La coopération internationale en terminologie: le modèle québécois[1]

Jean-Claude Boulanger (Office de la langue française)

Introduction

La continuelle activité mondiale en terminologie ne permet guère aux organismes nationaux de terminologie de faire la sourde oreille ou encore de demeurer à l’écart de ce bouillonnement international. L’Office de la langue française emploie près de 400 personnes dont les tâches sont dévolues à l’activité terminologique sous une forme ou une autre. Son mandat de francisation l’a amené très rapidement à développer un réseau de coopération internationale avec plusieurs partenaires du monde de la terminologie et de la linguistique. Cette activité consiste autant à solliciter des avis à l’étranger qu’à participer aux travaux en cours ailleurs. Cet aller-retour caractérise le réseau d’échanges internationaux que l’Office a mis sur pied et encouragé depuis une vingtaine d’années. La coopération se déroule avec deux grands groupes de partenaires : les organismes nationaux ou internationaux et les gouvernements étrangers. Dans cet article je voudrais évoquer trois des pôles majeurs de la coopération internationale de l’Office en terminologie et en linguistique. Il s’agit du Réseau de néologie francophone, de la normalisation et des régionalismes.

Mais avant d’expliciter en détail ces trois centres d’attraction de la coopération, il convient de passer rapidement en revue et sans s’y arrêter longuement quelques-uns des organismes dispersés dans le monde et avec lesquels l’Office entretient des rapports étroits. Pour chaque organisme cité, je mentionnerai les principaux axes de coopération. Il va de soi que la description ne prétend en rien à l’exhaustivité, ni au regard du nombre de ces organismes, ni au regard des sujets traités avec un seul d’entre eux. Je signale simplement quelques caractéristiques marquantes pour illustrer la variété des contacts qu’un organisme comme le nôtre doit maintenir.

  1. Le Cirelfa (Conseil international de recherche et d’étude en linguistique fondamentale et appliquée), organisme créé à la fin de 1981, est un nouvel instrument de coopération linguistique internationale pour la communauté des pays et des peuples de langue française ou faisant usage de cette langue. L’Office entretient avec le Cirelfa des relations visant à promouvoir la recherche dans le domaine de l’aménagement linguistique et terminologique tant sous ses aspects pragmatiques que théoriques et à contribuer à la formation des chercheurs dans le même domaine.
  2. L’Aupelf (Association des universités partiellement ou entièrement de langue française) est associée ponctuellement aux travaux de l’Office en matière de lexicographie régionale, d’enseignement de la terminologie, surtout en Afrique noire et au Maghreb.
  3. L’Infoterm (Centre international d’information terminologique) sert de relais indispensable pour prendre connaissance des plus récents travaux de terminologie, de documentation et de normalisation dans le monde, plus spécialement en URSS et dans les pays de l’Est.
  4. L’ILF (Institut de la langue française) est un organisme français chargé de gérer un ensemble de travaux de recherche en linguistique. En particulier, il chapeaute le grand projet de description de la langue française mieux connu sous l’appellation Trésor de la langue française (TLF). Celui-ci est responsable du grand dictionnaire historique de la langue française. L’Office travaille en collaboration avec le TLF pour la question des régionalismes dont il sera fait état un peu plus loin.
  5. La Termia (Association internationale de terminologie) fut fondée en mai 1982 à Québec. Aussi l’Office est-il associé de très près aux travaux de la Termia qui vise la promotion de la recherche et de l’enseignement en terminologie partout dans le monde.
  6. Le CILF (Conseil international de la langue française) dont le siège est à Paris reçoit régulièrement des demandes de l’Office en terminologie systématique ou ponctuelle et effectue les recherches nécessaires pour trouver les réponses à ces questions. L’Office participe également à l’élaboration de dictionnaires terminologiques préparés par le CILF ou encore assiste aux réunions des divers comités de terminologie de cet organisme. Dans le domaine des régionalismes, nous venons de préparer un court répertoire de québécismes usuels (environ 800 entrées) qui sera bientôt publié dans une collection de monographies sur les français régionaux. Ce travail a été réalisé par une équipe de linguistes québécois sous ma responsabilité.
  7. La CEE (Communauté économique européenne) reçoit des stagiaires de l’Office, soit pour la recherche ponctuelle, soit pour la recherche systématique. La réciproque est aussi vraie puisque l’Office accueille également des terminologues de la CEE. La collaboration est aussi très intense en ce qui regarde les banques de terminologie.
  8. L’ONU (Organisation des Nations unies) a reçu des stagiaires de l’Office tout comme il a envoyé des terminologues à Québec pour des fins de perfectionnement. Les échanges entre l’Office et l’ONU concernaient surtout la terminologie ponctuelle et la formation des terminologiques.

