À propos de la néobienséance dans les dictionnaires scolaires : les prénoms dans les exemples
Monique C. Cormier (Université de Montréal)
Catherine Ouimet (Université de Montréal)
Jean-Claude Boulanger (Université Laval)
1. Le dictionnaire, la geste sociale et l’école
L’identité culturelle est conditionnée, façonnée par la capacité d’adaptation et par la capacité d’expansion ainsi que par des résistances et des mouvements contradictoires devant ce qui risque de la déstructurer, de la déstabiliser, de la démolir ou de l’anéantir. Perçue sous l’angle d’une sémiotique, la culture convoque un système modelant sur lequel se fondent les individus pour définir leur vision du monde et ses divers fragments en vue de se positionner dans un espace, un territoire maîtrisé. Une identité culturelle et nationalitaire se fabrique autour d’une mémoire collective, et le dictionnaire est l’un de ces hauts lieux qui participe de la mémoire d’un peuple, même si c’est à travers la langue qu’elle se bâtit. Mais cette mémoire est aussi ce qu’on en fait.
De là le rôle primordial et la valeur exemplaire de la langue à l’école et dans la société afin de pouvoir la situer dans l’histoire, seul chemin pour meubler la mémoire sociale, qui est elle-même l’un des fondements édificateurs de l’identité d’un peuple. Les dictionnaires pour les enfants ou les dictionnaires d’apprentissage —sur la distinction entre les deux types de recueils, v. Lehmann 1991 : 110-111— font partie de cette geste sociale qu’il faut écrire pour forger une mémoire et transmettre à travers elle les valeurs communautaires, une conception particulière du monde et un modèle idéologique idoine. Ils portent chacun leur historicité en ce sens que comme tous les dictionnaires, ils sont traversés par l’Histoire et qu’ils contiennent cette histoire sociale en train de se faire, y compris les nouveaux évènements reliés à la nouvelle morale sociale. Il est donc impératif que le dictionnaire fasse partie de l’équipement de base de l’écolier qui se lance à la conquête de sa langue maternelle.
2. Le dictionnaire et la (néo)bienscance
En ces temps où dominent de nouveaux paradigmes sociaux, les dictionnaires tentent de concilier une multitude d’exigences réparties sur plusieurs niveaux : modernité et histoire, logique variationniste et norme de référence unique —qui met à mal la francophonie et le français international—, équité entre les sexes, ouverture sur le monde et empire interne, éradication des inégalités sociales, des stéréotypes, etc. Aussi, certaines vérités véhiculées par de nouvelles coordonnées sociales instaurées dans certains pays de l’hémisphère nord doivent-elles être maquillées sur le plan lexical et transformées en mots présentant toujours leur plus beau profil. De plus en plus, certaines zones de vocabulaire doivent être passées au crible d’un ensemble de critères de sélection et d’approbation qui reposent sur un ordre moral qui impose sa loi. Sur la base de ces facteurs dans lesquels le bien domine toujours le mal ou le réprouvé, des pans entiers du lexique sont escamotés des dictionnaires pour la jeunesse. Il en va ainsi des lexiques scatologiques, sexuels, offensants (jurons, blasphèmes, sacres...), etc. Ces registres de langue sont donnés comme peu conformes à la morale enfantine ou à celle que les éditeurs ou les lexicographes réprouvent (v. Boulanger 1994 : 275). En fait, ce contrôle n’est que la poursuite de manières de faire de la lexicographie d’apprentissage telle qu’on le constate depuis une trentaine d’années. Sauf que des interventions externes se produisent de plus en plus souvent afin d’exercer ce contrôle dont les normes ont leur source en dehors du champ de la linguistique.
La barrière morale éditoriale s’interprète également autrement et à la lumière du phénomène foudroyant dénommé le politiquement correct ou la rectitude politique. Cette nouvelle règle de vie sociale a des prolongements immenses dans la langue, et la lexicographie est appelée à y faire face pour tenter de la gouverner. Les protocoles de rédaction des dictionnaires sont soumis à un examen sévère de la part de groupes sociaux érigés en juges qui exigent d’être parties prenantes dans les contenus. De sorte que des informations linguistiques pertinentes risquent de se voir éjectées des colonnes des dictionnaires sous la poussée de pressions externes caractérisant la correction politique. Le dictionnaire devient l’un des lieux obligés du rétablissement d’une caution bienséante et présente certains phénomènes sociaux sous un jour embelli, ou plutôt travesti. Sur la base de critères peu adaptés à l’objet dictionnairique, les lexicographes sont ou seront contraints, d’une part, d’exclure des éléments qui ont leur place dans les articles et, d’autre part, d’inclure des éléments qui ne sont pas normalement requis. C’est ainsi que la théorie et le faire du dictionnaire sont étroitement rattachés à ce que la dynamique de sa propre histoire le contraint d’inclure ou d’exclure (v. Meschonnic 1991 : 15).
Mais qu’est-ce donc que la rectitude politique, que pour notre part nous préférons dénommer la néobienséance? Elle peut être définie comme étant une stratégie de restrictions, d’inhibitions et de censure fondée sur un idéal d’équité sociale et exercée par un microgroupe afin d’influencer la pensée de toute la collectivité par le biais du langage et, dans son prolongement, du dictionnaire. Plusieurs voient ce phénomène comme un nouveau péril social qui est relatif aux effets délétères de toutes sortes de revendications et d’exigences liées à l’identité et à la reconnaissance qui mobilisent des microgroupes et dont l’expression la plus visible est celle où la victimisation règne en maîtresse. Les secousses sociales se prolongent naturellement dans le langage et celui-ci prend figure de discours délavés et ravalés par l’intermédiaire de mots qui veulent ne pas dire (ex. : citoyen expérimenté chronologiquement → « vieux », personne à image corporelle alternative → « obèse, gros », sans domicile fixe/S.D.F., itinérant → « clochard, vagabond »). L’essentiel de la parole néopolie n’est pas d’affirmer ce qui est vrai, mais de rendre vrai ce qui est énoncé. Corollairement, le dictionnaire devient ou deviendra porteur de ces néodiscours (v. Boulanger 1996).
