Présentation de Josette Rey-Debove par Jean-Claude Boulanger
Jean-Claude Boulanger (Université Laval)
C’est un honneur, un très grand honneur pour nous d’accueillir Mme Josette Rey-Debove à l’Université Laval.
Mme Debove est connue comme linguiste spécialiste des problèmes de lexique et de morphologie et comme auteure de dictionnaires, c’est-à-dire comme lexicographe. Peut-être aurais-je dû dire qu’elle est autrice de dictionnaires! En effet, dans le Petit Robert 2002, on trouve à la fin de l’article auteur la remarque suivante : « La forme féminine est autrice (lat. auctrix) [...]. » Suit une magnifique citation de Remy de Gourmont, que voici : « Nous avons fait actrice, cantatrice, bienfaitrice, et nous reculons devant autrice [...]. Autant avouer que nous ne savons pas nous servir de notre langue. »
Voilà donc lancé le thème de la présentation de Josette Rey-Debove.
Quelques mots maintenant sur cette double carrière de linguiste et de lexicographe, en précisant bien que linguistique et lexicographie ont été menées en symbiose.
Josette Rey-Debove obtient un doctorat de 3e cycle en 1968 et un doctorat d’État en 1976. Sa thèse de 3e cycle portait sur les dictionnaires français contemporains tandis que sa thèse d’État, soutenue à l’Université de Paris-Vincennes, traitait du métalangage, c’est-à-dire du discours sur le langage.
Au cours de sa carrière, Mme Debove a publié plusieurs livres et plus d’une centaine d’articles de recherche en linguistique et en sémiotique. Elle a aussi présenté un grand nombre de communications dans des colloques et des congrès, textes qui furent, le plus souvent, publiés dans les actes de ces rencontres. Elle a aussi fait de nombreuses conférences, présenté des exposés et animé des séminaires partout en Europe, et souvent en Amérique.
Ses thèmes linguistiques de prédilection sont la sémantique, notamment la définition lexicographique, l’emprunt lexical, en particulier les anglicismes, et la morphologie lexicale. En fait, elle explore en profondeur cet atome de la linguistique qu’est le mot afin d’en saisir les mécanismes de formation, de fractionnement et de fonctionnement.
En 1998, elle a publié un livre synthèse sur ses recherches. Il s’agit de La linguistique du signe : une approche sémiotique du langage.
Ces écrits de nature linguistique se prolongent dans une production lexicographique immense, tant par son ampleur que par sa qualité. En fait, Josette Rey-Debove a participé à presque toutes les aventures dictionnairiques du Robert, les dictionnaires de langue (Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Petit Robert, Micro Robert, Robert méthodique, Petit Robert des enfants, Robert quotidien, etc.), les dictionnaires spéciaux (anglicismes, oral-écrit), les dictionnaires encyclopédiques (Robert des noms propres), etc.
Son livre publié en 1971 et intitulé Étude linguistique et sémiotique des dictionnaires français contemporains marque un tournant dans l’histoire de la science lexicographique. Aujourd’hui encore, cet ouvrage demeure le meilleur traité sur la lexicographie.
Josette Rey-Debove entre au Robert en 1953, il y a donc cinquante ans cette année. Elle célèbre avec nous une partie de ses cinquante ans de lexicographie. Elle travaille au Grand Robert de l’époque, plus justement intitulé Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. Au moment où paraît le sixième et dernier volume de cette œuvre, en 1964, dans les officines robertiennes, on s’affairait déjà à la préparation du Petit Robert, qui sera lancé en 1967. Plus de trente-cinq ans plus tard, le nom de Josette Rey-Debove reste indéfectiblement attaché, avec celui d’Alain Rey, au meilleur produit lexicographique en un volume jamais mis en marché. Ce dictionnaire phare porte une signature prestigieuse, celle d’une femme lexicographe qui a fait sa marque et qui figure parmi les grands savants du dictionnaire et parmi les hautes personnalités lexicographiques de tous les temps.
Josette Rey-Debove est également la conceptrice de plusieurs autres dictionnaires Robert qui ont fait leur chemin pour s’installer durablement dans la bibliothèque de locuteurs du français ou, même, d’autres langues. Je mentionne trois étoiles de cette constellation dictionnairique : le Robert méthodique —au début des années 1980, ouvrage presque entièrement réalisé par une équipe de femmes—, le Petit Robert des jeunes/des enfants (1988) qui nous a amenés dans la ville de Motbourg —ce dictionnaire est un petit roman lexicographique— et le Robert du français langue étrangère, paru en 1998.
Quelques autres sujets intéressent également notre invitée dans des perspectives sociales. J’en mentionne deux :
- les rectifications de l’orthographe, notamment par rapport à la société en général et en particulier, par rapport à l’école;
- la féminisation du langage, question pour laquelle Josette Rey-Debove a mené quelques combats épiques. Elle a notamment polémiqué contre l’Académie française et défendu ardemment les capacités de la langue française à s’adapter aux nouveaux paradigmes sociaux.
J’ai l’honneur de connaître Josette Rey-Debove depuis plus de vingt-cinq ans, et je me suis beaucoup, et constamment, instruit à son contact. Elle est une véritable source d’inspiration pour tous ceux et toutes celles que la lexicographie intéresse. C’est une grande satisfaction d’avoir parmi nous cette grande dame de la lexicographie.
Référence bibliographique
BOULANGER, Jean-Claude (2004). « Présentation de Josette Rey-Debove par Jean-Claude Boulanger », Revue d’aménagement linguistique, no 107, hiver, p. 235-236. [article]