Problématique d’une méthodologie d’identification des néologismes en terminologie

Jean-Claude Boulanger (Office de la langue française)

Jusqu’à récemment, à n’en pas douter, la néologie apparaissait comme un phénomène linguistique sans grande valeur ni intérêt particuliers, qui évoluait tout simplement dans les ornières de la lexicologie et de la lexicographie. Elle végétait doucement, connue et explorée seulement par quelques linguistes et par quelques chercheurs perspicaces et avant-gardistes. Ces dernières années, cette situation s’est radicalement modifiée et un sentiment de vive curiosité s’est rapidement développé, tant chez les linguistes que chez les terminologues, à l’égard de la néologie.

L’étude de la néologie du point de vue d’une dynamique de la créativité lexicale active date de cet éveil. Pour l’État québécois, cet éveil répond à son tour à des besoins bien identifiés de protéger et d’enrichir une société et un milieu de vie historiquement et fondamentalement français d’origine.

L’invention de nouveaux moyens d’expression fait partie des divers aspects de l’évolution de la langue depuis les origines. L’existence de la néologie, si elle a été discutée, n’a jamais été contestée. Certes, elle était étudiée, mais plutôt de l’extérieur, sous une apparence statique. D’un côté, les chercheurs se contentaient de constater des usages, le plus souvent littéraires, afin d’enregistrer les plus intéressants d’entre eux dans un dictionnaire, avec, évidemment, beaucoup de retard sur l’actualité. D’un autre côté, il s’agissait de rédiger un article portant sur les particularités lexicales d’un écrivain afin de déceler son originalité, sa productivité néologique par rapport à ceux qui ne dérogeaient jamais des règles linguistiques et grammaticales éprouvées. Parfois encore, la recherche et la consignation des néologismes un peu bizarres d’allure, et qui s’écartaient des procédés de dérivation morphologique les plus courants, retenaient l’attention de quelques collectionneurs d’objets linguistiques hétéroclites. Les modes d’assemblage, de construction, de composition ou de création de ces curiosités linguistiques faisaient appel à toutes sortes de procédés ahurissants et imprévus. Ces néologismes étaient souvent destinés d’ailleurs à attirer l’attention, à distraire et à amuser des lecteurs. Ces recherches variées ont donné naissance à des dictionnaires de mots nouveaux, qui ont été qualifiés de recueils de « mots sauvages », de « mots curieux », parce qu’il était facile de sentir que si ces néologismes frappaient l’esprit immédiatement par leurs caractères et leurs allures ludiques, leur emploi serait le plus souvent éphémère[1].

Ces collections de mots nouveaux n’ont de valeur qu’en tant qu’elles se présentent comme des témoignages de la vitalité de la créativité lexicale dont une langue peut faire preuve à toutes les époques de son existence; et surtout, ces mots sont le témoignage de l’imagination créatrice très féconde de certains écrivains. Ils sont, à quelques rares exceptions près, demeurés des hapax et n’ont guère abouti qu’à de brèves ébauches de théorisation[2]. Quant à la science lexicographique, elle cherchait davantage à repérer, à dépister les néologismes qui avaient pénétré dans l’usage, dans des perspectives d’enregistrement au dictionnaire. Les critères de sélection de ces unités lexicales n’ont pas toujours été clairement établis par les lexicographes, du moins jusqu’à récemment.

Les liens de plus en plus apparents et étroits que la néologie entretient avec des disciplines extralinguistiques l’ont rendue à la mode, tout en lui permettant d’accentuer sa poussée expansionniste, avec une vigueur inégalée par aucune autre discipline de la linguistique contemporaine. La néologie vit maintenant en filigrane des grands courants actuels de la politique, de l’économie, de la culture et de la société en général. De quelque point de vue où l’homme moderne se situe, la néologie joue un rôle éminemment social, inséparable de l’évolution de ces grands courants qui ont besoin d’être nommés, affinés et aménagés du point de vue linguistique. « La nouveauté des choses ou des concepts précède la nouveauté des moyens d’expression et en est la cause [3]. » La néologie s’arroge le rôle d’assurer la continuité de la communication verbale entre les hommes, communication qui est la première fonction dévolue au langage. Elle devient par ce fait même un important objet d’étude, un cheval de bataille linguistique dont les répercussions sociales, politiques et économiques sont loin d’être négligeables.