Ce panorama des échanges internationaux de l’Office est incomplet, mais il donne un aperçu des structures qu’un organisme comme le nôtre doit développer afin d’accomplir de son mieux le mandat qui lui a été confié. Par ailleurs, l’exportation de son expérience constitue le corollaire nécessaire à l’enrichissement collectif de la terminologie dans le monde.

Il convient maintenant d’expliciter plus largement trois des secteurs clés de la coopération internationale de l’Office : la néologie, la normalisation et les régionalismes.

Le Réseau international de néologie

À l’automne 1974, l’Office de la langue française organisait le premier colloque international consacré à l’aménagement de la néologie dans la francophonie. Le titre même du colloque situait d’emblée les débats au centre des recherches terminologiques et sociolinguistiques nouvelles. L’un des premiers résultats concrets de cette rencontre internationale fut la mise sur pied d’un Réseau de néologie scientifique et technique au printemps 1975, à l’initiative du Québec et de la France. Dès le départ, le but principal fixé pour ce réseau fut de répertorier les termes français nouveaux qui apparaissaient quotidiennement dans de multiples domaines d’activités techniques et scientifiques, ou encore de fournir, dans une optique prospective, des équivalents français aux néologismes américains qui pullulaient en permanence dans la presse de l’Amérique anglophone. Le Québec et la France étaient liés par des accords de coopération franco-québécoise en matière de néologie et de terminologie. Une dizaine de chercheurs québécois et français ont alors entrepris de parcourir la titanesque documentation française et anglo-américaine à la poursuite des néologismes.

L’AFTERM (Association française de terminologie) et l’Office constituaient le réseau en 1975. En 1978, la Belgique se joignait au groupe fondateur, mais de manière moins officielle puisque aucun accord de coopération n’était signé entre les gouvernements belge et québécois. L’équipe belge réunit des collaborateurs travaillant à la CEE (Communauté économique européenne), enseignant à l’ISTI (Institut supérieur des traducteurs et interprètes de Bruxelles) et depuis peu, oeuvrant dans le cadre des activités de la Maison de la Francité de l’agglomération de Bruxelles. L’arrivée de l’équipe belge, elle-même répartie dans plusieurs foyers d’activités terminologiques, a permis au réseau de prendre une ampleur véritablement francophone. Les changements survenus au Haut comité de la langue française en 1980 ont entraîné la disparition de l’AFTERM et son remplacement par un nouvel interlocuteur français : FRANTERM. Enfin, en 1982, la Direction générale de la terminologie et de la documentation (DGTD) du gouvernement fédéral du Canada devenait le benjamin des membres du réseau. L’année 1983 pourrait marquer l’arrivée d’un premier partenaire non francophone. En effet, le Modem Languages Centre de l’Université de Bradford (Grande-Bretagne) désire se joindre au réseau.

À l’heure actuelle, plus d’une vingtaine de personnes réparties dans plusieurs zones de la francophonie consacrent une part importante de leurs travaux à la quête des néologismes. Les domaines présumément néologènes font l’objet de sondages et de recherches. Le statut néologique véritable des unités lexicales traitées est établi par comparaison avec les outils lexicographiques les plus contemporains et pertinents. Il s’agit essentiellement d’une recherche à caractère descriptif, aucune décision normative n’intervenant à l’étape du traitement linguistique et terminologique. La normalisation de certains néologismes pourra survenir ultérieurement, par exemple à l’occasion du traitement de certains dossiers par la Commission de terminologie de l’Office ou par les différentes instances des autres partenaires, comme les commissions ministérielles françaises, la CEE, etc. La méthodologie élaborée dès la formation du réseau fait l’objet d’une mise à jour continuelle, en particulier en ce qui regarde le corpus d’exclusion lexicographique et terminologique, pierre d’assise des travaux. La première partie de cette méthodologie est celle qui concerne le processus d’encodage des articles néologiques, elle est prête pour la publication, tandis que la partie théorique est en cours de rédaction.