C’est dans cette large perspective d’une nouvelle forme de la restauration lexicale d’ordre défensif que nous aborderons les dictionnaires scolaires. Nous ne nous intéresserons pas vraiment au contenu linguistique qu’ils véhiculent, mais bien plutôt aux messages sociaux subliminaux qu’ils portent inscrits en palimpseste de la microstructure. Ainsi, la plupart des héros de l’univers narratif du Petit Robert des enfants [PRE], aujourd’hui le Robert des jeunes [RJ], occupent des fonctions et des emplois à caractère positif dans l’aventure de Motbourg : madame Hespel est ingénieur (ou ingénieure?), Angèle, l’institutrice, répare la voiture, etc. Il faut bien aussi qu’à côté des « bons », il y ait quelques « méchants ». Au Québec, ces personnages sont généralement bien perçus par les enseignants, sauf un : madame Harpie. Dans le lexique commun, le mot harpie signifie « Femme acariâtre, méchante, laide ». D’ailleurs, un seul des quatre dictionnaires pour enfants consultés pour la présente étude consigne le mot harpie dans sa nomenclature. Il s’agit du Larousse maxi débutants qui l’exemplifie et le définit ainsi : « Cette personne est une harpie, elle est très méchante et coléreuse ». Le personnage du PRE/RJ qui porte ce nom possède tous les défauts : madame Harpie est commère, soupçonneuse, avare, malhonnête, etc. (v. Lehmann 1991 : 128). Il est fort douteux qu’elle puisse être acceptée dans ce rôle dans les écoles du Québec. Son patronyme et ses qualités personnelles, qui rassemblent tous les stéréotypes du genre, seraient frappés d’interdit lexicographique au nom de la discrimination sexiste et sociale. Seule son occupation de marchande de bonbons résiste à la critique bienséante.
3. Les dictionnaires scolaires
Aujourd’hui, le marché du dictionnaire scolaire destiné aux enfants de 7/8 à 12 ans est fort important. Selon Pierre Corbin, « le développement de la lexicographie destinée à la jeunesse de langue française est une des caractéristiques de la production contemporaine » (1991 : 19). La plupart des grandes maisons d’édition de dictionnaires offrent une gamme de produits pour les enfants de cette catégorie d’âge (v. Lagane 1990 et Hausmann 1990). Dans le secteur économique, il règne donc en cette matière une très forte concurrence, d’autant que les éditeurs français mettent en circulation des éditions adaptées à différents contextes culturels francophones, notamment les environnements canadien, québécois ou nord-américain, selon l’envergure des visions politico-culturelles ou politico-éditoriales des entreprises (v. Ouimet 1996). C’est ainsi, que chacun à leur manière, Larousse, Hachette, Bordas et Robert diffusent leurs « juniors » en Amérique.
Le protocole rédactionnel de la lexicographie scolaire est bien fixé par rapport à la démarche pour les adultes. L’envergure nomenclaturelle est réduite, le nombre d’entrées se situant dans un créneau de 18 000 à 20 000 unités. Les rubriques historiques (étymologie, datation) et les citations en sont exclues, sauf dans le PRE/RJ qui offre des extraits d’œuvres littéraires pour la jeunesse, de bandes dessinées, de fables, de chansons enfantines, de comptines, de charades, etc. (v. Lehmann 1993b : 205). L’accent est mis sur la définition et l’exemplification, auxquelles s’ajoute presque toujours l’iconostructure. Le cheminement normal procède donc du mot vers la définition, puis son exemplification, pour déboucher enfin sur l’illustration. Il n’entre pas dans notre propos de faire le point, ni le partage sur l’ordre de préséance de l’une sur l’autre des trois démarches mentionnées ci-dessus (v. Lehmann 1991, 1993a et Rey-Debove 1993).
4. La lecture de l’univers référentiel
En plus d’avoir une vocation linguistique, le dictionnaire scolaire est aussi un truchement qui mène à la connaissance du monde et de ses traditions. À la fois vérité sur le monde et sur la langue, il favorise l’accroissement du savoir sur les réalités concrètes et abstraites dénotées par les unités lexicales. Par conséquent, les dictionnaires dessinent une vision du fonctionnement de la vie et du monde qui laissera ses empreintes sur la future conception de l’univers que se créera l’enfant. À travers les mots imprimés sur le papier et les images qui les accompagnent, aux yeux de l’enfant, le dictionnaire réalise une partie de l’expérience du monde. Ainsi pourrait-on penser que le premier dictionnaire scolaire du primaire « doit d’abord proposer une vérité anthropologique et culturelle à la mesure de l’environnement des écoliers, avant que de proposer une vérité linguistique trop prescriptive ou cœrcitive » (Boulanger 1994 : 267).
Dans le cheminement lié à la formation scolaire élémentaire, les questions du genre : « Qu’est-ce que c’est? », « À quoi ça sert? » précèdent de loin les interrogations sur le fonctionnement du système linguistique. Au-delà ou en-deçà de leur vocation bien entendu langagière, les dictionnaires pour la jeunesse poursuivent comme objectif primordial de faire saisir, de faire appréhender l’environnement immédiat puis de mettre l’univers en correspondance avec les mots. Pour les jeunes élèves, l’apprentissage des données sur la langue est davantage d’ordre quantitatif, l’accumulation mémorielle du vocabulaire étant liée aux connaissances extralinguistiques cumulées simultanément. Il y a donc un parallélisme entre l’acquisition des mots et la thésaurisation du savoir sur le monde et sur ce qui le compose. Contrairement aux ouvrages pour les adultes, le but premier du dictionnaire scolaire n’est pas de permettre à l’enfant de travailler sur l’organisation des unités lexicales dans le cadre d’une hiérarchisation normative et sociodiscursive, orale et écrite. Car c’est un fait que, dans un dictionnaire général destiné aux adultes, la matière lexicale s’organise tout entière par rapport à une hiérarchie, aussi bien implicite qu’explicite, qui en fait le lieu le plus affirmé du lexique, et que la norme et le bon usage viennent canaliser sous des angles prescriptifs ou objectifs selon les programmes établis. Alors que l’enfant n’a pas encore acquis le réflexe du non-mot —ce qui n’est pas catalogué n’est pas considéré comme un mot ou de la valeur de l’usage, même s’il peut avoir des soupçons ou une vague idée.
5. L’exemple forgé
L’exemple est l’une des rubriques articulaires qui favorise la perception des conditions d’emploi discursif des entrées. Dans la lecture métalinguistique ordinaire de l’article où il Figure, il est une séquence autonyme (v. Rey-Debove 1993 : 86). Si la définition généralise en fournissant les caractéristiques prototypiques de l’adresse, l’exemple spécifie, car il morcelle. Pour certains chercheurs, l’exemple forgé possède « n’importe quel contenu, mais de préférence un contenu singulier, plus représentatif de l’énonciation ordinaire qui possède une deixis (ego, hic et nunc) » (Rey-Debove 1993 : 86). Généralement, dans la phrase exemple dans laquelle il est convoqué, le mot que l’on souhaite mettre en discours a son emploi usuel, normal, c’est-à-dire référentiel, comme il est souhaitable de le montrer dans le processus pédagogique d’apprentissage du vocabulaire. Mais tout en étant référentiel, l’exemple ne correspond pas à une situation réelle. Il n’apparaît que comme une virtualité. Son statut sémiotique lui permet de simuler un contexte situationnel qui réduit le message aux seuls critères de vérité, conditions qui font que l’énoncé étant libéré de toute incidence contextuelle n’est ni vrai, ni faux (v. Martin 1989 : 600). « L’exemple construit, dépouillant l’énoncé de tout renvoi à une situation réelle, conduit à un artefact qui n’est que le lieu du sens » (Martin 1989 : 600). Mais parce qu’il est perçu par le destinataire comme un discours sur le monde, spécialement chez l’enfant, l’exemple conserve une valeur de vérité qui reste en accord avec les symboliques sémio-culturelles de la société (v. Rey-Debove 1971 : 264).