L’identification de besoins[4] de plus en plus précis et nombreux, surtout dans les lexiques scientifiques et techniques, a fait de la néologie une science au développement rapide et croissant, un outil de travail précieux. Son essor prodigieux trouve ses racines dans des milieux tout à fait étrangers à la linguistique. Des inventions nouvelles pointent à tous les horizons, déclenchent et actionnent les mécanismes néologiques. « [...] toute évolution rapide des pratiques sociales, des techniques, des structures de connaissances (science, etc.) constitue un appel terminologique [le plus souvent néologique], surtout lorsque pratiques et connaissances ne sont pas suscitées dans la culture, mais déjà élaborées ailleurs et nommées dans une autre langue[5]. »

Depuis quelques années, il n’est pas d’organismes à vocation linguistique ou terminologique, il n’est pas d’universités, de groupes de recherche, de centres de lexicologie ou de lexicographie, de traducteurs qui n’explorent la néologie, ne font des tentatives de théorisation et n’analysent ses répercussions sur l’ensemble des activités contemporaines. Tous accordent à la néologie une place importante dans leurs recherches.

Les désirs et les tentatives d’internationaliser la créativité lexicale et la place non négligeable qu’elle occupe dans les législations linguistiques francophones ne font que reconnaître sa valeur et sa nécessité dans notre monde actuel[6].

Sans négliger pour autant la langue générale, la base commune des travaux semble s’être établie autour des langues techniques et scientifiques particulièrement, et constamment, productives à cet égard. Les terminologies spécialisées deviennent des zones pionnières d’exploration et d’étude de la néologie.

Les terminologues reconnaissent depuis longtemps l’action indispensable de la néologie dans le déroulement du travail terminologique. Lors de l’élaboration d’un lexique spécialisé, le terminologue se voit régulièrement confronté à des situations linguistiques nouvelles. On discerne deux aspects de la néologie en terminologie : d’une part, le terminologue repère un néologisme (anglais ou français) dans un texte, dans un corpus documentaire, qui servent au dépouillement terminologique, ou encore, il l’extrait d’un ensemble de termes déjà recueillis dans diverses autres publications à caractères lexicographiques; d’autre part, il crée lui-même un néologisme (en collaboration avec un comité de spécialistes du domaine qu’il traite), parce qu’un besoin particulier a été déterminé par sa recherche : pallier l’absence d’un signifiant français équivalant à un signifiant anglais déjà en usage en milieu anglo-américain; corriger une faute contre le système linguistique de la langue française; remplacer un anglicisme lexical; dénommer une nouveauté récemment créée en pays francophones; éliminer un emprunt indésirable dans sa langue.

Corriger une faute, remplacer un anglicisme, éliminer un emprunt inutile constituent des objectifs importants du travail néologique. Ils s’inscrivent dans les règles de protection de la langue française bien décrites dans les lois linguistiques. On aura alors affaire à de l’interventionnisme linguistique à valeur curative, destiné à contrer l’appauvrissement et la dégénérescence de la langue française. Pallier l’absence d’un signifiant français et dénommer de nouvelles realia constituent des actes d’enrichissement du lexique français. On aura alors affaire à de l’interventionnisme linguistique destiné à promouvoir et à assurer l’enrichissement et la continuité de la langue française en luttant contre le vieillissement et l’immobilisme. Ces principes s’insèrent dans un mouvement de revalorisation de la langue française et visent à en garantir la qualité, le rayonnement et le plein épanouissement. La création néologique exige toujours un acte volontaire et réfléchi en terminologie, puisqu’elle répond à des besoins connus. Il en va souvent autrement en langue générale où la création apparaît plutôt Comme un phénomène spontané sans regard sélectif nuancé pour la matière linguistique nouvelle qui est forgée. Dans le premier cas, les critères d’acceptabilité linguistique et terminologique des néologismes peuvent être mis en application dès avant l’élaboration du futur produit lexical, au moment où le besoin est signalé; alors que dans le second cas, ces critères ne s’appliquent pas toujours conformément à l’élément linguistique en train de se former [7]. La mise en parallèle des critères d’acceptabilité avec l’unité lexicale nouvellement créée vient confirmer la plus ou moins bonne qualité du néologisme sur le plan linguistique, et même terminologique. L’usage a souvent raison des règles cependant, tant dans la langue courante que dans les langues de spécialités.

