïques pittoresques et folklorisants, comportements qui l’écarteraient de plus en plus du standard international, qui n’est, au vrai, qu’une vue de l’esprit influencée par le sacro-saint modèle scripturaire et, surtout, par l’éloignement de la réalité langagière quotidienne de la France aussi variable dans ses registres qu’elle l’est en Amérique ou ailleurs. Ces attitudes relèvent d’un aveuglement sur la vie des langues, sur la nature de la variation linguistique, sur les distinctions entre l’oral et l’écrit et sur une approche des marques d’usage qui gomme tout l’arrière-plan historique, social et géographique. La compétence active la plus visible et repérable, c’est-à-dire le registre oral, est l’objet en français de variations certaines et nombreuses que des pratiques d’écriture littéraires, médiatiques, documentaires, scientifiques, techniques et administratives ainsi que des pratiques d’enseignement masquent ou gomment. De là, la force et la persistance du purisme. Autre sport national d’autoflagellation et de stigmatisation, le purisme est à sa façon une falsification de la réalité du langage. En refusant et en repoussant la réalité présente d’une culture linguistique originale, en l’occurrence la nôtre, il ne fait que gauchir une vérité linguistique enracinée dans le tissu social. Cette forme d’interventionnisme qu’est le purisme n’a rien à voir avec un aménagement linguistique pesé et réfléchi. Ce n’est absolument pas un effort évolutif. Au contraire, cela s’apparente à l’érection d’un rampart contre le changement et la modulation. Le purisme ne vise qu’à condamner tout ce qui n’est pas conforme à certains désidératas dans lesquels pointe l’idée absolue d’une langue étale. Ainsi, l’exclusion d’un niveau de langue au profit de l’autre et sans tenir compte des paramètres sociaux, est un geste qui mène droit au rigorisme. D’ailleurs, avant de parler de niveaux de langue, encore faut-il que le parleur en ait plusieurs à sa disposition, qu’il en prenne conscience et qu’il puisse les manipuler! Le purisme est une action de nature sectaire, ce n’est jamais une force soutenue par l’ensemble d’une communauté. Pour la simple raison qu’il fait fi du présent, sauf à dire qu’il est à corriger, qu’il escamote la mouvance de la langue et ses diverses stratifications spatio-temporelles, qu’il s’anime à un modèle du passé qui ne s’est jamais pérennisé et qu’il relève d’un avenir encore plus hypothétique. En prenant pour référence prioritaire ce qui fut il y a longtemps, par exemple le dictionnaire d’Émile LITTRÉ, au détriment de ce qui est, le purisme bride la langue, et cela ne saurait être toléré. Aucune langue, aucune variété de langue n’a de chance de survie si on laisse le faucon de l’autarcie puriste la capturer dans ses serres. Ce qui ne signifie pas qu’il ne faille exercer une forme de vigilance et de surveillance.

En lexicographie, il parait difficile du point de vue du programme, donc de la méthode d’élaboration d’un dictionnaire, de servir deux maitres à la fois, à savoir une clientèle nord-américaine ou européenne et un utilisateur non typé, universel, d’autant plus si l’on garde à l’esprit que la norme est fragmentée et plurielle. Le Nouveau Petit Robert et le Petit Larousse illustré (PLI), par exemple, ne sont pas des dictionnaires qui satisfont entièrement les Québécois, et cela malgré l’intérêt qu’ils prêtent à quelques québécismes. Faute d’ouvrages nationaux répondant à leurs attentes, ce sont seulement des ouvrages que les Québécois utilisent à bon escient. Mais ils sont loin de répondre à toutes les interrogations sur la langue qui se posent en contexte québécois.

4. La nature du québécisme

Au Québec, le débat entourant le concept de « norme » exige que soit clarifiée une autre notion, à savoir celle de « québécisme », qui, en corollaire, amène à se pencher sur le statut des mots québécois par rapport à la langue française.