Le contenu singulier de l’exemple « ne peut restituer à coup sûr le contenu du mot défini » (Rey-Debove 1971 : 300). Cette particularisation est artificielle dans le dictionnaire, car du point de vue du lexicographe, l’exemple généré conserve toujours un cachet métalinguistique. Même s’il puise dans l’expérience, il a été créé artificiellement puisqu’il est le fruit des acquis d’un rédacteur ou de plusieurs pour représenter un discours sur la langue. En dépit de sa portée référentielle et singularisante, l’exemple conserve toujours quelque chose de l’abstraction globalisante de la définition (v. Buzon 1983 : 163). Il ne saurait être confondu avec un énoncé employant les mêmes mots et produit par un locuteur dans une situation réelle de communication. Ainsi, l’exemple Cet hiver, il a beaucoup neigé, tiré de l’article neiger du Dictionnaire CEC jeunesse, est un pur produit de l’imagination des rédacteurs du dictionnaire. Tandis que la phrase « Cet hiver, il a beaucoup neigé. » rend compte d’un événement qui s’est réellement produit au Québec au cours de l’hiver 1997.
5.1. La formule exemplaire de l’exemple
Dans les recueils destinés à des enfants, l’exemple doit être de préférence une phrase simple, mais complète et informative. De fait, seule la phrase « est apte, en tant qu’exemple forgé, à simuler ce qui se dirait dans une situation réelle donnée » (Rey-Debove 1989 : 21). Le discours non syncopé paraît plus naturel et, par-delà les assertions métalinguistiques qui y sont enchâssées, il parle aussi du monde, et mieux que sauraient le faire les exemples syntagmatiques, car ceux-ci sont réduits à leur stricte fonctionnalité sur le plan linguistique. L’exemple informe donc simultanément sur l’univers référentiel et sur le signe.
5.2. La construction du monde et l’exemple
Mieux que la plupart des autres énoncés articulaires, les exemples transportent la charge idéologique de la société et du groupe ciblés par le programme rédactionnel du dictionnaire. Pour certains, ils sont même la principale tête de pont lexicographique des idéologies et des jugements de valeurs (v. Rey 1995 : 113). « C’est ainsi que l’appareil d’exemples d’un dictionnaire manifeste ou trahit des positions pédagogiques, éditoriales —voire commerciales, et en général idéologiques, autant et parfois plus que l’analyse des sens, les choix de nomenclatures, la politique défïnitionnelle » (Rey 1995 : 104). Les choix qu’opère le lexicographe présentent en effet une image complète et souvent complexe des conceptions, des expériences et des croyances des individus qui forment la société. « De façon plus générale, on ne conçoit pas que les exemples, du moins par les présuppositions qu’ils véhiculent, soient en constante contradiction avec la vision du monde que le lexicographe peut supposer chez son public » (Martin 1989 : 605). Au pays de la « dictionnairie », l’exemplification n’est jamais innocente.
6. Le registre civil de l’exemple dans les dictionnaires pour enfants
Lorsqu’il comporte un ou des acteurs humains, l’exemple du dictionnaire pour les élèves est souvent structuré en deux parties : un protagoniste, sujet de la phrase, plus rarement l’objet (complément), et le message. L’exemple forme ainsi une sorte d’équation bipolaire reconnue comme telle et qui forge l’un des éléments du code métalangagier de la microstructure. Le premier pôle sera identifié comme étant l’envoi, le second comme étant le prédicat. Cette dernière portion du schéma binaire reprend le mot témoin, comme l’illustre la série d’exemples tirés de la lettre L du Dictionnaire CEC jeunesse [DCECJ](v. le tableau 1).
Entrées | Exemples |
---|---|
las | Maxime a mal dormi, il se sent las. |
lavabo | Sophie se brosse les dents au-dessus du lavabo. |
ligne | Le pêcheur attache sa ligne au bout d’une canne à pêche. |
1. lire | La pianiste lit les notes de la partition. |
lisière | J’ai cueilli ces champignons à la lisière du bois. |
literie | Quand je fais mon lit à fond, j’aère bien la literie. |
livraison | Elle attend avec impatience la livraison de son piano. |
lourdeur | Il a trop mangé, il a des lourdeurs d’estomac. |
Le tableau montre trois sous-catégories de ce type d’exemples lorsqu’il y a un protagoniste :
- Le sujet est nommé par son prénom → l’envoi a une propriété proprionymique.
- Le sujet est une dénomination générale → l’envoi a une propriété communisante.
- Le sujet est un pronom →l’envoi a une propriété anaphorique de substitution.
Le recours aux prénoms fait partie des protocoles didactiques des dictionnaires pour enfants lorsqu’il s’agit de contextualiser socialement les exemples et de faciliter l’apprentissage de la langue. En intervenant dans la phrase, les prénoms, et accessoirement les patronymes, permettent d’exposer toutes les potentialités référentielles, dépassant alors les modalités de fonctionnement linguistique. L’exemple construit sur la base d’un prénom est personnalisé de sorte que l’enfant y reconnaît un proche (camarade, ami, frère, sœur, cousin, cousine, père, mère, etc.), un membre de sa communauté, le tissu social multiethnique de son milieu de vie, son environnement scolaire, ainsi de suite. Par-dessus tout, il se reconnaît lui-même et il s’identifie au message quand c’est son propre prénom qui est utilisé. Le prénom prend valeur d’autorité, de caution morale, de référence sécurisante en fonction du temps et de l’espace. Dans le PRE/RJ, chaque prénom, chaque nom jouent un rôle déterminé dans l’histoire qui est racontée en filigrane des mots. Cet ancrage énonciatif rend ainsi possible l’interprétation singulière de l’exemple et des proprionymes qui s’y incrustent (v. Lehmann 1991 : 126). Dans les autres dictionnaires pour enfants, les prénoms et les noms servent à animer fictivement les phrases-exemples, mais ils ne sont pas de la fiction narrative comme dans le PRE/RJ.
Dans les dictionnaires qui empruntent cette voie ou l’emprunteront, l’objectif ultime doit être de ne pas laisser le caractère narratif prendre le pas sur les besoins de la description de la langue, danger écarté des autres dictionnaires, puisqu’ils n’ont pas de contexte fictionnel avoué (v. cependant, le DCECJ dans lequel quelques prénoms sont toujours employés dans le même environnement réellement personnalisant).
