Les aspects polyvalents de la formation des terminologues
Jean-Claude Boulanger
Introduction : état de la question
Grâce à la mise en œuvre d’une politique terminologique dynamique, un pays, ou un État, peuvent transformer profondément les comportements linguistiques des individus appartenant à une communauté sociale, politique et culturelle.
Au Québec, le Gouvernement a créé un organisme qu’il a chargé de redresser une situation linguistique, aberrante dans notre société[1]. Cet organisme, l’Office de la langue française (OLF), porte désormais la responsabilité de veiller à l’application d’une politique linguistique ferme planifiée et entérinée par voie législative.
La terminologie s’offre comme l’un des principaux moyens utilisés par l’OLF pour mener à bonne fin son action. Par l’intermédiaire de la terminologie, les Québécois peuvent aspirer atteindre une francisation totale de tous leurs milieux de vie, et en premier lieu, de leur milieu de travail.
Le terminologue formé au Québec sera donc un individu qui aura pour mission d’œuvrer dans un cadre législatif fixé avec précision. Son action primordiale sera toute entière tournée du côté de la planification linguistique dans une perspective de normalisation de la langue française sur un territoire donné, qui est ici en l’occurrence l’État du Québec. Il sera le maître d’œuvre du réaménagement linguistique global des milieux industrialisés et de la poussée expansionniste et curative dont les usagers de la langue générale ne pourront à leur tour que bénéficier et se féliciter.
Sa préoccupation première revêt, par ce fait même, un caractère essentiellement pragmatique à savoir, fournir à la langue française des vocabulaires techniques et scientifiques jusqu’ici inexistants ou non encore répertoriés dans des ouvrages de type lexicographique. Non seulement ces vocabulaires et lexiques seront établis pour répondre à des besoins bien spécifiques dans certains secteurs d’activités techniques et scientifiques mais aussi, ils auront pour but de satisfaire un public également bien défini à l’intérieur de ces différents secteurs spécialisés.
Pour accomplir au mieux et uniformément cette tâche qui lui est dévolue et pour s’insérer harmonieusement dans l’ensemble de cette sphère d’activités diversifiées qu’est la terminologie au Québec - y compris la terminologie effectuée dans les milieux industriels eux-mêmes[2] le terminologue recevra une solide formation. Celle-ci sera assurée par des linguistes et des terminologues qui travaillent eux-mêmes dans un climat québécois. En effet, suite à l’expérimentation de ses méthodes pendant de nombreuses années, l’OLF s’est doté de structures durables et efficaces. Il a « méthodologisé » et théorisé ses besoins et ses recherches avant d’instituer des programmes adéquats de formation des terminologues.
Il apparaît manifestement que l’avancement des programmes d’apprentissage des terminologues est intimement lié au degré de théorisation et de « méthodologisation » de la science terminologique elle-même dans les milieux où elle s’exerce énergiquement.
Inversement, les recherches et les progrès concernant la formation des praticiens de la terminologie se nourrissent des pratiques institutionnelles privées ou publiques, ainsi que de leurs objectifs linguistiques, politiques, sociaux et, même, économiques.
Lorsque la recherche stagne, elle entraîne irrémédiablement tout le reste dans son sillage et la formation en particulier risque fort de se figer à son tour. Naturellement, la proposition réciproque est tout aussi vraie.
La formation des terminologues devra tenir compte tout à la fois des aspects linguistiques, des aspects théoriques et pratiques du travail terminologique, des principes de la discipline et des méthodologies utilisées par les différents organismes qui s’occupent de terminologie. Des incursions dans des disciplines extralinguistiques, ainsi qu’un stage pratique compléteront la formation de base, qui prélude à l’activité professionnelle elle-même.
Nous essayerons de décrire les grandes lignes de cette formation polyvalente nécessaire au terminologue, en fonction des besoins propres au Québec (OLF) et à partir de l’expérience pédagogique qui est menée depuis plusieurs années à l’Université de Québec à Trois-Rivières (UQTR), dans le cadre d’un enseignement de la terminologie au premier cycle d’un programme de traduction. Plus récemment, l’expérience a également été tentée à l’intérieur d’un programme de linguistique.