L’idée de québécisme peut s’articuler de deux manières. Elles sont présentées très schématiquement et sans nuance pour le moment, car cela mènerait trop loin (voir la discussion sur la question du régionalisme dans BOULANGER, 1985).

4.1. Le québécisme est un mot, un sens, une locution, etc., propre au français québécois et qui n’est pas d’usage actif en France ou ailleurs dans la francophonie —sauf s’il réfère à la réalia évoquée—, et qui, d’aventure, est identifié, marqué comme tel dans les dictionnaires d’outre-Atlantique ou dans ceux d’ici. Ce type de québécisme possède alors un caractère différentiel et il correspond à la distinction traditionnelle faite par les linguistes et les lexicographes. Il s’oppose au belgicisme, à l’helvétisme, à l’acadianisme...

4.2. Le québécisme est un mot, un sens, une locution, etc., tiré(e) du système de la langue française et employé(e) couramment au Québec, dans le cadre des communications orales et écrites ordinaires, générales et/ou spécialisées. Selon ce point de vue, tous les mots du sous-système du français en usage normal, habituel au Québec et qui ne réfèrent pas explicitement à d’autres réalités spécifiques de la francophonie sont des québécismes. Par ailleurs, un nombre relativement important de ces mots caractérise notre variété de langue, mais la majorité fait aussi partie du français commun, partagé par la communauté francophone internationale. Selon une évaluation toute intuitive, mais reposant sur diverses expériences dictionnairiques, la part du vocabulaire commun entre toutes les variétés de français serait approximativement de 80 %. J’ai déjà dénommé ce fonds commun les francophonismes (BOULANGER, 1986 : 190), donnant à ce terme un relief sémantique qui parait logique (d’autres chercheurs lui ont attribué le sens de « régionalisme »; voir, parmi d’autres, DEPECKER, 1988 : 10-11). L’option différentielle à propos du sémantisme de francophonisme accrédite l’image d’une norme dominante parisienne. Le Dictionnaire québécois d’aujourd’hui (DQA) fut élaboré en suivant cette perspective renouvelée de la conception du québécisme : tout son contenu est de langue française et québécois, concrétisant en cela l’idée qui soutient qu’un dictionnaire complet du français du Québec doit être rédigé comme si c’était le seul français de la planète.

5. Perdus dans l’histoire et dans l’espace

La langue française n’est pas singulière, mais le système qui la gère et la règle est singulier, lui. Les normes, les usages sont pluriels. Ils montrent ainsi l’évolution et la rénovation de la langue. Aussi, soutenir que le français s’étale en variétés dans le temps et dans l’espace, c’est-à-dire qu’on y observe des modulations plus ou moins accentuées selon les territoires, n’est, bien entendu, ni un secret, ni une observation originale, du moins jusqu’à ce que retentisse l’écho de l’idéologie. Car il est évident que du point de vue des positions idéologiques, l’idée de norme n’est pas neutre.

Hors d’une position nationale, il parait absurde de se poser la question de savoir ce qu’est, au Québec, le français standard et un français de qualité (BOULANGER, 1994a : 1). On dira que c’est le français garanti par la norme soutenue par la communauté nationale québécoise; ce standard est épaulé par tous les organes étatiques ou autrement influents (dictionnaires, grammaires, académies, textes de loi, décrets, énoncés institutionnels, etc.) et par tous les spécialistes des questions linguistiques et lexicographiques. Toute remise en cause de l’existence objective du Québec en tant que communauté propriétaire légitime de l’une des variétés valorisées de la langue française au bénéfice d’une exonorme conduit à l’invalidation de l’endonorme préconisée et à l’éradication de la francophonie en tant qu’institution défenderesse du droit à la différence linguistique. Ce droit ne peut pas être restreint au contingent des régionalismes qui enrichissent un fonds commun, le parent et le sertissent d’ornements lexicaux dont le mérite premier est d’exercer un attrait exotique ou d’être éblouissants. La vie du langage est autrement sinueuse.