A ce stade-ci, il importe de signaler qu’en plus du personnel affecté d’office aux recherches en néologie, quelques contrats de service sont accordés à des chercheurs spécialisés dans des domaines de pointe tels que la nordologie, la foresterie, la biomasse forestière, etc. Ces chercheurs associés aux travaux sont des universitaires, des ingénieurs, des dirigeants d’entreprises, etc., aux prises avec d’urgents besoins de désignations nouvelles pour des fins scientifiques, pédagogiques ou même fonctionnelles. Les travaux sont alors menés en collaboration avec des animateurs du module du réseau qui est concerné et sous leur supervision.

Les objectifs poursuivis par ce réseau de néologie francophone sont les suivants :

  1. Répondre aux besoins exprimés de toutes parts de rendre disponibles le plus rapidement possible des néologismes français chez les scientifiques, les techniciens, les ingénieurs, les étudiants.
  2. Si nécessaire, créer des néologismes français pour contrer l’infiltration des néologismes ou des emprunts anglo-américains dans la langue française.
  3. Sélectionner, analyser, normaliser, si nécessaire, les mots et termes nouveaux qui entrent en conflit dans des situations de synonymie néologique ou terminologique.
  4. Développer chez les spécialistes de toute discipline, les terminologues et les traducteurs des réflexes linguistiques bien français en matière de création lexicale.
  5. Utiliser la situation privilégiée du Québec en Amérique du Nord comme tremplin d’observation de la néologie américaine galopante et servir de relais avec le reste de la francophonie.
  6. Contribuer à l’enrichissement collectif du stock lexical de la langue française par des apports régionaux originaux, particulièrement ceux provenant des secteurs d’activités où chaque communauté est à la fine pointe des recherches dans le monde, comme les techniques de l’eau, le laser, la foresterie au Québec.
  7. Conduire des recherches théoriques dans le domaine de la néologie qui soient utiles à la linguistique, la traduction, la terminologie et la sociolinguistique.

Tous les travaux sont prioritairement publiés par le canal de l’Office. Depuis l’origine du réseau, 33 cahiers de la série Néologie en marche, principal support de publication des résultats des recherches, ont paru. Sans compter les 10 cahiers publiés antérieurement dans le cadre de la néologie de la langue générale. On peut sommairement évaluer à environ 15 000 le nombre des unités lexicales nouvelles traitées par les différentes équipes de néologues depuis le début du fonctionnement du réseau. Deux index cumulatifs permettent de constater la variété des termes retenus. Les domaines ou les secteurs d’activités sont sélectionnés avant tout en fonction des besoins spécifiques de chacun des modules membres du réseau de néologie, étant entendu que ces besoins sont également utiles aux autres. L’ensemble des travaux finit par former une mosaïque terminologique française dont les retombées, québécoises d’abord, francophones ensuite, sont indéniables. Le mouvement de francisation du Québec et les interventions nationales des autres partenaires du réseau ont su profiter à plus d’un titre de l’apport des néologismes français recensés ou créés par les participants au réseau. Depuis 1975, les secteurs suivants ont été explorés : pétrole, manutention, informatique, électronique, automatique, mesure, gestion, nordologie (le Nord), tourisme, sport (planche à roulettes), loisirs, audiovisuel (cinéma, photographie, vidéo, disque), musique électro-acoustique (synthétiseur), communications (journalisme, relations publiques, télécommunications), emballage, sécurité industrielle, urbanisme, environnement, commerce, vente, publicité, économie, épuration des eaux, lagunage, fibres optiques, route, techniques et technologies de l’enseignement, énergie, mécanisation forestière, biotechnologies, énergies renouvelables, assainissement des eaux.