6.1. L’écho des prénoms dans les exemples
L’étude des prénoms dans les exemples sera effectuée à partir de quatre dictionnaires pour enfants comparables :
- Le Dictionnaire CEC jeunesse (1992) → [DCECJ]
- Le Larousse maxi débutants, édition canadienne (1986) → [LMDÉC]
- Le Robert junior illustré (1993) → [RJI]
- Le Robert junior illustré, édition nord-américaine (1994) → [RJINA]
Dans un dictionnaire comme le DCECJ, la palette des prénoms est très étendue afin de mieux personnaliser les messages portés par les énoncés exemples (v. le tableau 2).
Masculins | Féminins | ||
---|---|---|---|
• Alain | • Jacques | • Agathe | • Isabelle |
• Arnaud | • Laurent | • Agnès | • Judith |
• Bernard | • Luc | • Alice | • Julie |
• Bruno | • Marc | • Anne | • Juliette |
• Cyril | • Mathieu | • Aude | • Laure |
• Daniel | • Maxime | • Axelle | • Linda |
• Denis | • Michel | • Barbara | • Lise |
• Eric | • Paul | • Béatrice | • Marianne |
• François | • Philippe | • Brigitte | • Marion |
• Frédéric | • Rémi | • Caroline | • Martine |
• Guillaume | • Stéphane | • Catherine | • Myriam |
• Hugues | • Thierry | • Céline | • Sabine |
• Christine | • Sandrine | ||
• Corinne | • Sophie | ||
• Dorothée | • Sylvie | ||
• Fanny | • Valérie | ||
• Hélène | • Virginie | ||
Total : 24 | Total : 34 |
Au total, il y a 60 prénoms cités dans la séquence L. Deux ne figurent pas dans le tableau, car ils peuvent être attribués aussi bien à des filles qu’à des garçons : Dominique [→ livrer, loyer] et Claude [→lourdeur]. Ces prénoms ambigus ou « hermaphrodites » peuvent par ailleurs être très utiles au lexicographe qui peut en user dans une phrase en quelque sorte neutralisée du point du vue du décompte des noms féminins et des noms masculins (v. le DCECJ : Tous les mois, Dominique paie le loyer de son appartement). L’utilité est d’autant plus manifeste quand le sens exprimé pourrait paraître discriminant (v. le DCECJ : Claude ne comprend pas vite, quelle lourdeur d’esprit!).
Par ailleurs, d’autres noms apparaissent : deux identifient des personnages de contes (la fée Carabosse [→ légendaire], le petit Poucet [→ lieue]), un autre renvoie à un nom de famille (Gagné [→ lier]), un autre à un personnage historique (Jules César [→ légion]) et un dernier renvoie à un personnage littéraire (Tarzan [→ liane]).
Les prénoms permettent de mettre plus de vie et de couleur locale, la diversité délaissant la récurrence neutralisante des pronoms ou des substituts propriels répétitifs du genre Pierre, Jean, Jacques, Paul ou Marie, que l’on trouve en abondance, entre autres, dans l’édition canadienne du Larousse maxi débutants (v. le tableau 3).
Entrées | Exemples |
---|---|
laisser | Depuis sa maladie, Pierre s’est laissé aller. |
lassant | Pierre raconte toujours les mêmes histoires, c’est lassant à la fin! |
luné | Jean est bien (mal) luné aujourd’hui. |
lyrisme | Jean m’a décrit son voyage avec lyrisme. |
latin | Jacques apprend le latin. |
loucher | Jacques louche. |
lanceur | Paul est lanceur de javelot. |
léser | Paul n’a pas eu la même part d’héritage que les autres : il a été lésé. |
se lamenter | Marie se lamente sur son sort à longueur de journée. |
laquer | Marie se laque les cheveux. |
larme | En nous quittant, Marie avait les larmes aux yeux. |
lentement | Marie mange lentement. |
lucidité | Marie a toute sa lucidité. |
Mais il reste que même si le lexicographe recourt à des noms propres, ceux-ci acquièrent une valeur métalinguistique : ils renvoient anonymement à n’importe quelle personne vivant en n’importe quel lieu et à n’importe quelle époque.
À la limite, il n’y a pas de différence fonctionnelle entre le prénom et le pronom (il/elle). Et un prénom vaut parfois l’autre comme l’illustrent les exemples suivants tirés de l’article lacer.
- DCECJ → Sandrine lace ses chaussures.
- LMDÉC → Line, veux-tu lacer tes chaussures!
- RJI → Flora a lacé ses chaussures.
- RJINA → Ève a lacé ses chaussures.
On peut sans conteste rapprocher le procédé de la proforme des définitions relationnelles (v. Dubois et Dubois 1971 : 42-43).
Manifestement, ces prénoms sont des stéréotypes de la métalangue articulaire. Quoique étant de nature proprionymique, c’est-à-dire personnalisant, ils possèdent néanmoins un caractère généralisant et archétypal. Ils servent de passe-partout. La lettre L du LMDÉC cumule 3 occurrences de Pierre, 4 de Jean, 2 de Jacques, 4 de Paul et 7 de Marie. Mais aux yeux des jeunes consultés pour savoir ce qu’ils pensaient de ces choix, ils répondent que ces prénoms sont associés à des « vieux » —père, mère, oncle, tante, amis des parents, quand ce n’est pas la génération des grands-parents qui leur vient en mémoire—, que ce n’est pas comme cela que s’appellent leurs amis. Le tableau 4 fournit le répertoire de tous les prénoms recensés pour la lettre L.
Masculins | Féminins | ||
---|---|---|---|
• Jacques | • Patrick | • Aïcha | • Lori |
• Jean | • Paul | • Anne | • Lysa |
• Marc | • Pierre | • Brenda | • Maïté |
• Mehdi | • Sékou | • Chantal | • Maria |
• Pascal | • Yves | • Jeanne | • Marie |
• Judy | • Sandra | ||
• Line | • Sarah | ||
• Lise | • Sylvie | ||
Total : 10 | Total : 16 |
Au total, il y a 27 prénoms cités dans la séquence L du LMDÉC. Un ne figure pas dans le tableau, car il peut être attribué aussi bien à des filles qu’à des garçons : Dominique [→ se leurrer].
Par ailleurs, d’autres noms apparaissent : quatre renvoient à un nom de famille (DaSilva [→ laveur, lier], Dubois [→ légion], Dupont [→liste], Durand [→ lopin]), un autre à une lignée familiale (Bourbons [→ligne]), deux autres à des personnages littéraires (Tarzan [→ liane], Ulysse [→ légendaire]).
Quelques entrées semblent s’écarter de la lettre L, mais cela est dû au regroupement morphologique du LMDÉC qui tient compte des mots préfixés.