Dans un dictionnaire québécois qui envisage l’ensemble de la langue d’ici, il ne parait pas opportun de baliser les particularités lexicales et cela pour plusieurs raisons déjà discutées ailleurs (BOULANGER, 1994b). Elles sont synthétisées ci-après.

5.1. Marquer les québécismes spécifiques à la variété nord-américaine du français reviendrait à établir un précédent pour une autodescription lexicographique complète d’une langue sur un territoire donné. Jamais les dictionnaires de France ne marquent l’ensemble des francismes ou des mots usuels en France seulement ou autrement dénotatifs de l’Hexagone. Les dictionnaires ne particularisent que ce qui provient d’ailleurs : régions, États, pays. Les travaux de Louis-Alexandre BÉLISLE au milieu des années 1950 étaient d’un ordre particulier : sa référence normative est inconditionnellement alignée sur le français d’Europe. Ses dictionnaires ont néanmoins constitué une étape importante, nécessaire même, dans l’histoire et l’évolution de la lexicographie nord-américaine de langue française.

5.2. La marque géographique est inutile, puisqu’il existe par ailleurs un appareil de balises qui permet de noter les écarts par rapport à la norme préconisée : les marques sociales pour les niveaux de langue, les marques socioprofessionnelles pour les terminologies thématiques, les marques chronologiques, les marques collocatives, etc. C’est ce réseau qui importe. Par ailleurs, le simple fait de considérer l’ensemble de la langue française parlée et écrite au Québec comme un tout à décrire est déjà une prise de position normative. La norme institue dans le champ des comportements socio-culturels une polarité du positif et du négatif tendant à fonder en valeur une décision strictement conventionnelle [...] » (GENOUVRIER, 1972 : 43). Comme cette option répond à la perception du québécisme évoquée plus tôt au paragraphe 4.2., on conçoit facilement qu’il y aurait une forme de redondance à vouloir identifier les localismes panquébécois. L’identification de la variation interne relève d’une autre analyse qui ne sera pas abordée dans ce texte.

5.3. Marquer les particularismes québécois reviendrait à soutenir :

5.3.1. Qu’il existe une norme supérieure, que cette norme est centralisée ailleurs —à Paris— et que c’est elle qui servirait de référence, de tertium comparationis. Un dictionnaire qui envisage l’ensemble de la norme d’ici tout en soulignant les éléments spécifiques serait vu comme un sous-produit dialectal. Il est impossible de croire qu’aujourd’hui encore seuls les dictionnaires de France puissent servir à hiérarchiser les mots d’un autre territoire. Cela contredit la définition même de la francophonie.

5.3.2. Que les unités linguistiques ainsi mises en évidence sont marginalisées, régionales, donc irrecevables, invalidées par l’autre norme. Car tout marquage, quel qu’il soit, est perçu prescriptivement par le décodeur. Les doxas dictionnairiques et normatives en répercutent l’écho depuis des siècles.

5.3.3. Qu’il existe encore un profond sentiment d’insécurité linguistique vis-à-vis la norme québécoise légitime, qu’en somme on nierait (BOISVERT, BOULANGER, DESHAIES, DUCHESNEAU, 1993). Ce serait faire la preuve que le choix normatif n’est pas arrêté, que la société ou les lexicographes ne sont pas disposés à accepter le standard d’ici ou encore à confirmer qu’il en existe bel et bien un. Quant à l’argument de fierté devant les mots identifiés, il n’a pas sa raison d’être puisqu’il ne vaudrait que pour ce qui est au-dessus de la norme, à savoir les mots littéraires (ex. : bouscueil, pagée) et les termes techniques ou scientifiques (ex. : acériculteur, batture, inhalothérapeute, récréotouristique). Tous les mots appartenant à des niveaux de langue sociaux situés sous la barre normative seraient stigmatisés. Marquer les québécismes, ce serait reconnaitre qu’il y a quelque chose de différent, au sens négatif s’entend. Marquer par fierté reviendrait malgré tout à proscrire. Cela s’apparenterait au défaut de la qualité. À vouloir trop bien faire, on risquerait de perpétuer une autre idéologie. À moins, bien entendu, que les mentalités face au décodage changent.

