L’aménagement des marques d’usage technolectales dans les dictionnaires généraux bilingues

Jean-Claude Boulanger (Université Laval)

1. Situation des vocabulaires spécialisés dans les Dictionnaires Généraux Monolingues (DGM)

En tant qu’unités représentatives d’une sphère d’activité, les terminologies intéressent les lexicographes de dictionnaires monolingues ou bilingues. Les termes éveillent leur intérêt dans la mesure où les signes décrits rejoignent le public général et dans la mesure où les sous-ensembles technolectaux sont considérés comme étant enracinés dans le lexique commun et qu’ils sont largement diffusés parmi les utilisateurs. Contrairement au terminographe qui œuvre en structure close dès l’étape de l’énoncé du projet de description, car il ne retient que les termes d’un domaine et exclusivement ceux-là, le lexicographe généraliste procède à un double choix : d’abord il établit le catalogue des mots; ensuite il sélectionne les vocabulaires thématiques appropriés, puis, à l’intérieur de ceux-ci, il procède à un nouveau tri afin de recruter un certain nombre d’unités pertinentes (v. Boulanger 1994 : 253-256; 1995 : 83).

Les lexicographes doivent absolument importer des unités de langue de spécialité (LSP) dans les dictionnaires de langue et en entreprendre la description au même titre que les mots usuels. Ces lexèmes relèvent de la cohorte des connaissances et des échanges spécialisés qui rejoignent les locuteurs ordinaires. Ils s’inscrivent dans le cycle de la démocratisation des savoirs qui préside à une plus large diffusion sociale des expériences humaines. Ce n’est pas le degré de spécialisation originelle du terme qui autorise à le répertorier dans un dictionnaire général, mais bien l’expression d’un besoin manifesté par les consommateurs de dictionnaires. Ce qui intéresse le destinataire, ce sont les éléments susceptibles de surgir au détour d’une lecture, d’une recherche, d’une interrogation dont le but premier n’est justement pas d’ordre onomasiologique ou conceptuel, mais plutôt d’un profit ponctuel. Le faiseur de dictionnaires doit évaluer l’impact lexical de ces unités. Il n’a pas à soupeser leur nécessité dans un ensemble notionnel organisé, complet ou fragmentaire, qui serait pris en charge par le répertoire de langue. Il sert plutôt d’intermédiaire afin de gérer le rite de passage du savoir d’expert vers le savoir proprement lexical, le dictionnaire usuel se prononçant prioritairement sur des mots dans une série d’énoncés au faciès métalangagier. L’insertion de balises manifeste d’ailleurs bien qu’il y a un transfert de l’axe du savoir sur le monde vers l’axe du savoir sur le linguistique (v. Boulanger et L’Homme 1991 : 38). Par ailleurs, tous les termes d’un même domaine ne sont pas nécessairement accompagnés d’un attribut identificateur, certains étant déjà réputés faire partie du lexique commun.

2. Le réseau des registres de l’usage

Les marques d’usage sont capitales lorsqu’il s’agit de décoder un article de dictionnaire. Elles font partie du réseau d’étiquetage qui est l’un des quatre types de ressources dont dispose le lexicographe pour formaliser la structure articulaire, la microstructure. Les trois autres ressources sont la typographie (variation des fontes et des corps de caractères), les signes de ponctuation et l’appareil diacritique, enfin le protocole de numérotation qui modélise les sens (chiffres romains et/ou arabes) et distingue les homonymes (v. Al 1991 : 2830).

On sait que les indicatifs relèvent de plusieurs catégories bien démarquées : diatopique, diastratique, diastylistique, diachronique, diatechnique, etc. (v. Hausmann 1989). Les marques technolectales ou socioprofessionnelles s’intégrent dans les principes d’architecture de la microstructure; elles servent à standardiser les emplois empruntés aux sphères thématiques. Ces éléments sont méthodologiquement et méthodiquement codifiés et aménagés dans le texte dictionnairique. Ils constituent un important fragment de la métalangue idoine. Les études sur leur comportement dans les dictionnaires généraux monolingues (DGM) sont abondantes (v. Girardin 1987, Kalverkämper 1989, Boulanger et L’Homme 1991, Azorín Fernández 1992, Anglada Arboix 1993, Candel 1994, Glatigny 1995).