La distribution des prénoms dans la version française [RJI] et dans la version nord-américaine [RJINA] du Robert junior illustré est nettement contrastée par rapport aux deux témoins précédents.
Masculins | Féminins |
---|---|
• Alex | • Anne |
• Luc | • Flora |
• Yves | • Julie |
Total : 3 | Total : 3 |
Au total, il y a 6 prénoms cités dans la séquence L. Par ailleurs, d’autres noms apparaissent : deux identifient des personnages d’un conte (le Petit Poucet et l’Ogre [→ lieue]), cinq renvoient à des personnages historiques (Jules César [→ légion], Christ [→ linceul], Molière [→ littérature], Newton [→ loi] et Albert Schweitzer [→ lépreux]) et un dernier cite un personnage littéraire (Sherlock Holmes [→ limier]).
Masculins | Féminins |
---|---|
• Alex | • Anne |
• Luc | • Ève |
• Yves | • Sarah |
Total : 3 | Total : 3 |
Au total, il y a 6 prénoms cités dans la séquence L. Par ailleurs, d’autres noms apparaissent : deux identifient des personnages d’un conte (le Petit Poucet et l’Ogre [→ lieue]), six renvoient à des personnages historiques (Jules César [→ légion], Christ [→ linceul], Molière [→ littérature], Newton [→ loi], le cardinal Léger [→ lépreux] et Vierge [→ lampion]) et un dernier cite un personnage littéraire (Sherlock Holmes [→ limier]).
On remarquera qu’en passant de la France au Québec, Flora et Julie sont respectivement devenues Ève et Sarah : la substitution des prénoms s’est faite dans les mêmes articles (v. annexes 3 et 4).
6.2. Là où les prénoms se métamorphosent en statistiques
Dans le DCECJ, sur 58 prénoms différents, 24 (41,38 %) sont masculins et 34 (58,62 %) sont féminins. Dans le LMDÉC, les chiffres se répartissent ainsi : sur 26 prénoms, 10 (38,46%) sont masculins et 16 (61,54%) sont féminins. Dans les deux RJI, la distribution montre un équilibre parfait : sur 6 prénoms dans chaque dictionnaire, 3 (50 %) sont masculins et 3 (50 %) sont féminins.
On retiendra de ce portrait statistique (v. le tableau 7) que les deux premiers dictionnaires privilégient une multiplication des prénoms et que les deux Robert préfèrent limiter la sélection. On peut aussi déduire que le DCECJ est plus ouvert sur les exemples personnalisants que sur les exemples anaphorisants ou communisants. Par ailleurs, les chiffres du DCECJ et du LMDÉC se ressemblent, les garçons occupant (environ) 40 % de la place et les filles (environ) 60 %, ce qui respecte les attentes du ministère de l’Éducation du Québec quant aux critères d’agrément des manuels scolaires.
Dictionnaires | Nombre | Garçons | Filles | ||
---|---|---|---|---|---|
DCECJ | 58 | 24 | 41,38% | 34 | 58,62 % |
LMDÉC | 26 | 10 | 38,46 % | 16 | 61,54% |
RJI | 6 | 3 | 50,00 % | 3 | 50,00 % |
RJINA | 6 | 3 | 50,00% | 3 | 50,00% |
Total | 96 | 40 | 41,67% | 56 | 58,33 % |
Si l’on pousse les comparaisons statistiques du côté des attestations articulaires (v. le tableau 8), les résultats paraissent encore plus éloquents. En effet, certains prénoms sont employés plus d’une fois dans la séquence témoin d’un même dictionnaire. La palme revient à Anne qui atteint 23 occurrences dans le RJ1NA. Pour un prénom de garçon, le total d’occurrences le plus élevé est de 11 apparitions. Le phénomène se produit deux fois pour Yves dans les deux RJI. Fait à signaler, parmi les 11 attestations, 10 sont relatives aux mêmes entrées (v. les annexes 3 et 4).
Dans le DCECJ, sur 77 citations de prénoms, 29 (37,66 %) sont réservées aux garçons tandis que 48 (62,34 %) identifient des filles. Dans le LMDÉC, les chiffres se répartissent ainsi : sur 45 attestations de prénoms, 20 (44,44 %) sont masculines et 25 (55,56 %) sont féminines. Dans le RJI, la distribution donne les résultats suivants : 72 occurrences de prénoms, dont 23 (31,94%) sont masculines et 49 (68,06%) sont féminines. Pour 73 citations, les chiffres du RJINA donnent respectivement : 25 (34,25 %) pour la gent masculine et 48 (65,75 %) pour la gent féminine.
Dictionnaires | Nombre | Garçons | Filles | ||
---|---|---|---|---|---|
DCECJ | 77 | 29 | 37,66% | 48 | 62,34 % |
LMDÉC | 45 | 20 | 44,44% | 25 | 55,56% |
RJI | 72 | 23 | 31,94% | 49 | 68,06 % |
RJINA | 73 | 25 | 34,25 % | 48 | 65,75 % |
Total | 267 | 97 | 36,33 % | 170 | 63,67 % |
Le rapprochement et la comparaison des tableaux 7 et 8 font ressortir la nette prédominance des prénoms féminins sur leurs homologues masculins. Dans le tableau 7, le constat n’est pas probant pour les dictionnaires Robert qui se livrent un match nul sur tous les plans. Il est plus évident pour les deux autres dictionnaires. Dans le tableau 8, les écarts sont immédiatement sensibles, les formes féminines prévalant dans une proportion d’approximativement 2 sur 3, sauf dans le LMDÉC. Dans ce recueil, les garçons gagnent plus de 5 points d’un tableau à l’autre grâce à Jacques, Jean, Paul et Pierre qui raflent 13 des 20 attestations dans les exemples (v. annexe 2). Dans les deux RJI, les auteurs ont clairement privilégié la multiplication des occurrences des mêmes prénoms plutôt que leur diversité. On constatera en outre que le DCECJ n’est plus le seul à favoriser l’exemple avec un envoi-prénom, le LMDÉC a lui aussi augmenté ses proportions par rapport au tableau 7. Quand aux deux RJI, ils se comparent avantageusement au DCECJ.
Sur la base de la lettre L et en s’appuyant sur le tableau 8, il est manifeste que dans ces quatre dictionnaires, ce sont les prénoms de filles qui l’emportent haut la main sur leurs vis-à-vis masculins. Ces statistiques offrent ainsi le portrait le plus bienséant lorsqu’elles sont étudiées en fonction des exigences ministérielles québécoises à l’égard de la représentativité féminine dans les dictionnaires. Dans la perspective gallofrançaise, le RJI présente les mêmes caractéristiques, ce dictionnaire obtenant même le score le plus élevé du corpus en ce qui regarde le visage féminin dans les exemples. Peut-être ces résultats doivent-ils quelque chose aux équipes de rédaction et de correction composées exclusivement de femmes, soit dix au total?