Le cheminement exposé ci-dessous se dessine simplement du plus théorique au plus pratique, tout en tentant d’appréhender des perspectives de formation uniformément valables pour toutes les catégories d’activités terminologiques où qu’elles aient cours de par le monde, moyennant, bien sûr, quelques ajustements indispensables.
Le programme de formation des terminologues dont j’esquisserai le profil s’appuie sur une double conception que je me fais de la terminologie. D’une part, elle est une activité à caractère linguistique. D’autre part, elle est une activité dont les incidences sociales et politiques sont immenses. Les exemples ne manquent pas dans le monde pour étayer ces deux thèses qui sont, par ailleurs, complémentaires l’une de l’autre.
1. Formation linguistique
1.1. La formation des terminologues doit-elle passer par la linguistique?
Les opinions sur cette question ne sont jamais totalement négatives. Elles sont tantôt prudentes, tantôt nuancées. Mais nous verrons que quoi qu’on en dise, on ne peut guère échapper à l’emprise de la linguistique sur la terminologie.
Robert Dubuc, quant à lui, pense que « le terminologue n’a pas besoin d’une formation linguistique approfondie »[3]. Mais, il ressort finalement de ses réflexions que le terminologue est un « manieur de mots » et un « outilleur de langage », ce qui exige de lui de solides et inébranlables connaissances en morphologie et en sémantique. Or, comment acquérir une « connaissance solide » dans ces difficiles, et combien vastes, disciplines de l’activité linguistique sans passer par des études systématiques des différentes sciences du langage? Ce sont là des outils essentiels qui permettront d’affronter et de résoudre efficacement les problèmes quotidiens rencontrés en terminologie.
André Clas, en contre-pied de Robert Dubuc, croit fermement que la formation des terminologues doit « être axée sur une bonne formation linguistique »[4], que c’est même la première vertu dont le terminologue doit se pourvoir.
Incontestablement, la première étape à franchir dans le processus de la formation des terminologues sera l’acquisition de connaissances linguistiques minimales. Toutes les autres qualités exigées du terminologue viendront se greffer à ce noyau.
Il va de soi que cette prise de position est fondée, comme je l’ai déjà dit, sur le postulat suivant : la terminologie est une discipline linguistique autonome. Cette idée se confirme chaque jour davantage et la preuve en est que les linguistes s’arrogent de plus en plus l’apanage de la terminologie, eux qui naguère la boudaient! Elle ne peut plus être identifiée comme une discipline mineure de la traduction. Au contraire, elle devient carrément une passerelle entre la lexicologie, la lexicographie, la traduction et toutes les autres sciences du langage. De même, elle jette ses ponts vers de nombreuses sciences paralinguistiques.
Il convient également de battre en brèche une autre idée préconçue, à savoir qu’on ne peut être terminologue sans être traducteur. Nous sommes loin de partager cet avis. Nous nous rangeons plutôt du côté de Pierre Auger lorsqu’il affirme que « quoi qu’on en pense, on peut être terminologue sans être traducteur »[5]. Ce qui signifie simplement que pour effectuer des travaux de traduction, il faut être traducteur, et pour être traducteur, il faut avoir reçu, une formation en traduction, puis s’initier aux techniques du métier. Le modèle est identique pour la terminologie. On ne s’improvise pas terminologue, tant s’en faut. Pour accomplir des travaux de terminologie, il faut être terminologue, et pour avoir droit à ce titre, il faut avoir acquis une formation adéquate à cet effet.
1.2. Le programme de formation des terminologues adopte une progression qui part de l’acquisition de connaissances sur le fonctionnement de la langue en général pour aboutir au fonctionnement des langues de spécialités, puis à leur analyse par la terminologie. Précisons que ce cheminement s’adresse à de futurs praticiens qui ne possèdent aucun savoir linguistique préalable.
Le déroulement de la formation linguistique aura donc l’allure suivante :
- Formation préliminaire à partir des disciplines linguistiques directement reliées à la terminologie.