5.3.4. Qu’il faut signaler aux autres francophones que ces mots sont exclusivement québécois. Cette option n’a guère de sens sinon d’entretenir le complexe de la différence. Un dictionnaire comme le DQA s’adresse aux gens d’ici en priorité tout comme les dictionnaires français décrivent un usage hexagonal pour des locuteurs hexagonaux. Lorsque les lexicographes français reprennent nos mots, ils les identifient à leur manière afin de répondre aux objectifs de leur programme respectif et de satisfaire les publics cibles identifiés. Ils les retiennent seulement lorsque ces usages présentent un intérêt pour tout le monde » (REY-DEBOVE et REY, 1993 : XIII). La désignation de réalités propres ou la mention d’usages caractérisés « ne prétendent pas remplacer les descriptions spécifiques et plus exhaustives des belgicismes, helvétismes, québécismes, africanismes, antillanismes, etc., et encore moins se substituer à des dictionnaires du français décrivant l’usage et la norme de cette langue dans une communauté sociale donnée (le Robert vient d’en faire la tentative très sérieuse au Québec, par le Dictionnaire québécois d’aujourd’hui) » (ibid. : XIII-XIV). Par ailleurs, les dictionnaristes français n’ont cure d’identifier leurs propres particularités (ex. : NPR : droguerie, garde à vue, garde des sceaux, polochon, traversin; DAF, bizut, cégétiste, droguerie, énarchie), sauf lorsqu’il s’agit de termes institutionnels (ex. : NPR : arrondissement, canton), et encore n’y a-t-il pas là une recherche d’exhaustivité dans un même dictionnaire ou d’un répertoire à un autre (ex. : DAF ne souligne pas les francismes arrondissement, bachot, canton).

6. Conclusion : dictionnaire, norme et société

La marque, quelle qu’elle soit, est le signal d’un écart par rapport à quelque chose d’autre qui est accepté : une norme, un standard, des niveaux d’emploi, de discours... Aussi, rappeler aux Québécois que tel ou tel mot est un québécisme, au sens de « régionalisme », ce serait les inciter à le rejeter par insécurité linguistique et à rechercher la réponse « correcte » dans un autre réservoir, en l’occurrence le trésor franco-français. Identifier les québécismes, c’est, bien entendu, noter tout écart visible par rapport à la France (ex. : acériculture, cégep, désencrage; fam. maganer, sacrer son camp, taponner). Si les trois derniers exemples ont des synonymes gallofrançais de même niveau, il n’en va pas de même pour les trois premiers qui sont davantage valorisés et qui, en France, n’ont aucune résonance conceptuelle interne. Doit-on alors envisager deux classes de mots, les bons et les mauvais? Puis, étiqueter les mauvais et laisser les bons errer sans collier?

Tout lexicographe « différentialiste » marquerait les mots cités ci-dessus. Mais que ferait-il avec des formes comme avenue artère orientée nord-sud », banc siège pour une personne », bouquin (qui est familier en France), chaise, érable, faculté (l’un des exemples du NPR est : Doyen, recteur d’une faculté. »), fauteuil, le Fleuve, outre-mer [...] vers l’est », rue «  artère orientée est-ouest », sapin, université?