Il y a donc lieu de distinguer la création des néologismes (néologie dynamique), de la recherche, du dépistage des néologismes (néologie statique)[8]. La création et la recherche répondent à des motivations différentes selon que l’on élabore un lexique spécialisé déterminé ou que l’on désire uniquement consigner des usages observés à travers un corpus documentaire d’ordre technico-scientifique ou à travers un corpus d’ordre plus général.

Si les motivations diffèrent dans les deux catégories de néologismes cités ici, en revanche, un dénominateur commun les lie. La détection et la création d’unités linguistiques nouvelles [9] conduisent, en effet, à isoler cette unité afin d’en faire l’analyse, pour établir et reconnaître son statut linguistique par rapport à l’ensemble du lexique supposé connu; le lexique connu étant naturellement celui qui est recensé dans la totalité des dictionnaires d’une langue.

Dans la suite de ce texte, nous examinerons une étape de la méthodologie de travail en usage dans le secteur de la néologie scientifique et technique de l’Office de la langue française du Québec. La démarche qui sera décrite a été étendue à tout le réseau francophone de néologie scientifique et technique [10]. Ce réseau fonctionne déjà avec deux « modules » le premier au Québec, à l’Office de la langue française, le second à Paris, géré par l’Association française de terminologie (AFTERM) [11]. La méthodologie détaillée dans ces pages puise ses fondements dans les réflexions émises lors du colloque sur l’aménagement de la néologie, tenu à Québec en 1974 [12], et dans les travaux antérieurs que le premier Office de la langue française, puis la Régie de la langue française, avaient amorcés depuis quelques années dans le domaine de la néologie de la langue générale [13].

Nous nous attacherons à expliquer la phase de la méthodologie qui concerne l’exploration lexicographique, qui est la première étape de la constitution du dossier terminologique du terme étudié. Cela signifie que le terme, qu’il ait été fabriqué ou qu’il ait été dépisté, est mis en relation et confronté avec des outils lexicographiques et terminologiques.

Le but poursuivi est de distinguer les unités reconnues comme lexicalisées, c’est-à-dire consignées dans un dictionnaire, des unités reconnues comme néologiques, c’est-à-dire non encore enregistrées au dictionnaire. Le degré, le caractère de néologicité d’une unité sera donc déterminé par rapport à l’ensemble du vocabulaire français répertorié et décrit dans un certain nombre de dictionnaires généraux et spécialisés reconnus et à grande diffusion.

Nous laisserons de côté toute la description de la préparation préalable du matériel terminologique qui est issu de la documentation rassemblée par les équipes de recherche du Réseau de néologie. Signalons simplement que les domaines de travail sont sélectionnés en fonction des besoins décrits par les organismes qui constituent ce Réseau [14]. Nous supposons donc que le terminologue dispose déjà d’un corpus de termes à analyser. Il a choisi les unités qu’il traitera en fonction de la connaissance préalable qu’il a acquise d’un domaine, la maîtrise du domaine sc traduisant par une bonne compétence lexicale alliée au maniement aisé des mécanismes de formation des mots, ce qui sous-entend une grande culture linguistique. Il met alors en œuvre ce que Louis GUILBERT a appelé « le sentiment néologique ou mieux le jugement de néologie [15] ». Il porte donc un jugement sur la valeur néologique probable de son choix de termes. La vérification qui suivra confirmera ou infirmera ce jugement.

En résumé, précèdent l’analyse lexicographique dont nous justifierons les instruments dans un moment, le choix des zones de vocabulaires à traiter selon des besoins précis, l’étape du dépouillement, du repérage ou de la création des termes [16].

L’examen de la problématique d’identification des néologismes en terminologie sera ici limitée à la langue française. Nous ne recourrons qu’exceptionnellement à l’anglais [17]. Nous la voulons souple afin qu’elle puisse s’appliquer à des travaux de lexicographie de la langue générale et non seulement à des travaux terminologiques. La démarche proposée et décrite est applicable à un grand nombre de langues, compte tenu d’ajustements lexicographiques indispensables pour chacune des langues en cause.