- Formation proprement terminologique à partir d’éléments fondamentaux en théorie et en méthodologie de la terminologie pour déboucher sur l’expérience pratique.
1.2.1. Aspect linguistique de la formation
La progression à l’intérieur de la linguistique s’échelonne comme suit[6] :
1.2.1.1. Le terminologue doit d’abord acquérir un minimum d’informations qui lui permettront de situer la terminologie au sein de la linguistique synchronique contemporaine. Puis la mise en rapport de la diachronie et de la synchronie l’aidera à bien circonscrire la terminologie et ses champs d’action dans l’ensemble des disciplines linguistiques actuelles.
1.2.1.2. La langue fonctionnant par signe (au sens saussurien) et la terminologie traitant également du signe linguistique dans ses rapports avec les dénominations des notions, l’apprenti terminologue devra apprendre à maîtriser et à manier le signe linguistique, ainsi que ses différentes facettes (signifié, signifiant, référent). Ceci le rendra capable d’analyser les mots, les termes et toutes les unités de signification en regard du couple langue/parole (discours). Puis, à saisir les différents rapports entre ces unités (axe paradigmatique, axe syntagmatique). Enfin à aborder les problèmes des syntagmes grammaticaux et des syntagmes lexicaux. Cette approche du signe trace déjà la voie à l’étude structurée de la formation des mots et de la morphologie.
1.2.1.3. Une introduction aux sciences qui ont pour objet l’étude du mot (lexicologie, lexicographie, sémantique, etc.) oriente déjà le terminologue vers un aspect pratique qui a sa correspondance en terminologie. L’explication des modes de fabrication, la présentation et l’analyse des principaux ouvrages lexicographiques en langue générale, une typologie des dictionnaires et des recueils de mots de toutes sortes favoriseront la structuration de la pensée. L’examen du discours lexicographique, c’est-à-dire les éléments constituant l’article de dictionnaire, l’analyse sémique, la métalangue lexicographique, lui enseignera les différences de structure entre les ouvrages lexicographiques qui traitent de la langue générale et ceux qui traitent des vocabulaires spécialisés. La maîtrise parfaite du fonctionnement de tous les types d’ouvrages de cet ordre est essentielle, parce que le terminologue aura à les consulter et à en manier le discours chaque jour. Cet aspect de la formation prélude à l’approche de la sémantique.
1.2.1.4. La base linguistique indispensable, issue des diverses sphères d’activités de la linguistique qu’on vient d’énumérer et de passer en revue, amène l’étudiant terminologue à compléter sa formation dans l’ordre linguistique en abordant les problèmes de la néologie et de l’évolution du lexique. Quotidiennement, il sera appelé à se prononcer,sur les problèmes de la créativité terminologique. Il sera obligé de créer lui-même de nouvelles unités lexicales, afin de pallier aux besoins de dénominations. D’où, il appert qu’une connaissance de la phonétique et de la phonologie, de même que des notions d’étymologie, tout cela allié à la connaissance du fonctionnement des mécanismes de la composition et de la dérivation des mots, semblent des fondements importants à posséder pour affronter la créativité lexicale toujours imminente.
Ce bref survol de la linguistique et de ses apports à la terminologie aura préparé le futur terminologue à faire face à l’aspect plus nettement terminologique de sa formation. Ce volet appelle également quelques commentaires.
1.2.2. Aspect terminologique de la formation
Sautant de plain pied en terminologie proprement dite, il faudra montrer au terminologue en puissance les éléments fondamentaux de la méthodologie de la recherche terminologique et les principes théoriques qui président à la pratique du travail terminologique, de façon à le rendre mieux en mesure d’assumer lui-même l’ensemble de la procédure de mise sur pied d’un lexique spécialisé.
Les règles méthodologiques fondamentales en terminologie peuvent être regroupées sous deux grands chapitres :
- Celles qui concernent la préparation du travail terminologique.
- Celles qui concernent l’élaboration et la réalisation concrètes du travail terminologique.