Une mise en commun des données compilées pour les quatre dictionnaires donne un total de 96 prénoms cités (v. le tableau 7). De ce lot, 40 sont affectés aux garçons et 56 aux filles, ce qui donne des pourcentages respectifs de 41,67 % et de 58,33 %. Une fois les groupes tamisés, il reste 81 prénoms différents : 32 (39,51 %) sont masculins et 49 (60,49 %) sont féminins. Pour ce qui est des occurrences articulaires (v. le tableau 8), les résultats globaux sont de 267 apparitions : 97 (36,33 %) et 170 (63,67%) respectivement pour les exemples au masculin et au féminin. Dans l’ensemble, on peut donc conclure à une nette emprise des références féminines sur les masculines, aussi bien en ce qui a trait au nombre des prénoms qu’à leur fréquence de réemploi dans les exemples. La bienséance est bien respectée sous le chapitres des prénoms, les filles sont plus présentes que les garçons. Ces résultats demanderaient cependant à être corroborés par une étude des anaphores et des noms communs d’animés.
Sur les 32 prénoms masculins, seulement 6 sont partagés par deux dictionnaires ou plus; aucun ne figure dans tous les ouvrages.
Prénoms | DCECJ | LMDÉC | RJ1 | RJINA |
---|---|---|---|---|
• Alex | - | - | + | + |
• Jacques | + | + | - | - |
• Luc | + | - | + | + |
• Marc | + | + | - | - |
• Paul | + | + | - | - |
• Yves | - | + | + | + |
Sur les 49 prénoms féminins, seulement 5 sont partagés par deux dictionnaires ou plus; un seul figure dans tous les ouvrages.
Prénoms | DCECJ | LMDÉC | RJI | RJINA |
---|---|---|---|---|
• Anne | + | + | + | + |
• Julie | + | - | + | - |
• Lise | + | + | - | - |
• Sarah | - | + | - | + |
• Sylvie | + | + | - | - |
Chez les lexicographes, Anne s’avère le prénom féminin le plus populaire : il revient dans les quatre dictionnaires; tandis que chez les garçons, Luc et Yves se partagent l’honneur d’avoir été sélectionnés par trois équipes de rédacteurs. Le couple le plus célèbre est celui formé d’Anne et d’Yves avec 42 et 23 occurrences respectivement pour l’ensemble du corpus, ce qui témoigne encore plus de la claire domination des filles : Anne obtient d’ailleurs presque deux fois plus de visibilité qu’Yves.
7. Vers d’autres zones néobienséantes
La néobienséance dictionnairique touche aussi d’autres aspects sociaux que la bataille des prénoms de garçons et de filles. Il suffit d’évoquer les contextes dont le contenu véhicule l’idéologie traditionnelle, pour ne pas dire sexiste, des rapports entre les hommes et les femmes, et que l’on dénonce de plus en plus, du genre : « Maman fait les courses » et « Papa va au bureau » (v. Buzon 1983 : 157). Afin de mesurer l’évolution des dictionnaires, voici la situation actuelle du mot bureau au sens de « lieu de travail » dans le corpus des dictionnaires témoins.
- DCECJ Son père travaille à l’usine, il est ouvrier; le mien est employé dans une administration, il travaille dans un bureau. Maman n’est pas encore rentrée du bureau.
- LMDÉC C’est une employée de bureau.
- RJU Le père de Luc va au bureau tous les matins.
- RJINA La mère de Luc va au bureau tous les matins.
La démarcation entre les exemples québécois et français est tangible. Les exemples laurentiens féminisent la situation, sauf le premier qui oppose le travail en usine (col bleu) à l’emploi de bureau (col blanc). Les exemples hexagonaux paraissent plus stéréotypés, en particulier celui du LMDÉC qui renvoie aux tâches de bureau généralement dévolues aux femmes; mais, cet exemple est mal construit, puisque c’est l’unité complexe employée de bureau qui est illustrée et non bureau. Il est vrai, par ailleurs, que tous les énoncés sont suffisamment flous pour qu’on les interprète de manière bienséante en pensant que toutes ces personnes occupent des fonctions valorisantes dans un bureau. Quoique l’on pourrait penser que les exemples féminins nécessitent un certain renforcement pour bien s’assurer que le niveau de responsabilité de la femme est comparable à celui de l’homme.
Pour terminer cette incursion du côté de la néobienséance, quelques pistes supplémentaires seront simplement esquissées en puisant encore dans l’éventail des exemples des dictionnaires pour les jeunes.
Ces dictionnaires respectent tous des principes moraux liés à différents faits de société. Nous avons isolé quelques domaines dans lesquels les lexicographes plaident pour un monde meilleur, où la beauté, la richesse, la paix, la santé, etc., ont le pas sur la laideur, la pauvreté, les conflits de toutes sortes, la maladie, etc. (Le mot en caractères italiques renvoie à l’entrée qui a fourni l’exemple.)
- Charité, générosité, entraide
- DCECJ
- Cette organisation lutte [lutter] contre la faim dans le monde.
- En donnant ses économies pour aider les sinistrés, Alain a été généreux.
- LMDÉC
- Ils luttent [lutter] contre la faim dans le monde.
- RJI
- Elle a donné un lot de vêtements à la Croix-Rouge.
- RJINA
- Elle a donné un lot de vêtements à l’Armée du Salut.
- DCECJ
- Discipline
- DCECJ
- Les élèves se sont rangés [se ranger] deux par deux.
- LMDÉC
- Les enfants, mettez-vous en ligne.
- RJI
- Levez-vous [se lever], voici la directrice.
- RJINA
- Rangez-vous [se ranger] deux par deux.
- DCECJ
- Droits et libertés individuels ou collectifs
- DCECJ
- Ils veulent chasser le dictateur pour libérer leur pays.
- Nous vivons dans un pays libre.
- LMDÉC
- Tu protestes légitimement contre cet abus.
- RJI
- Les peuples luttent pour la liberté, contre la tyrannie.
- RJINA
- Les peuples luttent pour la liberté, contre la tyrannie.
- DCECJ
- Égalité des sexes, stéréotypes sexistes
- DCECJ
- Il lave lui-même [lui] son linge.
- LMDÉC
- Papa promène bébé dans son landau.
- RJI
- Il met son linge sale dans la machine à laver.
- RJINA
- Il étend la lessive sur une corde à linge.
- DCECJ
- Justice sociale
- DCECJ
- Les gouvernements doivent lutter contre la pauvreté.
- LMDÉC
- On a protesté contre le licenciement d’une employée.
- RJI
- La Ligue des droits de l’homme se bat contre la torture.
- RJINA
- Le gouvernement a pris des mesures sociales [social].
