La terminologie au Venezuela[1]

Jean-Claude Boulanger

1. Introduction

Du 11 au 15 avril dernier a eu lieu le Premier séminaire national de terminologie à l’Université Simon Bolivar de Caracas (Venezuela). L’événement avait été organisé par le Grupo de investigación terminológica (GIT) des langues de l’université d’accueil. La Délégation du Québec et l’Ambassade de France à Caracas, de même que l’Unesco et l’Infoterm (Vienne), avaient également contribué à la préparation de cette rencontre.

Une soixantaine de personnes ont assisté durant toute la semaine à un véritable cours intensif d’initiation à la terminologie et à la terminographie. Elles provenaient de plusieurs milieux tels que l’industrie (ingénieurs, chercheurs), l’Administration publique (en particulier, le ministère de l’Éducation nationale), l’enseignement de niveau collégial et universitaire (professeurs de linguistique, de langue, de traduction, d’interprétariat). La plupart des grandes universités vénézuéliennes étaient représentées à la réunion par des professeurs ainsi que par des étudiants.

2. Objectifs du séminaire

Jusqu’à récemment, la terminologie, en tant que nouvelle discipline relevant des sciences du langage, était un champ d’étude et de recherche fort peu structuré et développé dans les milieux linguistiques hispano-américains. En dépit du fait qu’au niveau international cette discipline ait pris beaucoup d’ampleur au cours des dix dernières années, l’Amérique du Sud et l’Espagne demeuraient peu perméables à son influence. Conscients de cette lacune, les organisateurs du séminaire de Caracas ont voulu donner une sorte de coup d’envoi afin d’intégrer la terminologie dans le monde espagnol, en particulier en Amérique du Sud. La terminologie leur est apparue comme un instrument linguistique essentiel pour réagir adéquatement à l’évolution technologique et scientifique du monde en général en permettant la révision, l’enrichissement et la diffusion des termes espagnols.

La tradition terminologique étant peu étoffée, les objectifs primordiaux du séminaire étaient de :

  1. Contribuer à la diffusion des connaissances de base en terminologie;
  2. Stimuler la conscientisation en ce qui regarde l’importance de la terminologie dans les sphères linguistiques et extralinguistiques;
  3. Analyser les besoins terminologiques du Venezuela;
  4. Sensibiliser les futurs utilisateurs de terminologies aux principes d’aménagement terminologique et linguistique;
  5. Esquisser des prospectives pour la terminologie dans le monde hispano-américain.

Pour débattre des questions les plus urgentes et animer le séminaire, le GIT avait invité un groupe d’experts étrangers. Le principal responsable pédagogique de cette rencontre, le professeur Heribert Picht de l’École des hautes études commerciales de Copenhague, fut appuyé dans son enseignement par une terminologue et un linguiste de l’Office de la langue française, Monique Héroux et Jean-Claude Boulanger. Ces trois spécialistes et pédagogues de la terminologie ont dispensé un enseignement dans lequel furent traités les aspects théoriques et pratiques de la terminologie et de la terminographie. En outre, ils ont bénéficié de l’aide indispensable de quelques intervenants des milieux linguistiques et socioprofessionnels de l’Université Simon Bolivar qui ont assumé les exposés relatifs aux particularités et aux besoins du Venezuela en matière de terminologie. Parmi ces experts dont il faut signaler l’apport précieux, figurent les professeurs Alicia de Diego et Michelle Sánchez-Vegas du GIT, et Dolores R. de Castro de la Banque de terminologie de l’USB.

3. Déroulement du séminaire

Le séminaire s’est entièrement déroulé en langue espagnole. Il avait revêtu la forme d’un véritable cours d’initiation à la terminologie dont la durée fut de trente-cinq heures. Un certificat élémentaire de terminologie fut décerné à chaque participant à la fin du cours de formation.

Le programme proposait cinq volets qui ont permis aux personnes inscrites d’avoir un aperçu convenable de la terminologie et de la terminographie.

1) Des exposés magistraux et thématiques étaient consacrés aux aspects théoriques de la terminologie. Ont été successivement évoqués les grandes constituantes de base de la terminologie que sont les fondements historiques, l’état des recherches actuelles (théories et méthodes), la place de la terminologie dans les sciences du langage et les sciences humaines, le concept et les systèmes de concepts, la définition, les principes de dénomination, la terminographie (lexicographie spécialisée), la normalisation, l’aménagement de la terminologie, la néologie et la formation des termes, les banques de terminologie et enfin les modèles de coopération internationale, type de collaboration qui s’avère indispensable en terminologie.