Les membres du réseau se rencontrent régulièrement à l’occasion de missions de part et d’autre de l’Atlantique afin de discuter des problèmes méthodologiques et théoriques et de mettre au point les programmes de coopération. Dans un avenir rapproché, le réseau de néologie compte prendre de plus en plus d’expansion de manière à rejoindre et à relier toutes les communautés francophones de par le monde. En outre, nous songeons à ouvrir quelques modules dans le monde non francophone, en particulier dans des endroits où la langue française occupe une place de choix. La santé et le développement de la langue française seraient ainsi assurés et le mouvement de francisation amorcé au Québec pourrait rejaillir partout dans le monde.

La normalisation

La Commission de terminologie de l’Office de la langue française fut créée en avril 1978 par l’Office, conformément aux dispositions de la Charte de la langue française. Elle dispose d’un mandat de normalisation qui revêt un caractère central en ce qu’elle coiffe toutes les commissions ministérielles de terminologie en activité au Québec (Affaires sociales, Transports, Terminologie géographique, Éducation, etc.), qu’elle revoit les décisions de ces commissions avant de les soumettre aux membres de l’Office pour entérinement, puis publication dans la Gazette officielle du Québec. Son président est le directeur de la terminologie.

Parallèlement à la préparation d’avis sur les dossiers qui lui sont soumis, la Commission a entrepris une série de réflexions de fonds sur la normalisation. Cette réflexion est menée afin de préciser certains aspects de la normalisation et permettre des interventions de plus en plus adéquates et cohérentes en terminologie et en linguistique. Le contexte québécois présente des différences notables d’avec le reste du monde francophone. Des décisions internes doivent donc être prises sur des questions épineuses telles que l’emprunt, les régionalismes, la créativité lexicale, au regard d’une norme langagière et terminologique à promouvoir et d’une réflexion approfondie sur la description d’un modèle normatif qui convienne à la situation québécoise. Le domaine d’application de la normalisation n’est nullement limité. Qu’il s’agisse du vocabulaire général ou des langues de spécialité, l’Office détient un mandat pour intervenir, bien que, jusqu’à présent, il soit surtout intervenu dans la sphère de la normalisation terminologique.

Pour conduire le plus efficacement possible le dossier de la normalisation l’Office a développé deux types de coopération avec l’étranger :

  1. Les rapports avec le Haut comité de la langue française en France.
  2. Les rapports avec l’Organisation internationale de normalisation (ISO), Comité technique 37 « Terminologie (principes et coordination) » dont le secrétariat est situé à Vienne, en Autriche.

Le Haut comité de la langue française

Le Haut comité de la langue française, situé à Paris, est sous la responsabilité directe du premier ministre français. L’Office et le Haut comité ont un accord de coopération à plusieurs niveaux, dont le très important volet de la normalisation. Cette coopération vise à coordonner les différents travaux des commissions ministérielles de terminologie françaises et québécoises afin d’harmoniser la recherche, d’établir des consensus sur les décisions arrêtées et d’établir un réseau d’échanges constants.

Les travaux de terminologie français ont été régulièrement suivis par l’entremise des différents représentants de l’Office qui se sont succédés à Paris au cours des dix dernières années. Aussi notre connaissance de ces travaux est-elle constamment à jour. Avant 1978, il s’agissait exclusivement d’observer les travaux des commissions françaises puisque la commission de l’Office n’existait pas encore. Dès la constitution de la commission québécoise, il a fallu instaurer des mécanismes permettant de procéder à l’échange réciproque de données, de mettre au point des méthodes de travail conjointes mais qui seraient en adéquation avec les besoins spécifiques de chacun, d’effectuer des échanges d’information et d’experts, de diffuser les terminologies normalisées et enfin de contribuer à des recherches communes sur les fondements mêmes de la normalisation.

Les structures de fonctionnement attribuent au Haut comité de la langue française la responsabilité des liaisons avec les diverses commissions françaises réparties dans les ministères, tandis que la commission de l’Office agit d’une manière similaire au Québec. La collaboration est ainsi rendue plus efficace et productive puisque les deux interlocuteurs occupent le sommet de la pyramide des échanges, ce qui favorise la concertation, la canalisation et la répercussion des décisions auprès des autres organismes concernés par la tâche de normalisation, puis auprès du grand public.