- DCECJ
- Santé
- DCECJ
- Il faut éviter les repas trop riches en lipides.
- La lutte contre la faim, le cancer.
- Fumer est mauvais pour la santé.
- Elle ne devrait pas fumer, c’est mauvais pour la santé.
- LMDÉC
- Je mange peu pour garder la ligne.
- La lutte contre le cancer.
- Faire du sport, c’est bon pour la santé.
- RJI
- Dînez légèrement et couchez-vous de bonne heure.
- Les chercheurs poursuivent leur lutte contre le cancer.
- Elle fume [fumer] trop.
- Fumer est mauvais pour la santé.
- RJINA
- Soupez légèrement et couchez-vous de bonne heure.
- Les médecins luttent [lutter] contre le sida.
- Il fume [fumer] trop.
- Fumer est mauvais pour la santé.
- DCECJ
- Environnement
- DCECJ
- On devrait obliger tous les pollueurs à réparer les dégâts qu’ils causent.
- Sur cette plage couverte de mazout, les oiseaux et les poissons meurent à cause de la pollution.
- LMDÉC
- Ces usines enlaidissent [enlaidir] le paysage.
- RJI
- La lutte contre la pollution, c’est son leitmotiv.
- De nos jours, on s’efforce de protéger l’environnement.
- RJINA
- De nos jours, on s’efforce de protéger l’environnement.
- DCECJ
- Obéissance parentale, civile
- DCECJ
- Maman respecte la limitation de vitesse.
- LMDÉC
- La lacération des affiches électorales est punie d’une amende.
- Il est imprudent de jouer avec un lance-pierres.
- Les enfants, ne vous éloignez [éloigner] pas trop.
- Passer de l’alcool en fraude est illicite.
- RJI
- Il faut toujours respecter la légalité.
- RJINA
- Il n’a pas respecté la limitation de vitesse.
- Porter une arme sur soi, sans autorisation, est interdit par la loi.
- DCECJ
Ces images d’Épinal repérées dans quelques sphères de la connaissance manifestent très clairement que la (néo)bienséance est l’un des éléments extralinguistiques majeurs imposés dans l’univers dictionnairique. Tout est pensé et réalisé pour que les enfants en phase de scolarisation adhèrent à une vision idéalisée du monde. Et c’est bien ainsi, car ils auront suffisamment le temps d’en observer tous les heurs et malheurs.
Bibliographie
Linguistique
- BOULANGER, Jean-Claude, « L’aménagement lexicographique des anglicismes dans un dictionnaire pour les enfants », Actes du Colloque sur les anglicismes et leur traitement lexicographique. Communications, discussions et synthèses, Magog (Québec), 24 au 27 septembre 1991, Coll. « Études, recherches et documentation », Québec, Gouvernement du Québec, pp. 267-283, 1994.
- BOULANGER, Jean-Claude, « À propos de l’arrimage entre le dictionnaire et la néobienséance », Atelier sur les dictionnaires, Colloque Les linguistes et les questions de langue au Québec, Québec, Cirai, Université Laval, 1997.
- BUZON, Christian, « Au sujet de quelques dictionnaires monolingues français en usage à l’école élémentaire : réflexions critiques et éléments de propositions », Etudes de linguistique appliquée, no 29, janvier-mars, pp. 146-173. [Image et usage du dictionnaire], 1983.
- CORBIN, Pierre, « Le maquis lexicographique, Aperçus sur l’activité lexicographique monolingue dans le domaine français à la fin du XXe siècle, Le Français aujourd’hui, no 94, juin, pp. 6-26. [Des dictionnaires »], 1991.
- DUBOIS Jean et Claude DUBOIS, Introduction à la lexicographie, Le dictionnaire, Coll. « Langue et langage », Paris, Librairie Larousse, 224 p., 1971.
- HAUSMANN, Franz Josef, « Das Kindenwörterbuch », Dictionnaires, Encyclopédie internationale de lexicographie, Éditée par Franz Josef Hausmann, Oskar Reichmann, Herbert Érnst Wiegand et Ladislav Zgusta, Berlin / New York, Walter de Gruyter, vol. 2, pp. 1365-1368, 1990.
- LAGANE, René, « Les dictionnaires scolaires : enseignement de la langue maternelle », Dictionnaires, Encyclopédie internationale de lexicographie, Éditée par Franz Josef Mausmann, Oskar Reichmann, Herbert Emst Wiegand et Ladislav Zgusta, Berlin / New York, Walter de Gruyter, vol. 2, pp. 1368-1378 , 1990.
- LEHMANN, Alise, « Une nouvelle conception du dictionnaire d’apprentissage : le Petit Robert des enfants », Cahiers de lexicologie, vol. 59, fasc. 2, pp. 109-150, 1991.
- LEHMANN, Alise, « L’exemple et la définition dans les dictionnaires pour enfants », Repères, no 8 [nouvelle série], pp. 63-78. [Pour une didactique des activités lexicales à l’école], 1993a.
- LEHMANN, Alise, « Le renouvellement de la lexicographie contemporaine dans le dictionnaire d’apprentissage : le cas du Robert des jeunes », Actes du XXe Congrès international de linguistique et philologie romanes, Université de Zurich, 6 au 11 avril 1992, Tübingen, A. Francke Verlag, tome 4, pp. 199-208, 1993b.
- MARTIN, Robert, « L’exemple lexicographique dans le dictionnaire monolingue », Dictionnaires, Encyclopédie internationale de lexicographie, Editée par Franz Josef Hausmann, Oskar Reichmann, Herbert Emst Wiegand et Ladislav Zgusta, Berlin / New York, Walter de Gruyter, vol. 1, pp. 599-607, 1989.
- MESCHONNIC, Henri, Des mots et des mondes. Dictionnaires, encyclopédies, grammaires, nomenclatures, Coll. « Brèves Littérature », Paris, Hatier, LIV + 319 p., 1991.
- OUIMET, Catherine, L’adaptation d’un dictionnaire d’apprentissage à un public québécois : problèmes et solutions, Mémoire de maîtrise, Université de Montréal, VIII + 116 p. + LXI, 1996.
- REY, Alain, « Du discours au discours par l’usage : pour une problématique de l’exemple », Langue française, no 106, mai, p. 95-120. [L’exemple dans le dictionnaire de langue. Histoire, typologie, problématique], 1995.
- REY-DEBOVE, Josette, Étude linguistique et sémiotique des dictionnaires français contemporains, Coll. « Approaches to Semiotics », no 13, The Hague / Paris, Mouton, 331 p., 1971.
- REY-DEBOVE, Josette, « Dictionnaires d’apprentissage : que dire aux enfants? », Lexiques, Coordonné par Amr Helmy Ibrahim, coll. « Recherches et Applications », Paris, Hachette, pp. 18-23, 1989.