Ces principes directeurs ont déjà été longuement décrits dans la Méthodologie de la recherche terminologique[7] publiée par l’OLF. Nous ne les reprendrons pas dans le détail, nous nous contenterons d’un résumé qui tiendra compte de certaines divergences possibles dues à la variété des écoles et des organismes de terminologie. On sait, en effet, que chaque école, chaque centre, chaque organisme a des règles qui lui sont spécifiques et qui ont été déterminées en fonction d’objectifs précis, de besoins particuliers à satisfaire et même, en fonction du milieu géographique dans lequel ils doivent accomplir leur tâche.
De cette manière, le terminologue aura une vision élargie de la terminologie et il emmagasinera des notions et des renseignements variés qui lui procureront l’occasion d’exercer un jugement critique sain sur ses travaux personnels.
1.2.2.1. Les premiers préceptes de formation portent nécessairement sur les données terminologiques[8] elles-mêmes. L’étudiant doit apprendre à connaître les fondements méthodologiques et théoriques qui sont à la base de la constitution des diverses fiches de terminologie actuellement utilisées par les centres de terminologie qui existent un peu partout. Cette initiation le conduira à isoler, puis à décrire correctement les éléments fondamentaux minimums communs à toutes les fiches de terminologie, comme par exemple, l’entrée, le contexte, la définition, le domaine d’utilisation, l’identification des sources, etc. Ensuite, il situera le rôle particulier de l’OLF parmi le bouillonnement de la recherche terminologique internationale.
Ce plongeon au cœur du support du travail terminologique le préparera à l’importante étape du traitement linguistique, terminologique et technique de chaque dossier constitué. La réussite et l’efficacité du traitement sont impérieusement reliées à la préparation parfaite des dossiers terminologiques. Le succès de la publication en dépend foncièrement.
1.2.2.2. À partir du support du travail qu’est la fiche, il faudra définir les diverses étapes successives de la fabrication d’un lexique spécialisé : choix du domaine, délimitation du champ de travail, constitution du corpus, enquêtes auprès des utilisateurs, dépouillement de la documentation recensée et accumulée, élaboration de la nomenclature, constitution des comités de normalisation, etc. Ce processus de préparation et d’élaboration des ouvrages sera réitéré chaque fois qu’il y aura lieu d’entreprendre de nouvelles recherches sur les vocabulaires techniques.
1.2.2.3. Pénétrant plus avant dans la problématique du travail terminologique, l’étudiant se verra confronté aux divers aspects de la réalisation du travail terminologique : selon que l’on procède de manière thématique ou de manière ponctuelle, selon que l’on choisit la méthode systématique ou la méthode alphabétique, selon que le travail a une visée unilingue, bilingue ou plurilingue, etc.
Un coup d’œil sur les similitudes et les différences des méthodes mises en œuvre en terminologie et en traduction complétera ce tour d’horizon.
1.2.2.4. Les rapports entre la langue technique, la langue scientifique et la langue générale seront abordés. De même, il sera question des interférences qui peuvent survenir dans le système linguistique des langues de spécialistes (par exemple, la synonymie, la polysémie) et des façons de traiter et de résoudre ces problèmes[9].
1.2.2.5. La normalisation[10] et l’aménagement linguistiques[11] feront l’objet de quelques sérieuses incursions théoriques et appliquées, puisque ces notions seront continuellement présentées dans le déroulement du travail terminologique. Elles sont l’aboutissement souhaité aux travaux, tel que le mandat de l’OLF l’a défini et que nous l’avons exposé au début de cette communication. Négliger l’importance de la normalisation et de l’aménagement linguistique dans la formation des terminologues serait impardonnable.
2. Formation scientifique et technique
2.1. La formation scientifique et technique constituera le second volet de l’apprentissage du terminologue.
Les aptitudes professionnelles requises du terminologue dépassent largement la zone linguistique. Une fois cette première formation acquise, il devra affiner son savoir en explorant les différentes disciplines scientifiques et techniques qui sont en liaison directe avec ses travaux de recherche. Cette formation, consécutive à l’apprentissage linguistique, s’acquiert le plus souvent lorsque le terminologue occupe déjà un poste dans un centre de terminologie.