Les deux organismes se transmettent régulièrement les programmes de travail, les données diverses, tels les procès-verbaux, les nomenclatures des travaux en cours, les avis de normalisation ou de recommandation arrêtés, etc. Ces documents portent les indications nécessaires à la compréhension du cheminement général des dossiers et de leur suivi. Ainsi les décisions communes qui résultent des travaux permettent de réduire les écarts entre le français de France et le français utilisé au Québec.

L’Organisation internationale de normalisation

Le second volet de la coopération québécoise en matière de normalisation est celui de l’Organisation internationale de normalisation mieux connue sous son sigle universel de ISO. L’ISO groupe près d’une centaine d’organismes nationaux de normalisation. L’objet de l’ISO est de favoriser le développement et la coordination de la normalisation ainsi que des activités connexes dans le monde. L’amélioration et l’harmonisation des communications intellectuelles, scientifiques, techniques, économiques et culturelles se profilent en filigrane des travaux de l’ISO.

Les travaux techniques de l’ISO s’effectuent au sein des comités techniques (CT) qui peuvent à leur tour et à partir des besoins manifestés, créer des sous-comités (SC) et des groupes de travail (GT) chargés de s’occuper des différents aspects des travaux. Chaque comité technique a un secrétariat confié à un membre de l’ISO, tandis que pour chaque groupe de travail, un responsable est désigné par le comité principal.

Le but fondamental de l’ISO est la normalisation des produits industriels. Mais le lien nécessaire entre un objet et sa dénomination rend tout aussi essentielle la normalisation des termes. Pour cette raison, l’ISO a constitué un comité technique chargé spécifiquement des questions théoriques de terminologie. Ce comité, qui porte le numéro 37, a été créé pour élaborer des critères de normalisation des méthodes de création, de compilation et de coordination des terminologies. Le CT 37 s’appelle : « Terminologie (principes et coordination) ». Le siège de son secrétariat est à Vienne logé auprès de l’Österreichisches Normungsinstitut (Institut autrichien de normalisation). C’est par l’intermédiaire du Conseil canadien des normes (CCN), qui est l’interlocuteur officiel de l’ISO au Canada, que l’Office joue un rôle actif au sein de cet organisme. Sa participation à ces travaux est d’ordre exclusivement théorique et limitée au Comité technique 37.

À l’heure actuelle, le CT 37 comprend deux groupes de travail et deux sous-comités. Le GT 4 travaille sur l’aide à apporter par les ordinateurs dans les travaux de terminologie et de lexicographie. Le siège de son secrétariat est en République fédérale d’Allemagne (RFA). Le GT 5 s’occupe du vocabulaire de la terminologie. Le siège de son responsable est à Vienne. Le sous-comité 1 s’occupe des principes de terminologie sous la responsabilité du Comité de normalisation d’URSS (GOST) à Moscou. Enfin, le sous-comité 2 a pour mission de travailler à l’élaboration et à la présentation des vocabulaires. Il est logé auprès du Conseil canadien des normes qui en a confié le secrétariat aux représentants de l’Office de la langue française. Le directeur de la terminologie de l’Office est donc le secrétaire du CT 37/SC 2 de l’ISO.

En plus de cette responsabilité spécifique qui, comme on le voit, s’inscrit dans une structure rigide et complexe, l’Office contribue à tous les autres travaux du CT 37 de l’ISO. Il assiste notamment aux réunions qui ont lieu à travers le monde, il étudie les divers projets de normes terminologiques et il donne son avis. Sa contribution et sa participation aux recherches de l’ISO lui procurent les éléments nécessaires pour élaborer des documents pour son usage personnel. Le Vocabulaire systématique de la terminologie, dont un premier état fut publié en 1979, constitue un excellent exemple des répercussions de cette collaboration internationale en normalisation.