La procédure méthodologique suivie est longue, et parfois astreignante pour le terminologue. Un support de travail, appelé fiche du corpus d’exclusion lexicographique et terminologique, a été élaboré afin d’analyser et de reconnaître le statut néologique ou lexicalisé de l’unité terminologique qui est traitée. Ce support constitue un filtre linguistique. La fiche du corpus d’exclusion est reproduite en fin d’article. Elle est suivie de la bibliographie complète des dictionnaires généraux qui figurent en permanence sur cette fiche. Quant aux dictionnaires technico-scientifiques, qui varient avec les disciplines, ils ne sont pas inclus; il faut les spécifier pour chaque unité lexicale traitée.

L’analyse consiste à vérifier l’existence ou à constater l’absence du terme français (ou anglais) dans une série de dictionnaires généraux, encyclopédiques et néologiques déterminés, puis dans une série de dictionnaires spécialisés variant selon les disciplines et considérés comme représentatifs d’un état de langue. Les résultats de ces recherches, c’est-à-dire la constatation du caractère néologique, autant du point de vue morphologique que sémantique, ou du caractère lexicalisé de l’unité, sont transcrits sur la fiche du corpus d’exclusion qui sert ainsi à dresser le dossier linguistique du terme dépisté (ou proposé). L’emprunt subit ce même processus lorsqu’il est considéré comme intégré au système linguistique de la langue qui l’accueille, c’est-à-dire lorsqu’il est détecté dans un contexte français.

Chaque unité, simple ou complexe, est vérifiée dans l’ensemble de ce corpus de dictionnaires. Nous attachons surtout de l’importance à la présence, ou à l’absence, du terme en tant qu’entrée. En effet, pour que le terme soit reconnu lexicalisé, il doit figurer en entrée dans l’ouvrage, parce que sous cette forme il donne lieu à un développement lexicographique, encyclopédique ou terminologique complet. S’il apparaît en sous-entrée, le soin est laissé au terminologue qui jugera, selon les circonstances et les nécessités, de la pertinence de retraiter ce terme comme une entrée indépendante, donc comme un néologisme, ou, au contraire, de le considérer comme lexicalisé. Il est apparu à l’expérience que le terme discuté ou mentionné en sous-entrée dans un ouvrage lexicographique n’était pas toujours à sa place. La reconnaissance de l’existence d’une lexie indépendante lui est souvent due. Le terme peut donc figurer dans un ouvrage lexicographique et recevoir de notre part une étiquette de néologisme [18]. Cela est particulièrement vrai des syntagmes qui figurent rarement dans la position-clé de l’entrée, sauf dans quelques dictionnaires techniques ou scientifiques appliquant des méthodes modernes de lexicographie. Ils sont régulièrement relégués dans le développement des rubriques et difficilement repérables par l’usager. Par ailleurs, chaque constituant important du syntagme est vérifié soigneusement afin d’éviter que celui-ci échappe au chercheur, les syntagmes n’étant pas toujours traités sous le mot principal.

La vérification lexicographique constitue l’épreuve du filtrage auquel chaque terme doit se soumettre. Elle précède le traitement linguistique plus approfondi (rédaction de la définition, des notes linguistiques) et le traitement terminologique (attribution d’un domaine d’emploi définitif, rédaction de notes techniques, etc.) qui compléteront le dossier de la nouvelle unité identifiée comme un néologisme. Les unités qui ont été retrouvées dans un des dictionnaires du corpus d’exclusion n’ont pas à être traitées puisqu’elles sont disponibles. Les néologismes, une fois leur traitement complété, sont publiés par tranche de 150 à 200 dans les cahiers de Néologie en marche, série b : langues de spécialités[19].

Les dictionnaires généraux

Les dictionnaires généraux ont été divisés en trois ensembles pour le français et pour l’anglais.

