Jean-Claude Corbeil, L’aménagement linguistique du Québec, coll. « Langue et société », numéro 3, Montréal, Guérin éditeur limitée, 1980, 154 p.

Jean-Claude Boulanger

L’aménagement linguistique du Québec (ALQ) est un texte capital qui vient à peine d’être livré au public. L’ALQ est l’un des premiers ouvrages de base en français qui fouille et explique en détail les rapports entre les questions de législation linguistique et la science linguistique elle-même. À cet égard, le Québec s’est posé comme un terrain privilégié, unique et exemplaire, d’observation et d’analyse des corrélations entre le politique et le linguistique. Les réflexions de l’auteur s’articulent autour du concept « aménagement linguistique » qui suppose des interventions de type linguistique (axées autour de deux pôles primordiaux : la sociolinguistique et la socioterminologie) tout autant que des interventions politiques diverses (des législations, des réglementations portant sur la langue, par exemple). Mais pour être efficaces et produire des résultats tangibles, ces interventions doivent être coordonnées et simultanées.

En cinq chapitres très denses, Corbeil fait l’analyse de la genèse, de l’émergence et du développement de la théorie et de la pratique de l’aménagement linguistique au Québec, en plus d’inscrire des prospectives pour la francophonie tout entière. Le noyau de l’ouvrage est précédé d’une ouverture et clos par un finale.

Dans son introduction (p. 7 à 11), Corbeil explique le choix du terme aménagement linguistique qu’il préfère à planification linguistique, calque de l’anglais language planning qui porte en lui une connotation péjorative. Il situe également son livre dans l’ensemble des réflexions et des travaux qu’il a entrepris et élaborés entre 1970 et 1977, date de l’entrée en vigueur de la Charte de la langue française (ou Loi 101). Le livre arrive comme un intermède dans le temps et se présente comme une tentative de systématiser ses recherches, de faire le point avant de poursuivre et de développer plus avant le concept « aménagement linguistique », dont le modèle théorique d’application à l’ensemble de la francophonie ou à toute autre communauté linguistique sur la route du changement reste parfaitement envisageable. L auteur ne cherche d’ailleurs pas à l’imposer, il le pose simplement comme un modèle pur et imitable.

Le chapitre premier de l’ALQ (p. 12 à 30) analyse la genèse de la situation linguistique du Québec à partir de 1760, date de la Conquête anglaise et début de la contamination de la langue française du Québec par l’anglais. De ses observations, l’auteur lire trois conséquences linguistiques majeures qui s’échelonnent d’hier à aujourd’hui : l’évolution linguistique du Québec et celle de la France prennent carrément des voies différentes : l’« anglophonisation » aura pour corollaire l’anglicisation massive de secteurs complets de l’activité humaine : des terminologies seront entièrement élaborées en anglais, refoulant par conséquent le français dans des rôles marginaux.

Le deuxième chapitre de l’ALQ (p. 31 à 66) détaille les causes de l’émergence et de la nécessité d’en arriver à un projet d’aménagement linguistique total au Québec. Les mouvements nationaux et nationalistes, les revendications des intellectuels, la Commission Laurendeau-Dunton, la Commission Gendron et le renforcement de l’Office de la langue française par les pouvoirs publics au début des années 70 dessinent le profil de cette émergence. La politisation du débat linguistique pendant une quinzaine d’années aboutit au Québec à la mise en place d’une stratégie réfléchie, globale et appliquée en matière de langue. Cette stratégie est ordonnée autour de quelques concepts clés qui sont au centre du processus de l’aménagement linguistique québécois, soit le bilinguisme, les fonctions de la langue au sein de l’organisation sociale, la distinction entre les communications institutionnalisées et individualisées ainsi que la norme linguistique. Les solutions concoctées par le Québec pour répondre à chacune de ces questions sociolinguistiques et socioterminologiques font l’objet des développements du chapitre trois de l’ALQ (p. 67 à 96).

Le long cheminement du chapitre trois conduit Corbeil à analyser, dans son quatrième chapitre (p. 97 à 111), la stratégie linguistique mise en place au Québec au moment de l’élaboration de la Charte de la langue française qui constitue ni plus ni moins qu’un aboutissement d’une succession de lois à caractère et contenu linguistiques qu’a connues le Québec en un peu moins d’une décennie. Cette dernière loi linguistique en date se révèle être la plus coercitive des trois. Le développement de la stratégie élaborée a eu « pour objectifs de préciser et de modifier le statut des langues en présence et de favoriser l’usage d’un français de qualité comme langue commune des Québécois » (p. 111). Le mouvement, maintenant enclenché depuis quelques années, s’inscrit dans une stratégie collective de transformation de la société québécoise qui regarde aujourd’hui résolument vers l’avenir.

Le tour d’horizon de la situation linguistique québécoise, esquissée à longs traits à la lumière de la stratégie de l’aménagement linguistique, amène l’auteur de l’ALQ, dans un cinquième et dernier chapitre (p. 112 à 133), à extrapoler sa stratégie et à tenter d’en dégager un modèle théorique applicable à l’ensemble de la francophonie. Celle-ci fait face à deux défis fondamentaux : le multilinguisme et la diversité linguistique, concepts qui sont passés en revue par l’auteur en fonction de sa théorie.

Ce qui ressort de ce grand panorama sur l’avancement du projet de l’aménagement linguistique du Québec ne peut à l’heure actuelle se poser que sous la forme de constatations. Énoncer des conclusions, même provisoires, serait trop hasardeux à ce stade-ci, le recul de l’histoire n’étant pas suffisant.

Jusqu’à maintenant, aucun livre qui lie la théorie à la pratique n’était paru pour expliquer, fouiller, étudier la question linguistique québécoise dans ses rapports avec la politique et les législations linguistiques. Nul mieux que Jean-Claude Corbeil, qui fut au cœur des mouvements de transformation des comportements langagiers des Québécois pendant presque une décennie, ne pouvait entreprendre avec autant de profondeur, d’ardeur et de conviction l’analyse de ces changements. L’aménagement linguistique du Québec est un pas vers la saisie globale de la situation linguistique du Québec et son insertion dans la grande communauté francophone qui va elle-même en s’affermissant.

Référence bibliographique

BOULANGER, Jean-Claude (1981). « Jean-Claude Corbeil, L’aménagement linguistique du Québec, coll. « Langue et société », numéro 3, Montréal, Guérin éditeur limitée, 1980, 154 p. », Terminogramme, no 7-8, mars-juin, p. 11-12. [compte rendu]