Quelques notes sur la recherche lexicographique en Angleterre

Jean-Claude Boulanger (Université Laval)

Depuis quelques années, les écrits métalexicographiques sont très abondants en anglais, tant sous la forme d’articles de revues que sous la forme de collectifs ou d’actes de rencontres scientifiques. Le recueil dont il est ici question résulte d’une collaboration internationale entre plusieurs chercheurs qui ont été à un moment ou à un autre en rapport avec le Dictionary Research Centre de l’Université d’Exeter. La publication de Lexicographers and Their Works[1] marque simultanément le quinzième anniversaire de la fondation du Language Centre de cette université et le cinquième anniversaire du centre de lexicographie.

Dix-neuf études originales, dont une en français, plongent au cœur des problématiques lexicographiques. Étant donné le genre d’ouvrage auquel on a ici affaire, il est difficile de rendre compte de chaque étude individuellement. Je me contenterai de signaler les pistes explorées par les collaborateurs et de fournir les perspectives d’ensemble.

Les auteurs se sont penchés sur des dictionnaires rédigés dans les langues suivantes : anglais, swahili, russe, français, tamoul et grec. Mais ce sont surtout les répertoires de l’anglais qui sont l’objet de l’attention la plus constante avec plus d’une dizaine d’articles.

Parmi les types de dictionnaires étudiés, on catalogue les dictionnaires généraux monolingues, les dictionnaires bilingues (surtout les ouvrages destinés à l’apprentissage d’une langue) , les dictionnaires spéciaux (prononciation à la BBC, fréquence) , les dictionnaires terminologiques (sciences infirmières, Nouveau Testament), les glossaires et les dictionnaires encyclopédiques comme le Oxford Companion to the English Language qui est en préparation. Les sujets mis en relief concernent les aspects historiques (Corbin, Hüllen), les aspects contemporains (Béjoint, James) ou les dimensions futuristes des dictionnaires, avec évidemment l’informatique comme porte-étendard (Dood).

Plusieurs éléments microstructuraux sont scrutés : les exemples (points de vue de l’encodage ou du décodage), les marques d’usage, le style, les proverbes et idiotismes (en particulier ceux qui sont relatifs au corps humain et aux mouvements physiques), la prononciation. Pour ce qui est de la macrostructure, on s’est arrêté sur les affixes et sur l’ordre alphabétique. Enfin quelques problèmes reliés à la démarche même du travail lexicographique sont évoqués, telle la notion de « codedness » qui ne semblait guère préoccuper les lexicographes de l’anglais jusqu’à récemment. L’auteur de cette étude remarque qu’en lexicographie française le concept de « codage » est fondamental et qu’il sert de point de référence pour sélectionner les unités de la nomenclature. Dans le texte qui clôt le livre, L. Zgusta aborde l’illustration ornementale des dictionnaires, c’est-à-dire les images, les dessins, les enluminures que les éditeurs ajoutent pour rendre plus agréable la consultation des répertoires. Ces ornements sont souvent placés en tête de chaque « chapitre » d’un dictionnaire : ils marquent le début de chaque tranche de l’alphabet. Ces compléments, de prime abord périphériques par rapport au contenu linguistique, véhiculent à l’occasion des informations additionnelles; c’est le cas des dessins qui retracent l’histoire et l’évolution de chaque lettre de l’alphabet romain dans quelques dictionnaires américains.

Il convient enfin de s’arrêter sur le seul apport traitant de la lexicographie française (Pierre Corbin). L’auteur a fait une lecture comparée de l’article brasier dans un vaste corpus de dictionnaires publiés par Larousse et par Robert. Son objectif est de retracer la parenté généalogique des dictionnaires généraux du français de 1880 à aujourd’hui, soit plus d’une centaine d’années. Le métalexicographe présente les différentes définitions consignées pour le mot brasier; il analyse leurs distributions en se basant sur des critères syntaxiques et sémantiques, puis il explique leurs variations dans le temps. Il montre bien comment les dictionnaires élaborés dans la même entreprise sont remaniés en permanence et qu’ils demeurent tous généalogiquement parents.

Les recherches réunies dans ce collectif envisagent autant les perceptions qu’ont les utilisateurs des dictionnaires (Tono) que la perception qu’en ont les concepteurs (Simpson). L’ensemble des études couvre un vaste éventail de sujets souvent éclectiques, qu’on ne peut, pour cette raison, regrouper sous un thème commun, sinon celui qui sert de titre au recueil. Les études des chercheurs d’Exeter et d’ailleurs enrichissent nos connaissances sur la lexicographie d’hier et d’aujourd’hui.

Note

1. Lexicographers and Their Works, coll. « Exeter Linguistic Studies », vol. 14, Exeter, University of Exeter, 1989, IX-225 p.

Référence bibliographique

BOULANGER, Jean-Claude (1990). « Quelques notes sur la recherche lexicographique en Angleterre », Terminogramme, no 56, printemps, p. 4. [compte rendu]