2) Des aspects plus pragmatiques comportaient des exercices appliqués des grands principes théoriques esquissés durant les cours magistraux. Chaque sujet théorique a été complété par un travail de recherche pratique effectué en sous-groupes. Ainsi, des analyses de définitions dans le domaine de l’économie, l’élaboration d’un système de notions monolingues (les timbres), la révision de la version espagnole de la norme ISO R/1087 (vocabulaire systématique de la terminologie) et sa confrontation avec la version anglaise, l’élaboration d’un mini-projet de terminologie pétrolière (préparation, étapes méthodologiques, etc.), ont été l’occasion pour les participants d’avoir une expérience pratique du travail terminologique. Les résultats faisaient l’objet d’une présentation en séance plénière.

3) Parallèlement aux travaux pratiques imposés, les responsables animaient des ateliers de terminologie en circulant dans les différents sous-groupes.

4) Des périodes de questions ont fourni à l’assistance maintes occasions d’intervenir pendant le séminaire. Un dialogue constant et fertile fut institué entre les responsables et les « néophytes » de la terminologie.

5) Deux tables rondes ont aussi été organisées. Elles complétaient la section plus proprement pédagogique du séminaire. L’une a porté sur les besoins spécifiques du Venezuela en matière de terminologie. Des scientifiques (professeurs et chercheurs) des secteurs comme les mathématiques, l’électronique, etc., et des ingénieurs des domaines des transports et du pétrole sont intervenus afin d’évoquer les principaux problèmes et besoins terminologiques dans le pays. Les usagers de ces terminologies ont entre autres mis en valeur la nécessité d’élaborer une politique relative à la créativité lexicale en langue espagnole. La seconde table ronde avait comme objet de discuter des possibilités et des alternatives de la coopération nationale en terminologie au Venezuela et, accessoirement, d’examiner le champ plus vaste de la coopération internationale, prioritairement avec le monde hispano-américain, puis avec l’ensemble de la communauté terminologique mondiale. L’organisation et le fonctionnement même de ce séminaire constituaient une application avant la lettre de ce vœu.

Le modèle pédagogique qui vient d’être décrit reprend dans ses grandes orientations les principes et les méthodes d’enseignement de la terminologie et de la terminographie mis au point au cours de la dernière décennie un peu partout dans le monde par les organismes et les universités préoccupés par les questions d’aménagement terminologique. Qu’on pense par exemple aux expériences nord-américaines (Canada, Québec), européennes (Danemark, Autriche. France, Belgique), africaines (Tunisie, Maroc) et moyen-orientale (Syrie). Ces principes ont permis de mettre sur pied et de rendre efficaces plusieurs stratégies d’aménagement linguistique et terminologique dans le monde et de structurer un enseignement de qualité. Le succès remporté par les cours et les séminaires d’initiation à la terminologie et de formation des terminologues démontre à l’envi l’emprise de plus en plus certaine et nécessaire de cette discipline dans les pays et les États ayant entrepris des processus de changement linguistique sur leur territoire. Quel que soit le pays, quelle que soit la langue, la terminologie et la terminographie émergent de plus en plus comme le recours et la ressource linguistique essentiels pour affronter l’évolution technologique et scientifique universelle et ultrarapide et pour l’assumer adéquatement. Défendre le droit de dénommer dans sa propre langue pour mieux posséder son identité se pose alors comme un moyen d’obtenir à coup sûr le respect des autres.

4. Conclusion du séminaire et prospective

Il apparaît clairement que cette première tentative poussée d’instaurer la terminologie en tant que discipline autonome en terre d’Amérique du Sud ne doit pas rester isolée et sans suite. Une collaboration multidirectionnelle doit s’établir dès maintenant sur des bases permanentes d’échanges à plusieurs niveaux. À la lumière des expériences antérieures, il appert que les suites à donner à ce premier séminaire national de terminologie revêtent les dimensions suivantes :

  1. Parfaire la formation pédagogique;
  2. Organiser des stages;
  3. Échanger des spécialistes en terminologie;
  4. Développer des mécanismes d’échanges documentaires;
  5. Instituer des cadres de coopération nationale et internationale.