Les régionalismes

La position géographique exceptionnelle du Québec au nord-est du continent américain, son état isolé en ce qui regarde la langue d’usage de la collectivité, en l’occurrence le français, et le processus de changement linguistique en cours constituent une suite de circonstances diverses qui poussent le gouvernement à se préoccuper grandement de la question des régionalismes linguistiques. Au cours des années passées quelques gestes ont été posés mais sans avoir de grandes répercussions. On a formulé des avis sur la langue d’enseignement et sur la norme; une série d’environ soixante canadianismes de bon aloi furent définis et publiés; mais aucune décision ferme n’a été arrêtée. Depuis peu l’attitude s’est raffermie et l’Office a pris position sur cette question. Dans un premier temps, il publiera bientôt un énoncé de politique relative aux régionalismes, énoncé qui sera suivi d’un répertoire d’environ mille québécismes usuels tant en langue générale qu’en langue de spécialité. L’énoncé formera le volet théorique et le répertoire le volet pratique manifestant ainsi la volonté de l’Office de prendre en main une partie du vaste dossier des régionalismes au Québec.

Trois raisons justifient l’action de l’Office au sujet des régionalismes :

  1. Le contexte actuel des travaux d’aménagement linguistique au Québec ne laisse guère le choix puisque les terminologues sont quotidiennement aux prises avec des problèmes de cet ordre. Ainsi, faut-il dire palet (France) ou rondelle (Québec), crosse (France) ou bâton (de hockey) (Québec) pour désigner des éléments essentiels de notre sport national?
  2. Le contexte actuel des recherches lexicographiques françaises démontre la nécessité de plus en plus impérieuse d’insérer des régionalismes extrahexagonaux dans les dictionnaires fabriqués en France. Les communautés régionales francophones ont alors leur mot à dire sur le choix de ces unités lexicales que les lexicographes présentent toujours comme officielles, alors que la plupart du temps les sélections sont arbitraires. Qu’il suffise de mentionner à titre de renseignement quelques-unes des entreprises lexicographiques qui ont incorporé des québécismes en quantité plus ou moins variable dans leurs dictionnaires au cours des dix dernières années : le Trésor de la tangue française (Nancy), le Lexis, le Petit Larousse illustré, le Petit Robert, le Dictionnaire du français vivant, le Dictionnaire usuel illustré 1983 (Quillet-Flammarion). Ces dictionnaires illustrent bien la variété des entreprises françaises qui se préoccupent des régionalismes. Leur énumération n’est bien entendu pas exhaustive. Mais elle manifeste fort bien les orientations nouvelles prises par la lexicographie française récemment.
  3. Le contexte actuel de la décolonisation et de la décentralisation de la langue française place le Québec en relations constantes avec ses partenaires de la francophonie ayant entrepris des recherches similaires sur la variation linguistique, en particulier avec l’Afrique noire et les pays créoles à référence lexicale française. Pour d’évidentes raisons de continuum linguistique, les réflexions québécoises en cette matière doivent être rationalisées et harmonisées avec celles qui ont cours dans le monde francophone d’aujourd’hui. Il n’est plus possible de se fier à un fonctionnement autarcique. Les partenaires privilégiés du Québec sont donc ceux des pays francophones d’Europe et d’Afrique noire. Chacun quête présentement une identité qui lui permettrait de s’autogérer en regard de la langue française, étant entendu qu’un point d’ancrage commun s’avère impératif. Ainsi cherche-t-on à valoriser le précepte de l’unité et de la diversité de la langue française, tout en protégeant un passé commun.

Si on définit la langue française ou le français comme « la langue du groupe roman principalement parlée ou écrite par une majorité d’usagers en France et répandue dans d’autres pays, États ou territoires de civilisation ou de culture à prépondérance française ou partiellement française » et le régionalisme lexical comme « un fait lexical (mot, expression ou leurs sens) caractéristique de la langue d’usage d’un espace géolinguistique francophone, y compris les emprunts intégrés et acceptés, qu’ils proviennent des substrats, des superstrats ou des adstrats », on obtiendra les informations de base nécessaires pour bien comprendre le rôle et les objectifs de la coopération québécoise dans le domaine des régionalismes. Nous pouvons discerner les objectifs suivants :