Les dictionnaires de langue (GR [20], TLF, OED, etc.) que l’on doit consulter pour suivre le mouvement du vocabulaire scientifique et technique vers la langue générale et, à l’inverse, pour retracer le passage des mots de la langue courante dans le lexique des langues de spécialités. Ce dernier argument implique la néologie sémantique et la combinatoire syntagmatique. Une réserve doit être apportée cependant : ces dictionnaires préconisent une doctrine d’accueil ou de refus de l’emprunt qui n’est pas toujours basée sur des critères objectifs et linguistiques quant à l’intégration ou à l’exclusion d’un terme étranger de leur nomenclature.

Les dictionnaires encyclopédiques (GLE, WTNID, etc.) dont la nomenclature très vaste permet de mieux cerner l’approche d’une langue spécialisée. Les termes techniques et scientifiques étrangers sont mieux accueillis dans ces dictionnaires sur le seul critère qu’ils sont effectivement d’usage courant dans la technique ou la science concernées. Ce critère d’intégration doit être jugé aussi avec certaines réserves, car le jugement linguistique n’y est guère nuancé parfois.

Certains recueils (tels le GLLF et le RHDEL) prennent l’allure d’œuvres mixtes, alliant les qualités d’un dictionnaire linguistique à celles d’un dictionnaire encyclopédique. Cette double vocation leur permet de s’inscrire dans l’un et l’autre groupes puisqu’il y a de perpétuels et d’inévitables recoupements d’un ensemble à l’autre.

Les dictionnaires néologiques proprement dits qui constituent un ensemble ayant subi, théoriquement, en tout ou en partie, le traitement d’exclusion des deux catégories précédentes. Ils recensent des mots de la langue courante et des termes techniques et scientifiques puisés au jour le jour dans la presse et les revues spécialisées, ce qui aide à mieux délimiter la définition de la néologie proposée dans nos travaux. Ils accueillent très volontiers les emprunts qui sont fréquents dans les domaines qu’ils traitent. Les dictionnaires néologiques du corpus sont les suivants : DMN, MDV, NMDV, CDM et DNE; on peut, de plus, inclure dans ce groupe les suppléments des grands dictionnaires courants (cf. GLE SI et S2, GR S, etc.). L’éventail des domaines auxquels ils s’intéressent est très diversifié, de sorte que cela permet d’effectuer une bonne vérification de nos propres données. Ces dictionnaires sont élaborés et publiés assez rapidement; ils présentent l’avantage de demeurer assez près de l’actualité. II faut noter en outre que des dictionnaires de langue plus récents, tels le Lexis, le Logos et la deuxième édition du Petit Robert, font une large place aux néologismes.

Les dictionnaires spécialisés

La constitution du corpus d’exclusion technique et scientifique est faite avec l’aide et les conseils avisés d’experts dans chacun des domaines traités. Il ne peut en être autrement si l’on désire obtenir le maximum de garanties concernant ce type de dictionnaires.

Les principaux critères qui guident la sélection de ces recueils sont les suivants : la nouveauté de l’ouvrage, la qualité du contenu, une grande diffusion et une bonne disponibilité pour l’usager. De plus, l’ouvrage doit être représentatif d’un état de langue dans les domaines scientifiques et techniques, c’est-à-dire qu’il doit refléter réellement ce que sont la science ou la technique décrites; il doit être également connu et utilisé par la plupart des spécialistes d’un domaine; il doit avoir été rédigé par un expert ou un organisme dont le sérieux est avantageusement reconnu. Compte tenu de ces critères, le nombre des dictionnaires pour un seul domaine a été arbitrairement fixé à trois. Ce nombre devrait suffire pour la vérification du degré de nouveauté de l’unité lexicale recueillie ou proposée comme équivalent par rapport au stock lexical déjà intégré dans les dictionnaires.

Les dictionnaires sélectionnés varient parfois à l’intérieur d’un même domaine spécifique (par exemple, en médecine, en gestion, en administration). On sait qu’il existe un nombre incalculable de dictionnaires de toutes sortes consacrés à un même sujet; un choix s’impose selon le sous-domaine touché. La consultation des ouvrages plus spécialisés (c’est-à-dire des recueils monotechniques ou mono-scientifiques) s’avère souvent plus profitable que la consultation de grands ensembles encyclopédiques qui ne consignent pas nécessairement les apports les plus nouveaux. De même, il faut éviter les erreurs dues à une trop grande concentration d’ouvrages semblables ou d’un même auteur.