1) La formation pédagogique doit se faire en deux temps. D’abord, il s’agit de former les formateurs, c’est-à-dire ceux qui seront chargés d’assurer à leur tour la généralisation de l’instruction des futurs terminologues au Venezuela. Cette première phase de la formation doit être assumée par les spécialistes de l’extérieur qui possèdent l’expérience de ce genre de démarrage terminologique. Le séminaire de Caracas n’aura été que l’amorce d’un tel processus; s’il n’est pas poursuivi, il risque de s’éteindre. Ultérieurement, les nouveaux formateurs seront appelés à faire bénéficier les étudiants (traducteurs, linguistes) et les spécialistes des milieux socioprofessionnels intéressés par la terminologie, des connaissances théoriques et pratiques acquises au contact des experts internationaux. Les premiers contacts entre le Venezuela et le monde de la terminologie doivent donc s’instaurer à ce niveau.

2) La préparation de stages doit se faire également en deux temps et suivant un axe prioritaire Venezuela/organismes étrangers. Les responsables vénézuéliens devraient être en mesure d’effectuer des séjours de travail en terminologie dans les organismes réputés pour leurs structures d’accueil des stagiaires. Ainsi, des entreprises privées, des universités, des centres de terminologie pourraient être visités afin d’y acquérir des éléments de formation pratique propres à compléter la formation théorique et les lectures documentaires. En second lieu, une fois ces bases établies, les stagiaires en formation retourneraient au Venezuela et assureraient à leur tour des stages pour leur propres recrues. Des mécanismes financiers devraient être prévus pour encourager ce volet de la formation. De nombreux organismes comme l’Unesco, l’Infoterm, le Cirelfa, l’ACCT, intègrent à leurs programmes de telles préoccupations.

3) Les deux premiers aspects concernant la formation et les stages ont un corollaire. En effet, la collaboration des experts étrangers est nécessaire à la réalisation de ce défi de la formation rapide et adéquate de terminologues vénézuéliens. Les spécialistes et les professeurs de terminologie d’expérience doivent contribuer de toutes leurs forces au démarrage terminologique du Venezuela. Il est évident que sans leur présence et sans l’encouragement des gouvernements vénézuélien et étrangers, le développement de la terminologie en Amérique du Sud sera lent et peu probant. La présence active des spécialistes étrangers devra suivre une courbe décroissant au fur et à mesure de l’autonomisation terminologique du Venezuela.

4) Les contacts entre les terminologues du Venezuela et ceux du reste du monde doivent être entretenus et développés par l’échange de documentation et d’informations. La langue espagnole n’ayant presque pas produit de texte d’importance en terminologie et en terminographie, les terminologues doivent donc s’en remettre aux autres langues pour accéder aux écrits théoriques et méthodologiques. Il apparaît donc important que les chercheurs vénézuéliens mettent sur pied un centre de documentation terminologique de premier ordre, tout en prévoyant des mécanismes de production accélérée en langue espagnole. Il en va de même pour la constitution d’un matériel pédagogique.

5) Enfin, les résultats de ce séminaire auront des effets positifs sur le plan de la coopération nationale et internationale qui doit continuer à se développer. Les premières ententes entre les différents partenaires vénézuéliens (universités, Administration publique et entreprises publiques ou parapubliques) étaient déjà perceptibles au moment du séminaire. Il reste à les concrétiser. Sur le plan international, il est souhaitable que les premiers initiés à la terminologie au Venezuela s’intègrent davantage au circuit international en participant aux rencontres futures (colloques, congrès, tables rondes, etc.) et aux travaux menés en collaboration, tels que les recherches sur la normalisation (ISO), les problèmes de la variation linguistique (français, espagnol, anglais, etc.), les fondements théoriques et pratiques de la terminologie et de la terminographie.

Trois conditions essentielles sont à la source du succès de la mise en marché de la terminologie au Venezuela : la volonté du gouvernement vénézuélien; le désir d’aider et de collaborer de la part des gouvernements et des organismes étrangers qui possèdent une profonde expérience de la terminologie et de la terminographie et qui veulent bien l’exporter; enfin, et surtout, la volonté tacite de tous les Vénézuéliens préoccupés par les questions d’aménagement terminologique et linguistique de prendre en main leur propre projet de terminologisation. L’impulsion caracasienne doit avoir des prolongements pour le bénéfice de l’ensemble du monde hispano-américain.

Note

[1] Le texte qui suit constitue à la fois le compte rendu d’un séminaire de terminologie, un état de la question de la terminologie au Venezuela, tout particulièrement à Caracas, et quelques réflexions personnelles sur l’avenir de la terminologie en Amérique du Sud.

Référence bibliographique

BOULANGER, Jean-Claude (1983). « La terminologie au Venezuela », Terminogramme, no 19, juillet, p. 1-3. [article]