Il est sûr et certain qu’aucun effort terminologique sérieux et rigoureux ne saurait être mené à bien sans que le terminologue se familiarise et pénètre à fond le domaine technique et scientifique dans lequel il aura à intervenir. Un produit terminologique de haute qualité ne saurait sortir des mains d’un terminologue qui ne maîtriserait pas les notions élémentaires minimums du champ d’activités professionnelles dont il s’occupe de dresser le lexique. Il est, par ailleurs, impensable de se lancer dans une recherche terminologique sans définir l’étendue et les limites du secteur spécialisé dans lequel on travaillera. Comment pourrait-on parvenir à décrire utilement des réalités sans les connaître?
2.2. Le terminologue possède deux ressources complémentaires pour parfaire sa formation scientifique et technique.
2.2.1. Il peut se familiariser avec le domaine en exploitant les diverses sources écrites qui sont disponibles : bibliographies spécialisées, périodiques, manuels, ouvrages lexicographiques, etc. portant sur l’activité professionnelle choisie. De cette manière, il établira son vocabulaire scientifique et technique fondamental, qui le préparera à entrer en rapport avec le milieu utilisateur et à soutenir les indispensables discussions avec les professionnels.
2.2.2. Les connaissances livresques ne sauraient être que fragmentaires. Aussi, la seconde ressource à laquelle le terminologue se fiera, c’est évidemment le contact concret avec l’univers professionnel étudié et les usagers de la terminologie.Par ses relations personnelles suivies avec la clientèle visée, le terminologue réussira à instaurer un climat de confiance nécessaire à l’accomplissement de sa tâche. De là viendra un aperçu de l’ampleur et de la difficulté du travail à accomplir.
Le terminologue n’étant pas, sauf heureuse exception, un spécialiste à part entière, et ne pouvant non plus prétendre à ce titre, il verra à s’assurer le concours d’experts d’entreprises et d’informateurs compétents, et cela à différents paliers hiérarchiques. Ces personnes joueront le rôle de conseillers et le guideront à chacune des étapes successives de ses travaux et dans l’analyse terminologique qu’il mène.
Les contacts avec l’entreprise et les professionnels constituent une indispensable manœuvre d’approche et ne doivent aucunement être négligés dans le processus de formation. Les visites d’entreprise, les rencontres et les conversations avec les cadres et le personnel, l’examen de toute question relative au milieu permettront une observation en situation de la terminologie. À partir de cette vision du milieu utilisateur, le terminologue pourra mieux délimiter ses besoins et les priorités des usagers.
3. Formation complémentaire
Formation linguistique et formation technico-scientifique ne suffisent pas au terminologue pour être parfaitement à l’aise dans son milieu de travail. On exige de lui qu’il tâte des rapports que la terminologie entretient avec d’autres sciences (la philosophie, par exemple), qu’il sache s’y retrouver en informatique, qu’il sache manier la documentation et qu’il sache se débrouiller en classification.
3.1. L’informatique
Sans être un informaticien hors pair, le terminologue aurait tout intérêt à connaître l’existence, l’utilité et le fonctionnement des banques de données terminologiques qui sont destinées à faciliter son travail. Pour ce faire, il devra apprendre à les consulter afin de savoir ce qu’il peut en attendre. Un cours d’initiation à l’informatique lui fournira l’occasion de discuter avec les praticiens de cette science. Sans cela, il pourra difficilement travailler, étant donné le grand nombre de travaux de terminologie thématique ou ponctuelle qui se font en étroites relations avec les banques de données terminologiques.
3.2. La documentation et la classification
Le terminologue doit apprendre à connaître les outils documentaires dont il aura constamment besoin dans son travail. Sans être documentaliste professionnel, il acquerra des notions dans ce domaine afin d’être en mesure de repérer les sources où il puisera les informations nécessaires, afin de pouvoir les évaluer et afin de porter un jugement sur leur valeur et leur pertinence. Il n’est nullement de son ressort d’organiser un centre de documentation. Le recours à cet outil de travail n’est qu’un moyen pour le terminologue d’améliorer le produit de qualité que doit être son lexique en voie de réalisation.