2.1. Les indicatifs diatechniques

Les descripteurs des savoirs technico-scientifiques nous retiendront dans le cadre spécifique des dictionnaires généraux bilingues (DGB). Deux aspects de l’aménagement de ces notations dans le corps des articles seront examinés :

Les trois dictionnaires bilingues contemporains réservés aux observations sont représentatifs du genre. Ils appartiennent à trois entreprises d’édition françaises différentes :

Les trois dictionnaires généraux élus sont :

L’exploration qui suit s’inscrit dans la continuité des recherches menées sur l’appareil métalinguistique utilisé en lexicographie générale pour tramer les technolectes. Elle s’insère aussi dans la perspective de la réalisation d’un dictionnaire bilingue canadien destiné à un public nord-américain (v. Boulanger et Cormier 1995). Ce dictionnaire est en chantier depuis 1994.

3. Les dictionnaires bilingues

Les dictionnaires bilingues usuels d’aujourd’hui, comme ceux qui ont été sélectionnés pour cette étude, confrontent deux langues vivantes, ou préférablement un ensemble d’usages reçus comme norme dans chacune des langues en présence (v. Rey 1986). S’ils mettent deux langues en correspondance, ils ne mettent pas forcément deux communautés linguistiques en opposition (v. Hausmann 1994). Le Dictionnaire bilingue canadien entrera dans la catégorie des ouvrages bidirectionnels, car il est destiné aux deux principales communautés linguistiques du Canada, les francophones et les anglophones, dont les langues d’usage sont des variétés de deux des quatre grandes langues européennes exportées sur le continent américain aux XVIe et XVIIe siècles.

4. La quête des indices

Pour effectuer une enquête méthodique sur la métalangue des registres technolectaux, il convient d’entreprendre la recherche d’indices en faisant la tournée des données prédictionnairiques, à savoir les textes de présentation et les catalogues d’abréviations, puis d’interroger les énoncés articulaires eux-mêmes. Les données introductives découlent du protocole programmatique tandis que la pose de balises dans les articles correspond au protocole d’encodage ou d’aménagement métalinguistique.

4.1. Les textes prédictionnairiques

Les préfaces, les présentations, les introductions, etc., sont des textes éditoriaux à saveur programmatique et/ou commerciale dans lesquels les lexicographes ou les éditeurs détaillent la philosophie générale de leurs produits. Dans la suite, nous ne ferons escale que dans la partie française des dictionnaires retenus.

Des trois dictionnaires de l’échantillon, seulement deux identifient le public visé : le DGL dit s’adresser aux étudiants, aux lycéens, aux enseignants (secondaire et université), à ceux qui usent de l’anglais dans leur vie professionnelle ainsi qu’à tous les autres. Le DHO discerne sensiblement les mêmes cibles, à savoir les étudiants de tous les niveaux, les enseignants, le monde des affaires, groupes auxquels il adjoint les traducteurs. Le RCS demeure muet sur le public concerné. À partir de ce qui est dit du corpus utilisé pour élaborer l’ouvrage, on peut cependant reconnaître qu’il est destiné aux mêmes types de locuteurs que ses concurrents. Ce corpus de grande ampleur permet d’offrir au lecteur « une image fidèle de la langue telle qu’elle est pratiquée quotidiennement, lue dans les journaux et les revues, parlée en société, entendue dans la rue » (1994 : XIV).

Les péritextes ne manquent pas d’inscrire les répertoires dans les perspectives des langues de spécialité ou LSP. L’avis au lecteur du DGL stipule qu’un soin tout particulier a été accordé à la sélection des « termes spécifiques à des domaines aujourd’hui essentiels tels que l’informatique et le monde des affaires » (1994 : VII). Dans le DHO, deux allusions claires aux LSP sont repérables. La préface des éditeurs mentionne que le dictionnaire accorde une place importante « au vocabulaire de domaines spécialisés : scientifique, commercial, technologique, médical, ... » (1994 : V). Un peu plus loin, l’introduction précise davantage les intentions. Il y est écrit que « l’ouvrage présente un vaste panorama de la langue contemporaine, et notamment les domaines spécialisés que sont les affaires, la politique, les sports, l’informatique, l’environnement et la protection sociale » (1994 : XVII). La préface du RCS aborde la question par le biais de la néologie. « Les événements politiques, les progrès de la science et de la technique, les nouvelles tendances de la musique et dans les loisirs, les changements dans les habitudes alimentaires entraînent tous la création d’un grand nombre de néologismes » (1994 : XIII). On signale clairement que l’enrichissement de cette nouvelle édition du dictionnaire provient « du monde des affaires, du monde géo-politique [...] sans oublier les derniers-nés de ces domaines en pleine évolution que sont, par exemple, l’écologie, l’informatique, la médecine et la Communauté européenne » (1994 : XIII). L’introduction reformule ces mêmes discours : « Une place non négligeable a été également réservée à la langue littéraire, au vocabulaire scientifique et aux domaines marquants de notre époque, tels que l’économie, l’informatique, l’éducation, l’environnement, la médecine et la politique » (1994 : XIV).