Chaque science et chaque technique offrent une variété de dictionnaires tant d’ordre encyclopédique que terminologique, ainsi que des lexiques bilingues et multilingues. Tous ces genres distincts sont reflétés afin de diversifier le corpus spécialisé, tout comme le corpus général qui comporte des catégories différentes. La partie spécialisée de la fiche du corpus d’exclusion se compose de dictionnaires à classer dans la série des encyclopédies (ex. : Dictionnaire français de médecine et de biologie[21]), de dictionnaires d’ordre terminologique (ex. : Terminologie forestière, sciences forestières, technologie, pratiques et produits forestiers[22]), de quelques normes (ex. : Énergie nucléaire, AFNOR M60-001[23]) et de lexiques bilingues et multilingues (ex. : Lexique anglais-français de l’industrie papetière, fabrication des pâtes et du papier[24]), qui en général, ne donnent pas de définition mais relèvent souvent des unités plus rares, quoique essentielles à la connaissance du domaine. L’utilisation de cette variété d’ouvrages permet d’effectuer des mises à jour et de compléter les renseignements sous-jacents à une unité terminologique ce qui, dans l’optique du travail terminologique dans le domaine de la néologie, autorise cette unité à revêtir l’étiquette de néologisme.

Les lexiques bilingues et multilingues peuvent faire partie à la fois du corpus français et du corpus anglais.

Le corpus d’exclusion, malgré une certaine immuabilité, demeure ouvert. Les dictionnaires difficilement accessibles, plus récents ou encore toute nouvelle édition d’un dictionnaire déjà retenu, seront accueillis dans ces ensembles au fur et à mesure de leur acquisition et cela en vue d’un constant souci de mise à jour, d’amélioration de la qualité des ouvrages, et afin de toujours rester le plus près possible des nouveautés technologiques et scientifiques.

C’est ainsi que chaque mois un numéro de La clé des mots enrichit le corpus, que les nouveaux tomes du TLF et du GLLF s’ajoutent au corpus général français dès le moment de leur acquisition et que la seconde édition du Petit Robert est venue remplacer la première.

La méthodologie que nous venons d’examiner impose le maniement d’une lourde et encombrante documentation, de même que de longues séances de recherches lexicographiques. Le corpus d’exclusion idéal que nous voudrions construire serait évidemment un grand corpus d’exclusion lexicographique et terminologique entièrement automatisé avec lequel, à l’aide du terminal, le terminologue réduirait à quelques secondes seulement le temps de sa vérification.

Pour ce faire, il faudrait, dans un premier temps, mettre en banque l’ensemble des dictionnaires généraux et encyclopédiques décrits ici, de même que le plus grand nombre possible de dictionnaires spécialisés. Dans une seconde phase, il faudrait relier toutes les banques de terminologie entre elles pour que le terminologue puisse vérifier ses données dans un réservoir lexicographique et terminologique unique.

L’identification la plus sûre que l’on puisse obtenir du caractère lexicalisé ou néologique de l’unité terminologique analysée est à ce prix : l’interrogation par ordinateur.

Annexe

Fiche du corpus d’exclusion lexicographique et terminologique
Reproduction de la Fiche du corpus d’exclusion lexicographique et terminologique

Bibliographie du corpus d’exclusion lexicographique et terminologique

Dictionnaires généraux français

Dictionnaires généraux anglais

Notes

[1] Le plus bel exemple récent des ouvrages de cet ordre est sans doute celui de Maurice RHEIMS : Dictionnaire des mots sauvages. Écrivains des XIXe et XXe siècles, Paris, Larousse, 1969, 604 p.

[2] L’étude de la créativité lexicale chez San ANTONIO ou dans le Canard enchaîné, par exemple, pose des problèmes autrement complexes.

[3] Jean-Claude CORBEIL, Analyse des fonctions constitutives d’un réseau de néologie, L’aménagement de ta néologie, Actes du colloque international de terminologie 1974, Office de la langue française, Québec, mai 1975, p. 29.