L’apprentissage des principes d’organisation et de fonctionnement d’une salle de documentation, des façons de rédiger des bibliographies, de repérer les ouvrages essentiels à la recherche, d’établir des fiches bibliographiques et de commander des ouvrages visent à faciliter le dialogue du terminologue avec les documentalistes professionnels, dans le but de mieux cerner les besoins de son champ d’activité, qu’il connaît mieux qu’eux, à la limite. L’aisance qu’il manifestera dans le secteur de la documentation et de la classification aura des répercussions immédiatement sensibles sur le travail terminologique qu’il poursuit.
4. Stage
Le stage dirigé se présente comme la dernière étape de la formation des terminologues[12]. Toutes les connaissances théoriques et méthodologiques multiples seront mises à l’épreuve lors d’un séjour de travail de plusieurs semaines dans un organisme de terminologie gouvernemental ou privé avantageusement reconnu.
Le stage a pour but de permettre au candidat terminologue de s’initier au fonctionnement d’un centre de terminologie et de vivre quotidiennement, et simultanément, toutes les facettes de la vie professionnelle réelle.
Il a aussi pour but d’aider le candidat à travailler en équipe avec les différentes personnes qui constituent un service de terminologie : traducteurs, linguistes, spécialistes, etc. La terminologie, telle que pratiquée dans certains milieux, par exemple l’OLF, est une tâche collective qui fait appel à toutes sortes de spécialistes du langage.
Au cours de son stage, essentiellement pratique comme il va de soi, le terminologue fera le tour des activités terminologiques les plus diverses : recherches ponctuelles, recherches thématiques, consultations (SVP), rédactions de dossiers terminologiques, interrogation d’une banque de terminologie, travail en bibliothèque et en documentation, etc.
Un conseiller, terminologue de profession, le guidera tout au long du stage et sera chargé dé rédiger un rapport d’évaluation du candidat; sur « ses aptitudes, son rendement et ses qualités professionnelles en regard de la profession à exercer »[13].
5. Conclusion
5.1. Le terminologue comme on vient de le voir, doit être bien préparé. Il doit cumuler un nombre impressionnant de connaissances et de qualités propres à lui faciliter, de la meilleure façon possible, la pratique de son activité. Mais n’en est-il pas ainsi dans toute science?
À cette formation théorique multiforme se joignent, on l’a déjà dit à de nombreuses reprises, une solide formation intellectuelle et une culture générale étendue qui ne pourront concourir qu’à rehausser la valeur morale et l’ardeur scientifique du terminologue.
La maîtrise de la langue dans laquelle le terminologue aura à travailler est évidemment un autre gage de succès du travail qui sera entrepris. Le plus souvent, il s’agira de la langue maternelle, parfois aussi de la langue dans laquelle il aura été scolarisé. Le maniement aisé et correct de la langue permettra l’expression juste et parfaite. De plus, pour s’exprimer adéquatement dans une langue étrangère, le plus sûr garant demeure la maîtrise de sa propre langue.
5.2 Le développement actuel de la terminologie et sa systématisation en tant que science linguistique autonome ne laisse plus guère de place à l’improvisation lors du déroulement des travaux. Aussi la formation sur le tas des terminologues doit-elle être considérée comme chose du passé.
Aujourd’hui, il ne peut plus être question d’appréhender un travail terminologique structuré sans s’appuyer sur un apprentissage dont les fondements scientifiques seront tributaires d’une méthode éprouvée. Une formation adéquatement poussée des terminologues se révèle plus que jamais nécessaire, à l’heure où la terminologie s’internationalise de plus en plus et au moment où elle s’avère de plus en plus complexe à définir. L’élaboration des méthodes et des théories commence par la formation des praticiens.