On peut synthétiser les propos introductifs des trois ouvrages de la manière suivante :

Le DGL n’apporte aucune explication sur le fonctionnement des indices technolectaux. Une allusion rapide est faite aux différents niveaux de langue, mais elle ne discrimine pas les catégories de registres possibles. Le DHO contient une section intitulée « Comment se servir du dictionnaire? », mais rien n’y est révélé sur les modalités de fonctionnement des codes de LSP, si ce n’est l’identification de leur position dans les articles échantillons (v. 1994 : L-LI). Le RCS est le plus explicite puisqu’il annonce dans l’introduction qu’une « place importante a [...] été consacrée à l’établissement d’un système très complet d’indications qui guident le lecteur » (1994 : XIV). En ce qui a trait à l’aménagement des marques technolectales, le dictionnaire stipule que les descripteurs thématiques sont utilisés dans deux cas : « 1. Pour indiquer les différents sens d’un mot et introduire les traductions appropriées [...] 2. Quand la langue de départ n’est pas ambiguë, mais que la traduction peut l’être » (1994 : XXVII).

1. barre a. (Hér) bar - (Ftbl, Rugby) crossbar
b. (Danse) barre
c. (Naut) helm
d. (Jur) bar
e. (Géog) race
f. (Math) line
g. (Scol) mark
h. [locutions]
i. (Zool) bar
2. bar3 (Phys) bar
baroque (Archit, Art) baroque

4.2. Les carnets d’abréviations

Les premières répercussions concrètes des discours préliminaires sont observables dans les listes d’abréviations qui font généralement partie des textes prédictionnairiques. (Seuls les descripteurs des savoirs thématiques seront considérés dans la suite de l’analyse.)

Les trois dictionnaires offrent respectivement 82 (RCS), 94 (DGL) et 89 (DHO) indicatifs de domaines (v. Annexe 1). Au total, 133 dénominations différentes sont recensées dans les trois ouvrages (v. le tableau 1). Cela ne signifie pas qu’il y ait 133 domaines singuliers puisque certains des sceaux sont des variantes employées pour désigner les mêmes domaines. Par exemple : l’abréviation Econ rend compte de économie (DGL et DHO) et de économique (RCS), l’abréviation Pharm rend compte de pharmaceutique (DGL) et de pharmacie (RCS et DHO). À l’opposé, une abréviation comme Phon rend compte de phonétique (RCS, DGL, DHO) et de phonologie (DHO), deux domaines indépendants.

Tableau 1 : Répartition statistique des domaines dans les DGB
Domaines RCS DGL DHO
133 82 61,7% 94 70,7% 89 66,9%

Ces constats statistiques sont relatifs aux dénominations listées dans les catalogues. Ils doivent être modulés, car d’autres marqueurs existent dans les dictionnaires, mais sans être répertoriés. On trouve de telles appellations supplémentaires dans le RCS : par exemple, Danse (sous bar), Athlétisme et Cyclisme (sous course). Ces balises ne modifient guère les résultats obtenus ci-dessus. C’est par rapport aux DGM qu’il faudrait mesurer leur volume. Ces doutes sont causés par le fait que les discours didactiques sur le sujet sont pour le moins laconiques, comme l’a démontré le paragraphe 4.1. En réalité, il s’agit là d’une lacune très répandue dans les dictionnaires. Ils demeurent loin du vœu de Josette Rey-Debove pour qui, un « soin particulier doit être apporté à l’explication du statut du dictionnaire (à qui il est destiné et pour quelles opérations) et à la traduction en clair de tous les signes et abréviations métalinguistiques » (1991 : 2864). Un exemple de faille de ce genre est donné dans le corpus. Dans le DGL, la marque spéc (1994 : XIV) apparaît avec l’explication « terme ou sens spécialisé », mais sans qu’aucune autre précision ne soit apportée sur son utilité par rapport au stock des autres marques technolectales ni sur son statut hiérarchique au regard d’une marque plus particularisante (v. les entrées chaton, cil, rythme). Il en va de même dans le RCS, où SPÉC signifie « terme de spécialiste » (v. les entrées littoral, luxation, mâchonnement), et dans le DHO, où spéc est tout simplement décodé « spécialiste » (v. littoral, lunule, majeur). La marque spéc des DGB peut être assimilée à la marque didact. « didactique », usuelle dans les DGM. Le NPR l’explique ainsi : « didactique : mot ou emploi qui n’existe que dans la langue savante (ouvrages pédagogiques, etc.) et non dans la langue parlée ordinaire » (1993 : XXV); le PLI la présente ainsi : « didactique (mot employé le plus fréquemment dans des situations de communication impliquant la transmission d’un savoir) » (1995 : 23).