[4] Le terme besoin est ici utilisé au sens qu’on lui donne en terminologie, c’est-à-dire qu’il sert à « suggérer, d’une part l’existence réelle et précise d’une chose nouvelle, d’autre part, le fait que cette nouveauté cherchera un moyen de se nommer [...] » (Jean-Claude CORBEIL, article cité, pp. 29-30).

[5] Alain REY, Essai de définition du concept de néologisme, L’aménagement de la néologie. Actes du colloque international de terminologie 1974, Office de la langue française, Québec, mai 1975, p. 24.

[6] Voir en particulier les efforts de Zygmunt STOBERSKI dans Babel et les expériences sur l’arabe contemporain à l’Institut d’Études et de recherches pour l’arabisation (IERA) de Rabat, sous la direction de Ahmed Lakhdnr GHAZAL. En réalité, c’est tout le monde de la terminologie qui est en effervescence.

[7] Voir Néologie en marche, série b : langues de spécialités, no 4, Office de la langue française, Québec, septembre 1978, § 3.3. p. 32 et suiv. et § 3.5. p. 41 et suiv.

[8] Voir le développement de ces concepts dans Néologie en marche, série b, no 4, § 3.3. p. 32 et suiv.

[9] Du strict point de vue morphologique, l’unité construite peut en effet, à l’insu du créateur, exister déjà dans un dictionnaire. Le locuteur n’est jamais à l’abri d’une faille dans sa compétence lexicale.

[10] Nous renvoyons le lecteur à l’introduction de Pierre AUGER, directeur de la terminologie à l’Office de la langue française, parue dans le numéro 1 de Néologie en marche, série b, Régie de la langue française, Québec septembre 1976. L’auteur y explique l’élaboration du Réseau de néologie.

[11] Une équipe, animée par M. Roger GOFFIN, chef de la terminologie automatisée au Bureau de terminologie de la Commission des communautés européennes (CCE), a récemment entrepris des recherches dans le même sens.

[12] L’aménagement de la néologie. Actes du colloque international de terminologie 1974, Office de la langue française, Québec, mai 1975, 214 p.

[13] Huit numéros des cahiers de Néologie en marche (langue générale) sont parus.

[14] Des travaux de néologie sont actuellement en cours, à Québec et à Paris, dans les domaines suivants : énergies nouvelles, environnement, électronique’et informatique, tourisme et hôtellerie, etc.

[15] Louis GUILBERT, Les travaux de linguistique en matière de néologie. L’aménagement de la néologie, Actes du colloque international de terminologie 1974, Office de la langue française, Québec, mai 1975, p. 123. Voir les pages suivantes de son article où il développe ce concept du « jugement de néologie ».

[16] Les étapes antérieures du traitement sont décrites dans Néologie en marche, série b, no 1, Régie de la langue française, septembre 1976, pp. XXIII-XXV. Voir également les prospectives d’Alain REY, article cité, pp. 23 et suiv. et celles de Jean-Claude CORBEIL, article cite, pp 32 et suiv.

[17] À l’Office de la langue française, le travail s’accomplit tant sur des corpus français que sur des corpus anglais.

[18] Voir la large acception qui est donnée au terme néologisme dans Néologie en marche, série b, no 1, Régie de la langue française, Québec, septembre 1976, p. XII.

[19] Ces cahiers contiennent aussi des articles théoriques sur la néologie en particulier et sur la terminologie en général. Douze numéros sont parus, ou en cours de parution, jusqu’à maintenant.

[20] Pour connaître le sens des abréviations, voir la bibliographie à la suite de la fiche du corpus d’exclusion.

[21] Par A. MANUILA et coll., Paris, Masson et Cie, 1970-1975, 4 vol.

[22] Par A. MÉTRO, Paris, Conseil international de la langue française, 1975, 432 p

[23] Association française de normalisation, Paris, décembre 1974, 86 p.

[24] Office de la langue française, Éditeur officiel du Québec, Québec, 1974, 268 p.

Référence bibliographique

BOULANGER, Jean-Claude (1979). « Problématique d’une méthodologie d’identification des néologismes en terminologie », dans R. Adda [et al.], Néologie et lexicologie. Hommage à Louis Guilbert, Paris, Larousse Université, coll. « Langue et langage », p. 36-46. [article]