- REY-DEBOVE, Josette, « Le contournement du métalangage dans les dictionnaires pour enfants : translation, monstration, neutralisation », Repères, no 8 [nouvelle série], pp. 79-91. [Pour une didactique des activités lexicales à l’école], 1993.
Dictionnaires
- ABENAIM (Raymonde), Jean-Claude BOULANGER, avec la collaboration de Pierre AUGER et de Jean-Yves DUGAS, [équipe éditoriale], Dictionnaire CEC jeunesse, Troisième édition revue et mise à jour, Montréal, Centre éducatif et culturel inc., 1992, 1287 p. → [DCECJ]
- Larousse ntaxi débutants, Edition canadienne, s.l. [Paris], Les Editions françaises / Librairie Larousse, 1986, 935 p. → [LMDÉC]
- Le Petit Robert des enfants. Dictionnaire de la langue française, rédaction dirigée par Josette REY-DEBOVE, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1988, XXV + 1189 p. → [PRE]
- Le Robert des jeunes. Dictionnaire de la langue française, rédaction dirigée par Josette REY-DEBOVE, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1991, Paris, Dictionnaires Le Robert, XXV + 1189 p. → [RJ]
- Le Robert junior illustré, Paris, Dictionnaires le Robert, 1993, XII + 1156 p. → [RJI]
- Le Robert junior illustré, Edition nord-américaine, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994, XVI + 1164 p. → [RJINA]
Masculins | Entrées | Féminins | Entrées |
---|---|---|---|
• Alain | loin | • Agathe | lisière |
• Arnaud | lentille | • Agnès | loyal |
• Bernard | loyer | • Alice | 1. loup |
• Bruno | lit | • Anne | légèrement; long |
• Cyril | lapsus | • Aude | 1. livre |
• Daniel | lettre; livrer | • Axelle | 3. loup |
• Denis | lit | • Barbara | lier |
• Éric | lance-pierres; ligne | • Béatrice | lassitude |
• François | se lever; loger | • Brigitte | lent |
• Frédéric | linteau | • Caroline | larme; lobe |
• Guillaume | lymphatique | • Catherine | 2. lot |
• Hugues | loterie | • Céline | lâcher; léger |
• Jacques | lancinant | • Christine | laisse |
• Laurent | louveteau | • Corinne | laisser; leçon |
• Luc | lui | • Dorothée | liste |
• Marc | levée; lutte | • Fanny | lorgnette |
• Mathieu | langue | • Hélène | laideur, 2. lire |
• Maxime | las | • Isabelle | livrer |
• Michel | lagon; lumière | • Judith | louange |
• Paul | longueur | • Julie | librairie; lunette |
• Philippe | loin | • Juliette | lucide |
• Rémi | lancer | • Laure | léger |
• Stéphane | luthier | • Linda | limonade |
• Thierry | 1. lire | • Lise | loisir |
• Marianne | 1. louer | ||
• Marion | lèvre | ||
• Martine | luge | ||
• Myrinm | léger | ||
• Sabine | lécher | ||
• Sandrine | lacer; littérature | ||
• Sophie | lavabo; lion; longtemps; lui | ||
• Sylvie | langueur; électeur; longueur | ||
• Valérie | long; lucidité; lurette | ||
• Virginie | leçon | ||
Total : 24 | Total : 29 | Total : 34 | Total : 48 |
Masculins | Entrées | Féminins | Entrées |
---|---|---|---|
• Jacques | latin; loucher | • Aïcha | lauréat |
• Jean | s’aliter; reluire; luné; lyrisme | • Anne | lunette |
• Marc | lucide | • Brenda | lubie |
• Mehdi | leçon | • Chantal | 2. lire; longtemps |
• Pascal | las; lecture | • Jeanne | latiniste |
• Patrick | licence | • Judy | lettre; lui |
• Paul | lanceur; 1. le; léser; éloignement | • Line | lacer |
• Pierre | laisser; lassant; licencié | • Lise | léger; luge |
• Sékou | lettre | • Lori | relancer |
• Yves | long | • Lysa | langue |
• Maïté | 1. lieu | ||
• Maria | 2. lire | ||
• Marie | là; se lamenter; laquer; larme; lentement; longueur; lucicité | ||
• Sandra | 1. lieu | ||
• Sarah | lycéen | ||
• Sylvie | lingerie | ||
Total : 10 | Total : 20 | Total : 16 | Total; 25 |
Masculins | Entrées | Féminins | Entrées |
---|---|---|---|
• Alex | lait; largement; 1. livre; longer; loup | • Anne | lâcheur; laisser; lamentable; langue; las; laver; leçon; lecture; léger, lent; léser; librairie; livrer; long; lourdaud; lucide |
• Luc | laïc : lambin; laver; leçon : légèrement; lexique; lourd | • Flora | lacer; lâcher; larme; lavabo; lécher; léger; légèrement; légèreté; lentement; levant; lier; linotte; lit; loir; lui; lunatique; luxer |
• Yves | lambeau; langue; lapsus : lettre; lien; livrer; lorgner; loucher; lui; lune; lynx | • Julie | lacet; laisser; lancer; langue; large; laver; 2. le; légèrement; 1. lever; libéral; lien : lier; livrer; loucher; loyal; luné |
Total : 3 | Total : 23 | Total; 3 | Total : 49 |
Masculins | Entrées | Féminins | Entrées |
---|---|---|---|
• Alex | largement; longer, loup; lunatique | • Anne | Lâcheur; laisser; lait; lamentable; langue; las; laver; lecture; léger; léser; 1. lever; liaison; libéral; librairie; lien; lier; lit; 1. livre; livrer; long; lorgner; lourdaud; lucide |
• Luc | lac; lambin; lasso; lavabo; laver; leçon; légèrement; lisière; lourd; lunette | • Ève | lacer; lâcher; laïc; larme; lécher; léger; légèrement; légèreté; levant; lexique; lier; lit; lui; luxer |
• Yves | lambeau; langue; lapsus; leçon; lettre; lien; livrer; loucher; lui; lune; lynx | • Sarah | lacet; laisser; lancer; langue; large; laver; 2. le; légèrement; livrer; loyal; luné |
Total : 3 | Total : 25 | Total : 3 | Total : 48 |
Référence bibliographique
CORMIER, Monique C., Catherine OUIMET et Jean-Claude BOULANGER (2001). « À propos de la néobienséance dans les dictionnaires scolaires : les prénoms dans les exemples », dans Les dictionnaires de langue française. Dictionnaire d’apprentissage, dictionnaires spécialisés de la langue, dictionnaires de spécialité, Paris, Honoré Champion éditeur, coll. « Bibliothèque de l’Institut de linguistique française. Études de lexicologie, lexicographie et dictionnairique », no 4, p. 139-168. [article]