Tableau 2 : Répartition statistique des domaines dans les DGM

Domaines NPR GRLF PLI
282 219 77,7% 216 76,6% 187 65,2%

Les lettres a et m seront prises comme échantillons afin, d’une part, de comparer entre eux les trois DGB et, d’autre part, de comparer les DGB aux trois DGM.

Tableau 3 : Répartition statistique des domaines témoins dans les DGB

Domaines RCS DGL DHO
a → 18 11 61,1% 14 77,8% 14 77,8%
m → 15 10 66,7% 12 80% 11 73,3%

Par rapport aux statistiques d’ensemble du tableau 1, les pourcentages demeurent relativement constants pour chaque dictionnaire. Les écarts sont peu significatifs. Pour l’ensemble, la moyenne est de 66,4% alors qu’elle est de 72,7% pour les lettres a et m cumulées.

Tableau 4 : Répartition statistique des domaines témoins dans les DGM

Domaines NPR GRLF PLI
a → 34 26 76,5% 24 70,6% 29 85,3%
m → 23 19 82,6% 17 73,9% 16 65,2%

La comparaison globale entre les deux catégories de dictionnaires montre un faible écart si l’on fait la moyenne pour a et pour m. Dans les DGB, a obtient 72,2% et m obtient 73,3%; dans les DGM, a obtient 77,5% et m obtient 73,9%.

Si l’on examine maintenant les domaines communs aux trois DGB, on obtient le tableau suivant (v. aussi l’Annexe 2).

Tableau 5 : Domaines communs aux trois DGB

Domaines
a m
  • administration
  • agriculture
  • anatomie
  • antiquité
  • archéologie
  • architecture
  • astrologie
  • astronomie
  • automobile
  • mathématique(s)
  • médecine
  • médecine vétérinaire
  • météorologie
  • minéralogie
  • musique
  • mythologie
9 50% 7 46,7%

Au total, il y a 48 domaines communs sur 133, soit 36,1%. Le léger écart constaté dans l’échantillon est sans doute dû à la présence de sphères d’activité que l’on peut cataloguer de classiques et dont plusieurs revêtent un caractère scientifique.

Tableau 6 : Domaines communs à deux DGB

Domaines
a m
  • anthropologie [DGL et DHO]
  • astronautique [DGL et DHO]
  • aviation [RCS et DHO]
  • mécanique [DGL et DHO]
  • métallurgie [RCS et DGL]
  • militaire [RCS et DGL]
  • mines [RCS et DGL]
3 16,7% 4 26,7%

On dénombre 3 domaines pour la lettre a et 4 pour la lettre m qui sont communs à deux dictionnaires (les combinaisons sont indiquées entre crochets).

Tableau 7 : Domaines propres à un seul DGB

Domaines
a m
  • acoustique [DGL]
  • aéronautique [DGL]
  • armée [DHO]
  • armement [DGL]
  • arpentage [RCS]
  • assurance [DHO]
  • marine [DHO]
  • menuiserie [DGL]
  • métrologie [DHO]
  • mode [DHO]
6 33,3% 4 26,7%

Dans cette séquence de domaines réservés, on remarque un éparpillement, une sorte d’éclatement. Les activités sont en effet distribuées dans plusieurs zones du spectre des LSP, certains secteurs se situant même dans la périphérie de la langue générale : techniques, sciences, monde militaire, vie courante...

Quant aux domaines qui appartiennent en propre aux dictionnaires bilingues lorsqu’on les compare avec les dictionnaires monolingues, la répartition est la suivante (v. Annexe 2) :

Il importe de noter que dans les DGM, les étiquettes d’identification peuvent différer; par exemple, militaire s’emploie au lieu de armée. Dans ce cas, il vaudrait donc mieux parler d’appellation de domaine que de domaine.

5. L’article

Dans l’article, le point d’ancrage des balises est standard. La marque est notée devant les unités proposées comme équivalents. Tantôt elle paraît en minuscules —sauf la première lettre qui est en majuscule— (RCS et DHO), tantôt elle figure en majuscules (DGL). L’abréviation n’est jamais suivie d’un point, contrairement au système des DGM qui utilise le point final.

Quoiqu’il y ait des constantes, les méthodes d’abrègement varient occasionnellement d’un ouvrage à l’autre : agricultureAgr/Agric, mythologieMyth/Mythol (v. Annexe 1). Un seul thème fournit trois abréviations différentes : informatiqueOrdinlOrdinat/Inf (v.

Annexe 1).