Concevoir un dictionnaire, le mettre en chantier, le rédiger supposent des choix normatifs à plusieurs niveaux, notamment pour le domaine précis des marques. En théorie, les dictionnaires ne se veulent pas ostracisants : ils refusent l’autocensure d’une norme rigoureuse » (REY-DEBOVE et REY, 1993 : XIII). Ils ne se veulent pas non plus contraignants : Les dictionnaires de langue que nous [le Robert] publions ne peuvent être considérés comme normatifs » (REY-DEBOVE, 1994 : 285). Mais leur contenu résultant d’une série de tris qui reposent sur des critères du bon et du bel usage, le destinataire en tire l’impression justifiée que ce genre d’ouvrage est un code de la langue prescriptif et réglé par les lexicographes identifiés comme des arbitres et des décideurs linguistiques. Pour ce qui est du point d’ancrage de notre norme, il semble acquis qu’elle est orientée du côté de la variété standard de la couche moyenne supérieure assez fortement scolarisée » (AUGER, 1988 : 63). En d’autres mots, la norme est le modèle social qui guide la réalisation des comportements linguistiques des locuteurs dans chaque groupe dont est composée la société globale elle-même » (CORBEIL, 1988 : 73). Elle est le mode d’existence de la suprématie d’une pratique linguistique sur d’autres qui existent dans la même communauté ou dans une communauté sœur (BAGGIONI, 1976 : 70). La norme reflète donc, y compris dans la variation linguistique régionale, la pratique qui est dominante sur un territoire. Cette pratique est elle-même l’expression, la médiation et le reflet complexe de la précellence d’une variété sur l’une ou l’autre. Il n’est donc pas opportun de marquer diatopiquement les mots ordinaires qui originent des galaxies lexicales de sa propre référence. C’est la variété éloignée géographiquement ou les variétés internes qui doivent faire l’objet du balisage. Des dictionnaires comme le Dictionnaire CEC Jeunesse (DCECJ), le Dictionnaire du français plus (DFP) et le DQA s’inscrivent dans la lignée de la conception variationniste de la langue française, et ce fait ne peut pas être ignoré lorsque l’on envisage les perspectives lexicographiques contemporaines.

Concrètement, il est difficile de circonscrire la norme puisque la seule définition possible de cette tête de pont lexicographique est la description elle-même une fois qu’elle est achevée et disponible. Au sein de la communauté linguistique québécoise, il existe sans nul doute une norme lexicale qui influence et oriente les usages et les situe les uns en relation avec les autres. Mais, à l’heure actuelle, rares sont les dictionnaires qui concrétisent cette vision théorique et intuitive de la norme sociale québécoise. La preuve reste à venir, car la norme implicite est néanmoins réelle et elle est conditionnée par les lexicographes qui confectionnent les dictionnaires. Le DQA est le premier dictionnaire québécois à expliciter sans complexe toutes les dimensions et tous les registres de la norme sociale observable de ce côté-ci de l’Atlantique. Plus il y aura de dictionnaires de ce genre, plus la norme sera concrétisée et avalisée.

Dans le contexte actuel de la francophonie, il n’en reste pas moins que la lexicographie québécoise est placée devant le défi de (re)territorialiser la lexicographie de la langue française. Plus que tout autre, le dictionnaire est un livre d’appartenance et d’identité, un livre territorial, terriblement diatopique : fruit d’un espace communautaire, il participe au développement d’un tissu social dans un temps immobilisé (BOULANGER, 1988 : 141). Les idées et les valeurs sociales défendues fusionnent aux mots de la tribu que consigne le dictionnaire. Aussi le tissu dictionnairique est-il imprégné de toute cette saveur et de cette symbolique sociales qui démarquent et caractérisent la communication d’un groupe de locuteurs. Au-delà de « la besogne des mots » —qu’évoque Georges BATAILLE— et des définitions, c’est dans le réseau des marqueurs de l’usage que le destinataire du dictionnaire retracera nombre de différences subtiles et peu connues entre la variété de français qu’il possède et maitrise le mieux et le français de référence, qu’il soit européen ou nord-américain. De plus, l’existence des marques dans un dictionnaire de langue représente une sorte de compromis acceptable entre les exigences plus ou moins contradictoires d’une perspective descriptive dans la rédaction du répertoire et une perspective éventuellement ou naturellement sentie comme normative chez les utilisateurs. S’il n’a pas d’âme, le dictionnaire ne sera qu’un objet de contemplation distancé et cela malgré ses qualités lexicographiques intrinsèques. Il doit communiquer quelque chose à quelqu’un qui est capable d’appréhender le message à partir de sa propre conception idéologique de la langue et du monde.