Pour être terminologue, « il faut aimer sa langue, croire en sa propre culture et être convaincu que le génie d’un peuple s’exprime à travers son mode particulier d’expression »[14]. C’est pour cette raison qu’au Qubec la terminologie se transforme en auxiliaire précieux servant à « améliorer la qualité linguistique des individus et à en faire des sujets performants dans leur langue seconde »[15], capable, de plus, d’assurer convenablement et uniformément le réaménagement linguistique de la vie et du territoire québécois.
Notes
[1] Voir le projet de loi n. 101 de l’Assemblée Nationale du Québec intitulé : « Charte de la langue française », sanctionné le 26 Août 1977, p. 28, article 100 : « Un Office de la Langue Française est Institué pour définir et conduire la politique québécoise en matière de recherche linguistique et de terminologie et pour veiller à ce que le français devienne, le plus tôt possible, la langue des communications, du travail, du commerce et des affaires dans l’administration et les entreprises ».
[2] L’OLF mène son action de francisation en étroite collaboration avec les entreprises québécoises. Des ententes sur des bases communes minimales pour le travail terminologique ont été Instaurées entre les deux parties qui poursuivent ensemble un objectif unique, celui de faire du Québec un État français à part entière.
[3] Robert Dubuc, « Formation des terminologues théoriciens ou praticiens ». La banque des mots, n. 9, 1975, p. 20.
[4] André Clas, « La formation des terminologues », ln Essai de définition de la terminologie. Actes du colloque international de terminologie, Québec Manoir du Lac-Delage, du 5 au 8 Octobre 1975, Québec, Régie de la langue française. Août 1976, p. 153.
[5] Pierre Auger, « L’enseignement de la terminologie (aspects théoriques et pratiques) dans le cadre des études en traduction et en linguistique », texte dactylographié p. 1. (À paraître en 1978 dans les Actes du colloque international de terminologie, Québec, Manoir Richelieu, Octobre 1977).
[6] La description qui suit reprend les grands thèmes que l’on trouve dans l’article de Pierre Auger cité précédemment. Voir en particulier les Annexes 1a 1b.
[7] Pierre Auger et Louis-Jean Rousseau, en collaboration, « Méthodologie de la recherche terminologique ». Études, recherches et documentation, n. 9 Office de la langue française, Québec, Septembre 1977, 80 p.
[8] Voir « les données terminologiques », Actes du colloque international de terminologie, Baie-Saint-Paul, du 1er au 3 Octobre 1972, Québec, Office de la langue française. Juillet 1975, 172 p.
[9] Voir « La normalisation linguistique », Actes du colloque international de terminologie, Lac — Delage, du 16 au 19 Octobre 1975, Québec, Office de la langue française. Septembre 1974. 258 p.
[10] Id.
[11] Voir Jean-Claude Corbeil, « Éléments d’une théorie de l’aménagement linguistique ». Études, recherches et documentation n. 4; Régie de la langue française, Québec Mal 1975, 40 p. et « L’aménagement linguistique du Québec », Juin 1975, 57 p.
[12] Nous évitions volontairement de mentionner la rédaction d’un mémoire ou d’une maîtrise, qui font davantage partie d’un programme de formation uniquement centré sur l’enseignement universitaire de la terminologie aux deuxième et troisième cycles. Voir, par exemple Robert Dubuc, article citée, p. 22, André Clas, article cité p. 155, Pierre Auger, article cité p. 18 et suivantes.
[13] Robert Dubuc, article cité, p. 22.
[14] Geoffrey Vitale, in « Essai de définition de la terminologie », Actes du colloque international de terminologie, Québec, Manoir du Lac-Delage, du 5 au 8 Octobre 1975, Québec, Régie de la langue française, Août 1976, p. 163.
[15] Pierre Auger, « Terminologie et enseignement », communication présentée à la deuxième rencontre mondiale des départements d’études françaises, AUPELF, Strasbourg, 17-23 Juillet 1977, texte dactylographié, p.3.
Référence bibliographique
BOULANGER, Jean-Claude (1982). « Les aspects polyvalents de la formation des terminologues », dans Séminaire de terminologie franco-arabe, Tunis, Institut Bourguiba des langues vivantes, coll. « Langage et linguistique », p. 109-117. [article]