À l’image de toutes les autres marques, l’indicatif socioprofessionnel se décode sur le plan strictement linguistique. Il renvoie explicitement à un registre d’emploi et non pas à une hiérarchisation arborescente qui structure des concepts obéissant à un classement onomasiologique, comme cela s’accomplit habituellement dans les dictionnaires terminologiques (v. Boulanger 1994 : 259). À l’instar du dictionnaire monolingue, le répertoire bilingue traite de la langue, donc des mots. C’est dire que les marques identifient des circonstances de discours à caractère professionnel; elles ne servent pas à appréhender l’objet scientifique, technique ou autrement spécialisé que les équivalents servent à dénommer (v. Rey 1990 : XVII). L’étiquette Y sert à commenter le registre d’emploi du mot X. Le mot-équivalence précédé d’un motif technolectal doit être décodé ainsi (exemples présents dans les trois DGB) :

Les marques d’usage, qu’elles soient de niveau prescriptif ou de niveau descriptif, le sont toujours par rapport au fonctionnement d’une langue normale, neutre ou standardisée que le lexicographe a élue comme modèle de description (v. Béjoint 1981 : 81; Girardin 1987 : 92). Elles ont donc un caractère discriminant. « Le discours lexicographique n’est pas neutre, il véhicule un contenu culturel, il émet des jugements de condamnation ou de valorisation qui s’expriment par rapport à une norme linguistique et culturelle qui prend pour référence l’univers langagier de la culture dominante » (Girardin 1987 : 76). Comme leurs homologues des autres galaxies, les techno-marques servent à isoler et à signaler tout ce qui est projeté au-delà ou qui se fige en-deça du langage témoin qui est décrit comme la langue et qui gouverne l’usage reçu (v. Rey-Debove 1980 : 40; Boulanger et L’Homme 1991 : 29). Tout mot non marqué est réputé faire partie de l’ensemble normé. Le RCS synthétise bien ce chapitre en expliquant que les « mots et expressions dont le niveau de style n’est pas précisé seront considérés comme neutres et pourront s’utiliser normalement dans les situations courantes » (1994 : XTV). Cette observation ramène à la mémoire que l’information zéro [∅] est le signe que le mot fonctionne normalement, qu’il obéit aux règles construites, qu’il s’insère dans le modèle canonique défini par les lexicographes. Est-il

utile enfin de rappeler que le point d’équilibre de la norme varie d’un

dictionnaire à l’autre, d’une édition à l’autre d’un même dictionnaire. Dans ses dimensions concrètes et descriptives, la norme est ondoyante. Le mot norme lui-même est là pour nous le rappeler, chaque dictionnaire du corpus en établissant le profil suivant au regard du marquage pour le sens linguistique :

5.1. L’aménagement des marques

Le métalangage de description des LSP est presque entièrement construit à l’aide d’abréviations, et pour que le dictionnaire soit décodable par les consulteurs des deux communautés linguistiques auxquelles il est destiné, ces abréviations devraient toujours être données dans les deux langues; mais ce n’est pas le cas. La tendance est de n’user que d’une formule abréviative pour les deux langues. La rencontre d’indicatifs semblables dans les deux langues est le fruit du hasard (code gréco-latin en tête comme dans Adm (français administration, anglais administration) ou Philos (français philosophie, anglais philosophy), emprunt...). Sinon, c’est l’anglais qui domine.

« Pour les langues lexicalement apparentées (langues romanes ou romanisées, par exemple anglais et français) on peut aussi éviter les abréviations en deux langues par une sorte de neutralisation des abréviations » (Rey-Debove 1991 : 2863). Le RCS présente une liste d’abréviations pour laquelle la recherche de mots appareillés avec l’aide de l’abrègement (ex. : ptp : français participe passé/anglais past participle; US : français Etats-Unis/anglais United States) ramène les descripteurs particuliers à chaque langue à une quinzaine sur un total de 181 abréviations (ex. : français Ordin (ordinateur), qch (quelque chose)/anglais Comput (computing), sth (something)). Les accents, les accords, l’ordre syntaxique des mots (noms et adjectifs par exemple) ne sont pas pris en compte (ex. : français préf (préfixe), vt (verbe transitif)/anglais pref (prefix), vt (transitive verb)). Pour les seuls besoins techniques, les étiquettes différentes se ramènent à 2/82 (français Chim, Ordin/anglais Chem, Comput). Selon Josette Rey-Debove, « il n’est pas gênant pour un francophone de trouver l’abréviation Rail (railways) pour chemin de fer, ni pour l’anglophone l’abréviation Constr (construction) pour building-trade. L’abréviation Culin est commode pour cookery et cuisine (culinary, culinaire) » (1991 : 2863). Voir aussi d’autres exemples : DHO : Chem = chemistry et chimie, Comput = computing et informatique, Cout = sewing et couture; DGL : Culin = cooking et cuisine, St.Ex = stock exchange et bourse, Hunt = hunting et chasse; RCS : Educ/Éduc = education et enseignement, Scol = school et école, Surg = surgery et chirurgie, Surv = surveying et arpentage. (V. Annexe 1.)