Les dictionnaires conditionnent les comportements langagiers des individus, car les consulteurs se rallient à ses préceptes sur la langue, qu’ils s’efforcent de transposer ensuite dans leur vie quotidienne. Construire un dictionnaire, c’est édifier une cathédrale à la langue, c’est créer un héritage incomparable pour un pays et c’est conforter la sécurité linguistique des locuteurs. Encore faudrait-il que les citoyens de ce pays se reconnaissent dans le dictionnaire qu’on leur propose. Si le répertoire de mots n’est pas un miroir social et culturel, c’est parce que les locuteurs ne souhaitent pas entériner leur autonomie en tant que peuple et civilisation. Tout dictionnaire projeté doit être élaboré en pleine conscience d’une grande confiance linguistique et d’une sécurité totale liées à la préhension que les Québécois ont sur leur développement économique, culturel, langagier, etc. C’est l’unique moyen d’accréditer un modèle original de la norme. Puis de pouvoir accepter la diversité des standards linguistiques de la francophonie tant il est clair que le français est d’un usage pluriel et que son écologie varie suivant les milieux où il s’épanouit. Il doit donc être conçu à la fois comme un idiome partout présent dans l’espace francophone et nulle part entier. On a souvent répété que la langue est l’âme et la lumière d’un peuple, qu’elle est l’assise de sa culture, le refuge de sa mémoire, le phare de son identité (DRUON, 1992a : II). Il en va ainsi des variétés légitimes d’une grande langue comme le français. Les véritables obstacles à la procédure de dictionnarisation sont alors plutôt d’origine politique et idéologique. La somme de toutes les normes régionales légitimes sculpte la supranorme de la langue française et elle en fera reconnaitre l’influence dans l’évolution du monde. L’existence d’un dictionnaire qui reflète l’entier de la société qui lui donne naissance est l’ultime preuve que l’aménagement linguistique d’un pays ou d’un État a réussi et que la chaine des influences et de l’accumulation des savoirs est pérenne.

Bibliographie

Linguistique

Dictionnaires

Notes

[1] Cette contribution est une version abrégée et remaniée d’un texte présenté et discuté lors de la Table ronde sur les marques lexicographiques (Montréal 3-4 novembre 1994). Le texte intégral a paru dans les actes de la table ronde. La présente version a été revue à la lumière des thématiques privilégiées lors du colloque tenu à l’Institut de France (17-19 novembre 1994) autour du Dictionnaire de l’Académie française.

Référence bibliographique

BOULANGER, Jean-Claude (1999). « Images de la norme du français québécois. Les perspectives lexicographiques contemporaines », Cahiers de lexicologie, no 75, p. 113-127. [article]

Abstract (anglais)

General dictionaries reflect a certain vision of the world shared by the members of a given cultural group, and are also closely related to the group’s social environment. Members of a society wish to see their identity reflected in the dictionaries offered to them. Thus, dictionaries compiled in peripheral French-speaking regions (i.e. outside of France) should account for their particular lexical usages, which have resulted from the fragmentation of French into local varieties. Geographical variation is a natural phenomenon and remains a barrier to the single standard advocated by certain schools of thought. This paper defends the idea of self-description of the variety of French used in Québec, and proposes a few strategies for the promoting of a linguistic standard in the Province. The recognition of a special Québec lexicography is nonetheless closely linked to the concept of the “French language”, which serves as an anchor for all speakers of French. This paper also proposes a reexamination of the important concept of “quebecism”. Both the language being explained (the words) and the language used to explain it (the metalanguage) should be representative of the specific variety in question.