  1. Situer la réflexion québécoise dans l’ensemble des recherches francophones sur la variation lexicale, afin d’éviter le danger d’une réflexion autarcique et trop autocentrée.
  2. Situer la problématique sur un plan géolinguistique en prenant connaissance des travaux et des recherches récents dans d’autres zones francophones d’Europe (France, Belgique, Suisse) et d’Afrique (surtout dans la dizaine de pays participant au projet d’inventaire du français d’Afrique sous les auspices de l’Aupelf). Dans ce cadre, les recherches portant sur les aspects lexicaux et lexicographiques sont prioritaires.
  3. Permettre au Québec d’acquérir une autonomie linguistique normative. Pour ce faire, la situation des régionalismes québécois doit être, à l’évidence, mise en rapport avec la situation française, qui est censée représenter la norme pour la langue française. Ce qui ne signifie nullement que le rameau québécois de la langue française doive se détacher de ses sources historiques.
  4. Situer la problématique de la description des régionalismes dans le cadre plus vaste d’une description globale et encore à venir du lexique d’usage des Québécois. Cette description est alliée à plus d’un titre aux travaux d’aménagement linguistique et terminologique maintenant en cours.
  5. Être en contact continuel avec les milieux lexicographiques français (dictionnaires historiques, dictionnaires de langue) afin de connaître à fond les différentes méthodes d’élaboration des dictionnaires français ainsi que leurs critères d’inclusion ou d’exclusion des régionalismes non hexagonaux. Corollairement, mesurer les réactions et prendre connaissance des intentions des lexicographes face aux prises de position officielles du Québec dans le domaine des régionalismes et de la langue d’usage.
  6. Percevoir les réactions des francophones européens et africains en face des interventions officielles du Québec dans le domaine des régionalismes, puisque de tels travaux linguistiques ayant un caractère politique poussé n’existent nulle part ailleurs dans le monde.
  7. Participer à la redéfinition en synchronie de quelques concepts de référence comme ceux de « langue générale », de « français régional » et de « régionalisme », afin de les insérer dans une éventuelle théorie de la variation linguistique qui devra tenir compte de la supranorme (norme française historique) et de l’infranorme (norme régionale actuelle).
  8. Donner aux Québécois des moyens d’action et de réaction au regard des situations linguistiques précises comme la néologie (la créativité lexicale), la terminologie, l’emprunt, la synonymie, etc.

Le Québec doit œuvrer dans le dossier des régionalismes en ayant une excellente connaissance du paysage lexicographique français et européen, tant sous son angle historique et diachronique que sous son angle descriptif contemporain et synchronique. Au surplus, il est tout à fait évident que les Québécois ont leur mot à dire à propos de l’introduction des régionalismes laurentiens dans les dictionnaires conçus et publiés en France.

La coopération québécoise en matière de régionalismes linguistiques s’effectue selon un axe privilégié Québec-France. Néanmoins, les autres partenaires de la francophonie sont tout aussi importants pour le Québec puisqu’ils partagent avec lui nombre de problèmes, en particulier la dépendance à l’égard de la France. Si la proximité des frontières rend plus difficile une autonomie normative pour les Belges et les Suisses, il en va autrement pour les Africains francophones. Nonobstant leurs projets internes de nationalisation des langues africaines, ils ont déjà entrepris un vaste projet collectif de description des africanismes français. L’Office de la langue française a été associé à ces travaux à titre d’observateur privilégié.

Pour des raisons distinctes et à des degrés différents, toutes les collectivités partiellement ou entièrement francophones partagent l’idée de décrire leurs particularités linguistiques. Il s’agit donc d’élaborer des critères communs applicables à la sélection des régionalismes à retenir ou à rejeter. Ces mécanismes communs faciliteraient beaucoup une action concertée et adéquate, ainsi que des recherches comparatives, afin de parvenir à rédiger une politique francophone unique à propos des régionalismes. Cette politique cadrerait avec le précepte du droit à la différence en matière linguistique tout en resserrant les liens entre tous les francophones.

Conclusion

L’évocation à grands traits des principaux axes de la coopération internationale de l’Office n’est pas exhaustive, loin de là. Nous avons tracé le portrait de trois des orientations préconisées à l’Office. Qu’il suffise de mentionner encore les réseaux de banques de terminologie, de la coopération avec les pays arabes, de la participation à de nombreux colloques, congrès et séminaires à travers le monde, ainsi de suite.