6. Clôture

Les comparaisons démontrent bien que le nombre de marques est deux fois plus élevé dans un DGM que dans un DGB. Pourtant le volume d’information offert est sensiblement identique même si les contenus des rubriques diffèrent, surtout en ce qui a trait aux énoncés sémantiques. En effet, le dictionnaire bilingue n’analyse pas le matériel lexical comme le font les ouvrages monolingues. Ces derniers usent de définitions complètes, de citations, d’exemples, etc. La définition du DGM prend, le plus souvent, la configuration d’une équivalence synonymique phrastique qui confirme l’isomorphisme des deux segments de l’équation que sont la langue expliquée (le défini) et la langue expliquante (la définition). Le DGB appréhende autrement les aspects sémantiques. « Il ne donne que des équivalences lexicales non analytiques (mot, syntagme codé, locution) par un transcodage d’unité d’une langue à unité de l’autre » (Rey-Debove 1991 : 2860). Lorsqu’il n’existe pas d’équivalent codé de l’entrée dans la langue d’arrivée, le lexicographe utilise alors une brève glose définitionnelle qui devient une sorte d’équivalent. Cette recherche d’équipollence lexématique pourrait expliquer la relative rareté des marques d’usage technolectale dans les dictionnaires bilingues puisqu’on serait en droit de supposer que le locuteur devra s’en remettre à la consultation d’un DGM pour obtenir un surcroît d’information sur le signe, y compris sur les indices de son arrimage à un emploi de LSP. Car il est un fait bien attesté que la métalangue technolectale est similaire dans les DGM et les DGB. L’objet de cette contribution a été d’en mesurer les nuances et les ondulations, reliées tantôt aux ressemblances, tantôt aux écarts. Les mécanismes d’encodage d’une phrase nécessite des indications dictionnairiques claires afin de désambiguïser le contenu au moment de la rédaction d’un texte ou de l’énoncé discursif. Les restrictions sur les domaines d’emploi dans lesquels les mots se manifestent sont justement l’une de ces catégories d’informations métalinguistiques qui doivent être aménagées pour obéir à cette exigence. Dans les DGB, aussi bien que dans les DGM, ces protocoles sont généralement efficaces, et cela malgré l’absence de cohérence ici et là dans les ouvrages, et en dépit des lacunes didactiques de quelques textes prédictionnairiques.

7. Bibliographie

7.1. Linguistique

7.2. Dictionnaires

Annexe 1

Les domaines et les abréviations dans les DGB
Domaines RC DG DH Abréviations
S1 L2 O3
acoustique + ACOUST2
administration + + + Admin1,3; ADMIN2
aéronautique + AÉRON2
agriculture + + + Agr1; AGR2; Agric3
anatomie + + + Anat1,3; ANAT2
anthropologie + + ANTHR2; Anthrop3
antiquité + + + Antiq1,3; ANTIQ2
archéologie + + + Archéol1,3; ARCHÉOL2
architecture + + + Archit1,3; ARCHIT2
armée + Mil3
armement + ARM2
arpentage + Surv1
assurance + Assur3
astrologie + + + Astrol1,3; ASTROL2
astronautique + + Astronaut3; ASTRONAUT2
astronomie + + + Astron1,3; ASTRON2
automobile + + + Aut1,3; AUT2
aviation + + Aviat1,3;
bâtiment + Constr3
biologie + + + Bio1; BIOL2; Biol3
botanique + + + Bot1,3; BOT2
bourse + + St Ex1; ST.EX2
chasse + + HUNT2; Hunt3
chemin de fer + Rail1
chimie + + + Chim1; CHIM2; Chem3
chirurgie + Surg1
cinéma + + + Ciné1; CIN2; Cin3
commerce + + + Comm1,3; COMM2
comptabilité + + COMPTA2; Compta3
construction + + + Constr1,3; CONSTR2
cosmétique + Cosmét3
courses automobiles + Courses aut3
couture + + COUT2; Cout3
cuisine + + Culin1; CULIN2
culinaire + Culin3
dentisterie + + DENT2; Dent3
droit + + Jur1,3
école + + Scol1,3
écologie + + + Ecol1 (sic); ÉCOL2; Écol3
économie + + ÉCON2; Écon3
économique + Écon1
édition + Édition3
électricité + + Élec1; ÉLECTR2
électronique + + + Élec1; ÉLECTRON2; Électron3
électrotechnique + Électrotech3
enseignement + + Éduc1; ENS2
entomologie + ENTOM2
entreprise + Entr3
équitation + + ÉQUIT2; Équit3
ethnologie + ETHN2
finance + + + Fin1,3; FIN2
fiscalité + Fisc3
football + + Ftbl1; FTBL2
génie civil + Gén Civ3
géographie + + + Géog1,3; GÉOG2
géologie + + + Géol1,3; GÉOL2
géométrie + + Géom1; GÉOM2
grammaire + + Gram1; GRAMM2
gymnastique + Gym1
héraldique + + + Hér1; HÉRALD2; Hérald3
histoire + + + Hist1,3; HIST2
horticulture + + HORT2; Hort3
imprimerie + + IMPR2; Imprim3
industrie + + + Ind1,3; INDUST2
informatique + + + Ordin1; INF2; Ordinat3
joaillerie + JOAJLL2
juridique + + Jur1; JUR2
langues + LING2
linguistique + + + Ling1,3; LING2
littérature + + + LITTÉRAT2; Littérat3
marine + Mil Naut3
mathématique(s) + + + Math1,3; MATH2
mécanique + + MÉCAN2; Mécan3
médecine + + + Méd1,3; MÉD2
médecine vétérinaire + + + Vétu; VÉTÉR2
menuiserie + MENUIS2
métallurgie + + Métal1; MÉTALL2
météorologie + + + Mét1; MÉTÉO2; Météo3
métrologie + Mes3
militaire + + Mil1; MIL2
minéralogie + + + Minér1,3; MINÉR2
mines + + Min1; MIN2
mode + Fashn3
musique + + + Mus1,3; MUS2
mythologie + + + Myth1; MYTH2; Mythol3
nautique + + Naut1; NAUT2
nautisme + Naut3
œnologie + OENOL2
optique + + OPT1; OPT2
ornithologie + + Orn1; ORNITH2
parlement + Parl1
pêche + Fishg3
pétrole (industrie du) + PÉTR2
pharmaceutique + PHARM2
pharmacie + + Pharm1,3
philatélie + Philat1
philosophie + + + Philos1,3; PHILOS2
phonétique + + + Phon1,3; PHON2
phonologie + Phon3
photographie + + + Phot1,3; PHOT2
physique + + + Phys1,3; PHYS2
physique nucléaire + + + Nucl Phys1; NUCL2; Nucl3
physiologie + + + Physiol1,3; PHYSIOL2
poésie + POET2
politique + + + Pol1,3; POL2
postes + Post3
presse + Journ3
protection sociale + Soc Admin3
psychiatrie + Psych1
psychologie + + + Psych1,3; PSYCH2
publicité + Pub3
radio + + Rad1; RAD2
religion + + + Rel1; RELIG2; Relig3
scolaire + SCH2
science(s) + + + Sci1,3; SC2
sculpture + Sculp1
ski + Ski1
sociologie + + + Sociol1,3; SOCIOL2
statistique + Stat3
technique + + Tech1; TECH2
technologie + Tech3
télécommunications + + + Télec1 (sic); TÉLÉC2; Télécom3
télévision + + + TV1,2,,3
terme de spécialiste + SPÉC1
textile(s) (industrie) + + + Tex1,3; TEXT2
théâtre + + + Théât1,3; THÉÂT2
transport(s) + + TRANSP2; Transp3
travaux publics + TRAV PUBL2
typographie + + Typ1; TYPO2
université + + Univ1,3
vêtements + VÊT2
viniculture + VINIC2
zoologie + + + Zool1,3; ZOOL2
133 82 94 89
100% 61,7 % 70,7 % 66,9 %

REM. : Les exposants notés dans la case des abréviations identifient les dictionnaires :

Annexe 2

Les domaines dans les DGB : A et M
Domaines
a m
ADMINISTRATION marine
acoustique MATHÉMATIQUE(S)
aéronautique mécanique
AGRICULTURE MEDECINE
ANATOMIE MEDECINE VETERINAIRE
anthropologie menuiserie
ANTIQUITE METEOROLOGIE
ARCHEOLOGIE métrologie
ARCHITECTURE métallurgie
armée [*] militaire
armement MINERALOGIE
arpentage [*] mines
assurance [*] mode
ASTROLOGIE MUSIQUE
astronautique MYTHOLOGIE
ASTRONOMIE
AUTOMOBILE
aviation
Légende :