L’Office n’est pas un organisme autocentré ni autarcique. Le regard sur les autres et celui des autres est impérieux pour s’assurer que son propre fonctionnement répond adéquatement aux multiples besoins exprimés non seulement au Québec, mais aussi dans le monde, à l’égard de la terminologie.

Mars 1983

Note

[1] Texte d’une communication présentée en espagnol lors du Premier séminaire de terminologie tenu du 11 au 15 avril 1983 à l’Université Simon Bolivar de Caracas (Venezuela).

Référence bibliographique

BOULANGER, Jean-Claude (1983). « La coopération internationale en terminologie : le modèle québécois, Multilingua, vol. 2, no 4, p. 213-220. [article]

Résumé

L’évolution constante de la terminologie dans toutes les langues a eu un impact considérable sur les organismes nationaux concernés par ce sujet. L’Office de la langue française emploie, directement ou indirectement, quelque 400 personnes â des travaux de terminologie. Afin d’atteindre l’objectif recherché, qui est de fixer la langue française dans toutes les branches d’activité, des contacts ont été pris au niveau international dans te domaine de la terminologie et de la linguistique. Cette action, qui s’étend sur les vingt dernières années, s’est traduite tant par la consultation d’experts étrangers que par la participation à des travaux réalisés dans d’autres pays. Une coopération réciproque existe avec les organisations nationales et internationales ainsi qu’avec les gouvernements étrangers. L’article porte essentiellement sur trois sujets : les néologismes en français, la normalisation et les régionalismes.

Zusammenfassung (allemand)

Die ständige Weiterentwicklung der Terminologie sämtlicher Sprachen wirkt sich nachhaltig auf die mit Terminologie befaßten nationalen Organisationen aus. Beim Office de la langue française sind etwa 400 Mitarbeiter direkt oder indirekt auf terminologischem Gebiet tätig. Aus der Aufgabe dieses Amtes heraus, die in der Bilding der französischen Sprache für sämtliche Tätigkeitsbereiche liegt, entstanden internationale Kontakte in den Bereichen Terminologie und Linguistik. Zu dieser in den vergangenen zwanzig Jahren entwickelten Tätigkeit gehört sowohl die fachliche Beratung aus dem Ausland als auch die Mitwirkung an Arbeiten im Ausland. Das Amt arbeitet mit nationalen und internationalen Organisationen sowie mit ausländischen Regierungen. Der vorliegende Beitrag befaßt sich schwerpunktmäßig mit drei Aspekten: den französischen Neologismen, der Normung und den Regionalismen.

Abstract (anglais)

The constant evolution of terminology in all languages has a considerable impact on national organizations concerned with terminology. The Office de la langue française employs some 400 people directly or indirectly concerned with this work. Its function to establish the French language in all spheres of activity has led to the creation of international contacts in terminology and linguistics. This activity developed over the last 20 years involves expert advice from foreign countries as well as participation in work done abroad. Mutual cooperation exists with national and international organizations and with foreign governments. This article concentrates on three areas of activity: French neologisms, standardization and regionalisms.

Compendio (italien)

La costante evoluzione del lessico di tune le lingue ha avuto considerevoli ripercussioni sull’attività delle organizzazioni nazionali interessate. L’Office de le langue française ha alle proprie dipendenze circa 400 persone che si occupano, direttamente o indirettamente, di questo aspeno della lingua, li lavoro svolto dall’ Office de la langue française, che si prefigge di definire la lingua francese per te diverse sfere di attività, ha portato alla realizzazione di una rete di contatti internazionali lessicali e linguistici. Questa attività, sviluppatasi nell’arco degli ultimi vent’enni, comprende il ricorso ad esperti stranieri, nonchè la collaborazione a lavori svolti in altri paesi. Sono stale inoltre instaurate forme di collaborazione con organizzazioni nazionali ed internazionali, nonchè con governi stranieri. Il presente articolo riguarda soprattutto tre settori di attività: i neologismi francesi, standardizzazione e regionalismi.