Annexe 3

Les domaines et les abréviations dans les DGB : A et M
Domaines RC DG DH Abréviations
S1 L2 O3
acoustique + ACOUST2
administration + + + Admin1,3; ADMIN2
aéronautique + AÉRON2
agriculture + + + Agr1; AGR2; Agric3
anatomie + + + Anat1,3; ANAT2
anthropologie + + ANTHR2; Anthrop3
antiquité + + + Antiq1,3; ANTIQ2
archéologie + + + Archéol1,3; ARCHÉOL2
architecture + + + Archit1,3; ARCHIT2
armée + Mil3
armememt + ARM2
arpentage + Surv1
assurance + Assur3
astrologie + + + Astral1,3; ASTROL2
astronautique + + Astronaut3; ASTRONAUT2
astronomie + + + Astron1,3; ASTRON2
automobile + + + Aut1,3; AUT2
aviation + + Aviat1,3;
marine + Mil Naut3
mathématique(s) + + + Math1,3; MATH2
mécanique + + MÉCAN2; Mécan3
médecine + + + Méd1,3; MÉD2
médecine vétérinaire + + + Vét1,3; VÉTÉR2
menuiserie + MENUIS2
métallurgie + + Métal1; MÉTALL2
météorologie + + + Mét1; MÉTÉO2; Météo3
métrologie + Mes3
militaire + + Mil1; MIL2
minéralogie + + + Minér1,3; MINÉR2
mines + + Min1; MIN2
mode + Fashn3
musique + + + Mus1,3; MUS2
mythologie + + + Myth1; MYTH2; Mythol3
33 21 26 25
100% 63,6% 78,8% 75,8%
Les domaines dans les DGB : A et M
Domaines
a m
ADMINISTRATION marine
acoustique MATHÉMATIQUE(S)
aéronautique mécanique
AGRICULTURE MÉDECINE
ANATOMIE MÉDECINE VÉTÉRINAIRE
anthropologie menuiserie
ANTIQUITÉ MÉTÉOROLOGIE
ARCHÉOLOGIE métrologie
ARCHITECTURE métallurgie
armée [*] militaire
armement MINÉRALOGIE
arpentage [*] mines
assurance [*] mode
ASTROLOGIE MUSIQUE
astronautique MYTHOLOGIE
ASTRONOMIE
AUTOMOBILE
aviation

Légende

  1. DOMAINES COMMUNS AUX TROIS DICTIONNAIRES.
  2. Domaines communs à deux dictionnaires.
  3. Domaines propres à un dictionnaire.
  4. [*] : Domaines propres aux DGB (par rapport aux DGM).

Légende

  1. DOMAINES COMMUNS AUX TROIS DICTIONNAIRES.
  2. Domaines communs à deux dictionnaires.
  3. Domaines propres à un dictionnaire.
  4. [*] : Domaines propres aux DGB (par rapport aux DGM)
Code de lecture du registre d’emploi
Le mot X caractérise un discours relevant du technolecte Y.
Le mot arbitrage caractérise un discours relevant du sport
Le mot glacier caractérise un discours relevant de la géologie.
Le mot têtard caractérise un discours relevant de la zoologie.
Tableau 1 : Répartition statistique des domaines dans les DGB
Domaines RCS DGL DHO
133 82 61,7% 94 70,7% 89 66,9%
Tableau 2 : Répartition statistique des domaines dans les DGM
Domaines NPR GRLF PLI
282 219 77,7% 216 76,6% 187 65,2%
Tableau 3 : Répartition statistique des domaines témoins dans les DGB
Domaines RCS DGL DHO
a → 18 11 61,1% 14 77,8% 14 77,8%
m → 15 10 66,7% 12 80% 11 73,3%
Tableau 4 : Répartition statistique des domaines témoins dans les DGM
Domaines NPR GRLF PLI
a → 34 26 76,5% 24 70,6% 29 85,3%
m → 23 19 82,6% 17 73,9% 16 65,2%

Note

[1] Je remercie vivement ma collègue Monique Cormier qui s’est chargée de l’établissement de la liste des domaines pour les trois dictionnaires de langue cités dans cette section.

Référence bibliographique

BOULANGER, Jean-Claude (2001). « L’aménagement des marques d’usage technolectales dans les dictionnaires généraux bilingues », dans Les dictionnaires de langue française. Dictionnaire d’apprentissage, dictionnaires spécialisés de la langue, dictionnaires de spécialité, Paris, Honoré Champion éditeur, coll. « Bibliothèque de l’Institut de linguistique française. Études de lexicologie, lexicographie et dictionnairique », no 4, p. 247-271. [article]